Centrafrique : Chroniques douces-amères – 3

« Sans la liberté de blâmer, il n’y a point d’éloges flatteurs »

                                                                   (Beaumarchais)

 

L’habit ne fait pas le moine.

 

Une fois encore, Joseph Bindoumi se fait remarquer. Il s’agit cette fois de la position déclarée du président de la ligue centrafricaine des droits de l’homme, en marge de la publication du rapport de l’ONG International Crisis Group :

 

« le régime Séléka nous a amené là où nous n’étions jamais arrivés avant, en termes de crimes, d’abus et de mauvaise gouvernance ».

 

M. Bindoumi doit être victime d’une amnésie. Il oublie le rôle qu’il a joué sous les régimes précédents, en particulier celui du président François Bozizé, peu regardant sur le respect des droits de l’homme et la bonne gouvernance.

 

L’une des vertus de l’homme politique réside dans le courage à reconnaître ses propres errements. Le président de la LCADH n’est pas courageux, c’est son principal défaut.

 

La ritournelle des revenants.

 

En même temps que le président Bindoumi occupe le devant de la scène médiatique, plusieurs autres personnalités de l’ancien régime Bozizé se rehaussent du col.

 

C’est le cas récent du général Parfait Mbay. Si ce dernier reconnaît ne plus avoir aucun contact avec l’ancien dictateur de Bangui, il ne tarit pas de conseils en matière de réorganisation des forces armées centrafricaines. Que n’y a-t-il pensé plus tôt ?

 

Il en va de même du colonel Sylvain Ndoutingaï. Celui-ci récuse désormais les liens familiaux qu’on lui prêtait naguère avec l’ancien François Bozizé, dont il était considéré comme le neveu.

La dénégation du colonel a beaucoup de charme mais vient un peu tardivement. Renoncer aujourd’hui à des liens qui vous ont valu autrefois, et le pouvoir et le respect du commun des mortels, relève de l’escroquerie.

M. Ndoutingaï reconnait par ailleurs  n’avoir jamais mesuré, à l’époque où il était aux affaires, « combien de gens se sont sentis menacés par mon action » !

Cette incapacité à assumer ses responsabilités est la marque de fabrique de tous les dirigeants politiques centrafricains. Car qui dit responsabilité, dit sanction. Sylvain Ndoutingaï s’exonère trop facilement des siennes.

L’honneur d’une armée tient à la valeur de ses officiers. On comprend dès lors la déconfiture des forces armées centrafricaines.

 

 

Découverte d’un charnier flottant à Bambari.

 

Une dizaine de cadavres transportés par les eaux de la rivière Ouaka a été récupérée. Les corps été ligotés, portaient des traces de tortures et de blessure par balle ou par arme blanche.

 

Pendant ce temps, Sangaris et Misca sont à Bambari où elles semblent tenir compagnie aux ex-Séléka, plutôt qu’à les cantonner et désarmer. Une vieille habitude des forces internationales : mieux vaut s’interposer que s’exposer inutilement. Cette position du « garde-à-vous » permanent explique sans doute la poursuite de la violence et des exactions.

L’un des porte-parole de la nébuleuse rebelle prend prétexte de ce voisinage pour dédouaner son mouvement et l’absoudre de ces crimes. Il n’empêche, ce démenti n’enlève rien au fait que l’ex-Séléka a déjà fait la démonstration de sa barbarie partout ailleurs en Centrafrique.

 

Les enseignants rempilent dans la grève à l’université de Bangui.

 

Mettant à exécution leur préavis de grève de la semaine précédente, les enseignants membres de la Synaes (syndicat national des enseignants du supérieur) ont décrété un mouvement de refus de travail de sept jours à partir du vendredi 20 juin, pour appuyer leur exigence phare :

 

-          le paiement des vacations et heures supplémentaires de l’année académique 2011-2012.

 

Si cette revendication n’était pas honorée, ils comptent bloquer les examens en cours, suspendre la correction des copies déjà ramassées, et bloquer les services administratifs de l’université. Une année blanche de plus, une !

 

Rappelons, pour la petite histoire, qu’en 2011-2012, le premier-ministre centrafricain est un certain Faustin Archange Touadéra, ancien recteur de l’université de Bangui. A cette date, ce dernier cumulait ses émoluments à la primature et ses indemnités de vacations et heures supplémentaires ! A l’époque, le Synaes n’y voyait pas malice.

 

Feu sur le ministère des finances !

 

Après le grotesque cambriolage du ministère de la communication, dérobade au cours de laquelle les voleurs se sont esquivés avec l’ordinateur du ministre, c’est au tour du ministère des finances d’être victime d’un incident grave.

 

Dans la nuit du mardi 17 au mercredi 18 juin, une partie de l’immeuble abritant ce ministère a été ravagée par un incendie. Si l’on en croit l’expertise du premier-ministre qui s’est déplacé sur les lieux, l’incendie serait d’origine accidentelle ; la conséquence d’une surtension électrique. Dans un pays où les délestages sont quotidiens et quasiment programmés, cela s’entend.

