CONTRIBUTION A LA RESOLUTION DE LA CRISE CENTRAFRICAINE

 

Je suis convaincu qu’ensemble (les centrafricains de bonne volonté, engagés, responsables et désintéressés), nos réflexions et nos visions sur les voies et moyens pour sortir notre pays de sa situation chaotique et dramatique, renforceraient les différents choix qui s’ouvrent opportunément à notre pays et à nos compatriotes. Je me place dans la perspective d’une transition apaisée après une éventuelle intervention (tant souhaitée) des Forces des Nations Unies (MINUSCA) respectant les termes de la Résolution 2127. Dans ce cadre j’aborderai deux thèmes qui me tiennent à cœur, à savoir :

-          La crise morale, base de la décadence du peuple centrafricain

-          Les activités prioritaires

 

Mon intervention reste basée sur les quatre idées maîtresses que j’avais développées, il y a quelques années, qui s’inscrivent, pour moi, avec évidence dans la vision de la nouvelle Centrafrique. Ces idées ont une place primordiale dans le combat contre la crise et la décadence morales et comportementales de notre peuple :

1 – La connaissance de soi en tant qu’individu et en tant que peuple qui découle de l’extrapolation de l’injonction socratique, connais-toi toi-même. Cette injonction est un des outils méditatifs que j’avais considérée comme nécessaire pour une meilleure approche et compréhension des problèmes nationaux ;

2 – La force de l’intelligence et l’aptitude de discernement intellectuel se traduisant, pour moi, par la vigueur de l’esprit qui est nécessaire à la durée et à la richesse de la vie collective de notre peuple ;

3 – La force de caractère constituant la base indiscutable de la conviction de chaque citoyen, incluant les dirigeants. C’est la ténacité dans l’infortune et la lucidité dans l’enthousiasme qui peuvent/vont forger nos compatriotes et notre nation ;

4 – La responsabilité et la libre-expression de la personnalité individuelle et citoyenne doivent prendre le pas sur la passivité. Ces actes mettent en avant l’engagement, la volonté et la détermination, attitudes nobles de tout patriote qui se sent concerné par les problèmes de son pays.

 

Ces idées sont essentielles pour la remise en marche de notre pays. Elles sont là pour aider à mieux rationnaliser les actions et les attitudes pour une meilleure compréhension et appréhension des problèmes centrafricains. La crise et la décadence morales qui caractérisent notre nation et notre peuple ont besoin d’une orientation philosophique et sociologique assez forte pour une prise de conscience collective.

 

L’absence de débats d’idées, la décadence de l’école et de l’éducation nationale, l’ignorance et/ou le refus de respecter les valeurs morales (qui découlent des grandes idées philosophiques) et également de nos valeurs traditionnelles, la démission des parents dans l’éducation de leurs enfants, le nombre de plus en plus important d’enfants abandonnés, la démission des partis politiques, etc. participent pleinement à cette crise et décadence nationales. Il arrive que l’Homme soit susceptible à commettre des erreurs. Il peut s’agir d’erreur d’action, de jugement ou encore d’engagement qui est vite arrivée. L’erreur dans ces cas est accessoire, et c’est l’aptitude à raisonner et à discerner les véritables enjeux qui est fondamentale, mais il faut encore avoir cette aptitude. Ainsi, les procédés de la raison sont des instruments de précision qui ne produisent indifféremment le vrai et le faux que selon le degré variable d’habilité de ceux qui les manient. C’est pour cette raison qu’aucun des problèmes cruciaux nationaux ne saurait résister à un effort conjugué de l’intelligence et de la volonté de tout le peuple centrafricain. Malheureusement, i) les erreurs répétitives et permanentes, ii) la quasi-absence d’habilité à apporter des solutions idoines, mettent en doute la capacité de création du centrafricain optimiste doter de bon sens et de bonne volonté.

 

Alors, que faire ? L’approche primaire et fondamentale serait d’accompagner de manière irréversible sur le plan philosophique et sociologique nos compatriotes dans une meilleure appréhension des véritables enjeux pour la reconstruction de notre pays. Cet accompagnement devra également se traduire par rapport à l’orientation idéologique qui sous tend les actions à mettre en œuvre. Il faudrait la définir afin de pouvoir mieux agir. Ainsi, même si les grandes pensées idéologiques politiques ne sont plus spécifiquement délimitées, la nécessité d’adopter un modèle de développement politique théorique permettra de développer une vision claire et précise pour l’action à entreprendre. Le contenu théorique de ces modèles idéologiques oriente en général d’une manière efficace l’action publique : le libéralisme ou le capitalisme sauvage, la social-démocratie, le social-libéralisme, le communisme ou le développement autocentré, le fascisme, etc. Alors, quelles sont les lignes idéologiques directrices des dizaines des partis politiques centrafricains ? Quel modèle de société auquel se réfèrent-ils ? Une conviction basée sur des fondements philosophiques et idéologiques est un outil efficace de rationalisation d’action politique. Il ne suffit pas de déclarer son appartenance à un groupe idéologique, mais de pouvoir mettre en pratique les idées issues de cette idéologie.

