Opération Sangaris : le général Soriano s'en va.

 

 

Ce mardi 17 juin 2014, le général commandant les forces françaises Sangaris a dit aurevoir à ses troupes. Il quittait ainsi le théâtre opérationnel centrafricain. Il reprend son commandement à la tête des forces françaises stationnées au Gabon. Ce n'est donc pas une disgrâce.

 

Envoyé en mission spéciale en plein chaos banguissois, à la tête de 2.000 hommes, le général Soriano laisse cependant un bilan mitigé.

 

1 – Une opération compliquée par la montée en puissance des milices anti-Balaka.

 

En ce 5 décembre 2013, alors que la capitale centrafricaine est en proie à une tentative de coup d'Etat qui fera plus d'un millier de morts et des centaines de milliers de déplacés parmi la population civile, le Conseil de sécurité de l'Onu vote la résolution 2127 qui autorise l'intervention des forces internationales en République Centrafricaine. Prépositionnée par la France, l'opération Sangaris était ainsi officiellement consacrée. Elle est destinée à soutenir la force africaine de la Misca constituée par les troupes mises en place par la Communauté économique des Etats de l'Afrique centrale.

La résolution 2127 sera suivie de deux autres résolutions du Conseil de sécurité, l'une autorisant l'usage de la force pour désarmer les factions armées et protéger les populations civiles, l'autre instaurant une mission de maintien de la paix en Centrafrique à partir du 15 septembre 2014.

 

Six mois après son installation, l'opération Sangaris peut s'enorgueillir d'avoir évité un massacre de masse en Centrafrique. Elle peut également se satisfaire de l'ouverture et de la sécurisation de l'axe routier Bangui-Cameroun, véritable artère d'irrigation de l'économie centrafricaine. Elle permet le ravitaillement de la capitale du pays depuis le port de Douala sur l'Atlantique.

L'opération Sangaris n'est pas non plus étrangère à la mise en sécurité des populations musulmanes de l'ouest du pays menacées alors par les groupes locaux d'auto-défense anti-Balaka, souvent chrétiennes. Elle aura aussi assuré la protection des populations ayant choisi l'exode sans compter le soin pris par elle de veiller à la sécurité des déplacés de l'aéroport de Bangui-M'Poko.

Elle était alors accusée de parti-pris en faveur des musulmans !

 

Au demeurant, les militaires de l'opération Sangaris auront aussi protégé le convoi terrestre, de Bangui vers Bambari, d'au moins 30.000 musulmans menacés dans leur enclave de Boda ou Bangui.

Dans l'intervalle, les forces Sangaris auront réussi à regrouper et cantonner, sans les désarmer, les éléments rebelles des ex-Séléka encore à Bangui ; ce qui fit courir le reproche d'une position partiale favorable aux milices chrétiennes.

 

Mais l'ampleur de la tâche était ailleurs, compliquée par la montée en puissance des milices anti-Balaka, au départ simples bandes locales d'auto-défense paysannes devenues rapidement des groupuscules organisés xénophobes et criminels.

 

2 – Les Sangaris : une force d'interposition plus que d'intervention.

 

Au cours de ces six mois de présence sur le terrain, on peut reprocher au commandant du dispositif Sangaris d'avoir privilégié plus souvent les fonctions d'interposition de ses forces plutôt que de les engager directement dans le désarmement de tous les groupuscules armés, ex-Séléka, anti-Balaka et autres. D’ou vient cette prévention dans l'action ?

 

Provient-elle de la pusillanimité des autorités de la transition, toujours promptes à pratiquer la politique de l'autruche, ou bien de l'influence négative des politiciens français peu enclins à exposer leurs soldats dans une période de crise diffuse qui favorise l'émergence de l'extrême droite ?

Les deux hypothèses se valent et se télescopent.

 

On se souvient que la présidente de la transition a récemment reconnu ne pas être étrangère à la temporisation des forces multinationales dans le désarmement des 3ème et 5ème arrondissement, de peur de relancer les représailles entre les communautés.

Ce refus d'engager le bras de fer avec les différentes milices armées est le symbole de la transition actuelle, cernée de toute, au gouvernement, à la primature et à la présidence, par les représentants des diverses factions armées qui siègent dans ces instances.

Appelés à jouer le rôle de disjoncteurs capables d'éteindre les exactions commises de part et d'autre, ces représentants se sont au contraire reconvertis en mode interrupteur sur courant alternatif ; ils alimentent les conflits par des déclarations intempestives, des suggestions saugrenues voire provocatrices, lorsqu'ils ne se comportent pas directement comme les « indics » de leurs coalitions respectives, lesquelles bénéficient ainsi de renseignements tirés à la source !

On comprend, dans ces conditions, pourquoi la présidente de la transition et son premier-ministre ont du mal à remanier le gouvernement.

 

De fait, aucun de ceux qui se proclament coordonnateur général, chef d'état-major ou porte-parole, n'a le leadership nécessaire pour signifier l'accalmie à ses troupes sur le terrain et imposer un minimum de discipline et de cohésion. Rien d'étonnant à cela ; pendant que l'ex-Séléka annonce procéder au recensement de ses éléments épars, les anti-Balaka recrutent le tout-venant. Il s'agit de faire le nombre pour émarger au futur programme DDR.