 

Toutefois, cet incendie est une aubaine pour les escrocs en tout genre, le sinistre ayant détruit l’ensemble des locaux occupé par les services de la dépense. Toutes les archives depuis l’époque coloniale sont parties en fumée. Nulle investigation ne pourra plus être menée pour dénicher les fausses factures, les faux marchés publics, les comptes falsifiés ou les détournements de fonds publics de la mal gouvernance. Faute de preuves, impunité garantie !

 

Catherine Samba-Panza joue les filles de l’air !

 

La présidente de la transition en Centrafrique s’est envolée mercredi 18 juin pour Oslo en Norvège, à l’invitation du Centre pour le dialogue humanitaire. Cette organisation réunissait à cette occasion la 12ème édition de son forum mondial.

 

Selon les commentaires de l’agence de presse africaine (APA), « Catherine Samba-Panza profitera de cette tribune pour présenter la situation sécuritaire et humanitaire qui prévaut dans son pays afin de mobiliser la communauté internationale à la cause de la RCA ».

A défaut de désarmer les rebelles de tous poils, la présidente de la transition joue la Madone des aéroports, avec profit, puisque la Norvège aurait accordé une aide supplémentaire de 8,33 millions de dollar à la RCA à l’issue de ce voyage.

 

Quittant Oslo, la présidente est depuis samedi soir, 21 juin, en Guinée Equatoriale pour une visite de 48 heures au pays du président Téodoro Obiang Nguema.

Souhaitons-lui le même succès auprès de ce petit eldorado pétrolier du golfe de Guinée.

 

Le premier-ministre sur un siège éjectable ?

 

Bangui bruie depuis quelques jours de folles rumeurs sur le départ du premier-ministre André Nzapayéké.

On se rappelle que la présidente de la transition a, le 6 mai dernier, évoqué le principe d’un remaniement gouvernemental, prenant ainsi acte du bilan mitigé de ses 100 premiers jours à la tête de l’Etat centrafricain.

Il semble que Catherine Samba-Panza ait évoqué le départ de son chef de gouvernement avec les chefs d’Etat de la sous-région, mais les réactions seraient très partagées.

 

Ceux qui veulent la tête d’André Nzapayéké ignorent un détail : les dispositions de l’article 36 de la Charte constitutionnelle de la transition dispose que « le premier-ministre ne peut être révoqué par le chef de l’Etat de la transition ni par le Conseil national de la transition », sauf à faire appel à la médiation du Comité de suivi des accords de Libreville du 11 janvier 2013.

 

Pour un diplomate en poste à Bangui, « ce gouvernement n’est pas fiable. Il faut tout refaire en commençant par la tête ».

En langage diplomatique, la tête d’un exécutif, c’est le chef de l’Etat !

 

Denis Sassou Nguesso désavoué ?

 

Les rumeurs font état d’une lettre adressée par la présidente de la transition au Secrétaire général de l’Onu. Dans ce courrier, celle-ci récuserait la médiation menée par le président de la République du Congo.

 

Bien entendu, il peut s’agir de supputations malveillantes ; la présidente centrafricaine n’ignore pas que le mandat de Médiateur a été confié au président congolais par ses collègues de la Cémac, lors de la conférence de Libreville du 11 janvier 2013. Eux seul sont habilités à défaire ce qu’ils ont conclu, sauf démission ou retrait volontaire de l’impétrant.

 

Même si tel devait être le cas, ce serait faire preuve d’ingratitude vis-à-vis du président Denis Sassou Nguesso qui a œuvré sans relâche pour faire entendre la voix de la raison dans cette crise. Il a par ailleurs fait le sacrifice de ses soldats et des finances publiques du Congo pour solder les salaires des fonctionnaires centrafricains.

On peut sans doute reprocher au président congolais son peu d’investissement personnel sur le terrain, à l’exemple d’un Pierre Buyoya en 2008. C’est oublier qu’à l’époque, ce dernier n’avait aucune responsabilité politique dans son pays lorsqu’il fut désigné par l’Union africaine.

 

Au royaume du père Ubu !

 

Une mouvance terroriste, qualifiée d’ennemie de la paix par les Nations unies, organise une rencontre entre ses responsables dans les bureaux de la PNUD (programme des Nations Unies pour le développement) ! Cela se passe à Bangui, sans que personne ne s’émeuve.

 

Les autoproclamés coordinateur national et porte-parole des anti-balaka, respectivement Patrice Edouard Ngaïssona et Sébastien Wénézoui, se sont réunis ce vendredi 20 juin, sous les auspices de deux associations de la société civile centrafricaine, PARETO et MOU DA, dans les locaux de la PNUD, sans protestation du représentant personnel du secrétaire général de l’Onu, chef de la Binuca.

 

Les deux responsables anti-balaka, qui se disputaient le leadership de cette mouvance rebelle, ont convenu de se partager les postes de n°1 et n°2 de la nébuleuse terroriste, et prévoient une grande réunion de réconciliation des anti-balaka ce mardi 24 juin 2014.

Gageons que les autorités de la transition n’y verront pas malice, habituées qu’elles sont à fréquenter les coulisses du royaume du père Ubu.

 

Paris, le 23 juin 2014

 

Prosper INDO