 

Du côté de la classe politique française, les hésitations ne sont pas feintes. On l'a perçu lors du débat  à l'assemblée nationale sur la prolongation de l'opération Sangaris. Tous les partis politiques se sont exprimés en faveur de la prolongation des Sangaris mais à la condition d'un renfort en effectifs supplémentaires, mais à la condition du soutien de l'Union européenne, mais à la condition d'un vote du Conseil de sécurité en faveur d'une mission de maintien de la paix de l'Onu, etc. C'était l'embarras.

 

Depuis, les autorités françaises croisent les doigts en espérant, d'ici au mois de septembre prochain, qu'aucun événement grave ou fâcheux ne viendra blesser l'opinion française dans sa chair.

 

C'est dans cette logique que le général Soriano a été autorisé, selon nous, à envisager le rapatriement d'ici à septembre d'une partie des troupes françaises.

Il alla plus loin : l'heure est venue de songer au versant politique et économique de la crise. C'est une manière de fermer la parenthèse militaire, alors même que les armes pullulent, à Bangui et partout ailleurs.

 

3 – Une réconciliation engagée dans la précipitation n'augure rien de bon.

 

D'où la précipitation prise par la présidente de la transition à organiser dès le début de la semaine dernière la réunion préparatoire à la reprise du dialogue inclusif. Trente personnalités dont l'identité n'a pas été révélée ont été réunies pendant soixante-douze pour faire des recommandations de sortie de crise.

C'est mettre la charrue devant les bœufs.

D'ailleurs, les préconisations formulées ne diffèrent pas des recommandations issues des précédentes conférences de réconciliation nationale ou commission vérité et réconciliation.

 

En effet, si l’on observe une certaine accalmie dans les pics de violence, il n'est pas rare d'enregistrer au fil des jours les actes de représailles et les règlements de compte qui perdurent.

Comme la semaine dernière à Liwa, petite localité à 10 kilomètres de Bambari où le décès de deux musulmans a entraîné l'organisation d'un raid punitif meurtrier de la part des éléments de l'ex-Séléka renforcés par des nomades peuls : 22 personnes furent massacrées et 130 maisons incendiées.

Il ne se passe pas un seul jour où des corps torturés ou violentés sont recueillis dans la rivière Ouaka. Bambari est ainsi devenue l'épicentre des violences intracommunautaires depuis que les ex-Séléka y ont établi leur « état-major ».

 

Des incidents graves de cette nature continueront de semer le trouble et la désolation tant que les autorités de la transition ne prendront pas sur eux d'édicter les mesures de police nécessaires pour appréhender et faire juger les criminels devant la justice centrafricaine.

 

L'argument justifiant cette inertie repose invariablement sur la faillite de l'Etat et le dépérissement de ses services publics, en particulier ceux de la police et de la justice.

Il ressort en effet des constats sur le terrain que tous les fonctionnaires ont abandonné leurs postes respectifs en province pour regagner Bangui. Cette défection touche en particulier la magistrature et les fonctionnaires de la justice.

A la décharge de ces derniers, il faut bien reconnaître que dès la prise du pouvoir par les ex-Séléka en mars 2013, les troupes rebelles ont dévasté, pillé et vandalisé tous les bureaux et immeubles administratifs. Les tribunaux n'ont pas échappé à ces destructions. Il s'agissait peut-être déjà, dans l'esprit des nouveaux maîtres du pays, de s'inspirer de la charia, laquelle n'a pas besoin d'un lieu spécifique pour s'exercer.

 

C'est la raison qui nous a conduit à proposer, il y a peu, la création d'une juridiction particulière ; un tribunal spécial installé à Bangui, compétent pour juger de tous les crimes liés à la crise actuelle, qu'ils soient commis dans l'est ou dans l'ouest du pays.

Les magistrats désignés pour siéger au sein de cette juridiction spéciale, ainsi que le bâtiment réquisitionné à cet effet, bénéficieraient de la protection rapprochée des forces internationales afin de contrarier toute velléité de représailles ou actes d'intimidation. Cela éviterait par exemple à l'actuel procureur de la République près le TGI de Bangui de se promener avec une arme à la ceinture, comme les shérifs d'antan, parce qu'il ne bénéficie d'aucune protection officielle !

 

On sait que parmi les 2.000 militaires de la Sangaris, les 6.000 soldats de la Misca et les 700 hommes de l'Eufor-Rca, on compte environ 1.800 policiers et gendarmes, un effectif suffisant pour, d'une part assurer la protection d'un tribunal exceptionnel et de ses magistrats, et d'autre part, enquêter, traquer et conduire devant les juges les criminels concernés.

Au besoin, une telle juridiction aurait pu être délocalisée dans un pays voisin.

 

Au lieu de cela, les autorités de la transition ont préféré se désister totalement au profit de la Cour pénale internationale, laquelle n'aura à juger que les commanditaires et les responsables politiques de la crise, au terme d'un très long délai de procédure.

En choisissant cette voie, les autorités de la transition reconnaissent finalement leur impuissance avérée et confirme aux yeux du peuple, et des criminels, la loi d'impunité qui caractérise la République Centrafrique aujourd'hui.

 

Dans un tel contexte, le départ du général Francisco Soriano n’a de sens que dans le cadre d’un changement de stratégie : il faut désarmer coûte que coûte afin d’aller au dialogue national.

 

Paris, le 18 juin 2014

 

Prosper INDO