 

La deuxième approche serait de définir quel type de société pour notre pays : la démocratie représentative, la démocratie participative ou d’autres systèmes à définir ! Il apparaît pour moi qu’il est important qu’en tant que citoyen, nous soyons convaincus par l’apport de type de société qui forgera notre psychisme et notre comportement vis-à-vis de notre nation. Ce manque de type (ou d’organisation) de société s’est accentué par l’absence de modèle de comportement en société représentant la dignité et l’unité, pourtant deux éléments de notre devise nationale, tirées d’une sociologie centrafricaine. A l’heure actuelle, l’observation du comportement de nos compatriotes montre que notre société s’est construite sur des valeurs populaires négatives telles que : la compromission, l’illégalité, la malhonnêteté, la convoitise, l’argent facile, la raison du plus fort, etc., tout sauf une attitude patriotique.

 

Dans un pays où tout est à faire et refaire, quel secteur d’activité pour le développement serait  prioritaire ! Le génie de l’intelligence, de l’injonction socratique, en gros des quatre idées maîtresses ci-dessus a toute sa place pour aider à mieux définir les actes à mettre en œuvre. Les voies et moyens pour atteindre et consolider la paix, la réconciliation nationale, la sécurité et le développement économique pour l’émancipation de chaque citoyen centrafricain et pour la République Centrafricaine doivent être recherchés par chaque Centrafricain. Ils impliquent indifféremment tous les secteurs aussi bien de défense et de sécurité, que de l’éducation, de la santé, du développement rural, du transport et des voies de communications, de la diplomatie, de la démocratie, etc. qu’il faudrait traiter de manière parallèle. Néanmoins, les secteurs suivants doivent faire l’objet d’une attention particulière.

 

1 - L’impunité est la problématique majeure de notre pays. Elle demeure la source essentielle de tous les maux qui font et défont les régimes qui se sont succédés à la tête de notre nation. La justice, l’équité, l’honnêteté, le civisme, la légalité constituent les atouts primordiaux pour changer le cours de l’évolution négative de notre nation. Tous ceux qui ont été à la base (et/ou participés aux) des crimes nés des différentes crises doivent être jugés et condamnés. Il est indispensable que le système judiciaire soit effectif et efficace.

-          LA LOI C’EST LA LOI, PERSONNE N’EST AU DESSUS DE LA LOI, PERSONNE N’EST SENSEE IGNORER LA LOI : Dogme de référence ;

-          Définir et appliquer l’Etat de droit ;

-          Le refus de « passe-droit » et la fermeté dans toute décision concernant la justice ;

-          Une justice « juste » et équitable rendue au nom du peuple centrafricain par des institutions fiables ;

-          L’intransigeance dans toutes décisions de justice ;

-          L’indépendance effective de la justice ;

-          La disponibilité et un nombre suffisant des maisons carcérales.

 

2 - La sécurité individuelle, la sécurité des institutions de la République et la sécurité de la nation ne doivent souffrir d’aucune indulgence. L’autorité de l’Etat en dépend. Il s’agit d’enclencher un mécanisme irréversible qui permette au pays de renaître sur le plan sécuritaire. En effet, il faudrait assurer la sécurité intérieure et la sécurité nationale avec la même volonté et la même détermination de défense des droits (dans tous les sens du terme) des citoyens centrafricains. L’actualisation et l’exploitation des recommandations des états généraux de l’armée devraient être le document de référence pour la relance de ces secteurs. Cependant :

-          Au niveau de la sécurisation intérieure individuelle et de la population, il est important de recruter et de former le plus urgemment possible sur la base légale et républicaine les gendarmes et les policiers. L’urgence extrême et prioritaire est à ce niveau. Ces agents doivent être respectés et rémunérés à la hauteur de leur tâche. Leur responsabilité doit servir de base pour la confiance absolue entre eux et la population. Il faudrait impérativement les doter de tous les matériels et moyens possibles pouvant les aider à exercer leur travail dans des conditions extrêmes. Autant les actes héroïques et de bravoure de ces agents devraient être reconnus, salués, cités et primés par l’Etat, autant les actes illégaux, de malhonnêteté d’immoralité et de malveillance doivent être sévèrement punis. Le but ultime est que ces agents puissent se consacrer entièrement à leur travail tout en évitant de succomber à la corruption.

-          Au niveau de la défense nationale, il faudrait procéder à la refondation totale des forces armées centrafricaines (FACA) en considérant son état de décomposition. Il est clair que le travail à mettre en œuvre à ce niveau est très délicat surtout qu’il n’est pas possible de reconduire tous les anciens éléments des FACA. Il en ressort, après observations, que certains sont des repris de justice, responsables d’actes de vandalisme et de banditisme indignes d’un soldat de la République. Ainsi, cette refondation passera par la sélection, le recrutement et la formation d’hommes/femmes compétents et respectueux de la loi et de l’Etat de droit. L’objectif ultime est de constituer une armée d’élite capable de défendre le pays contre des agressions extérieures tout en respectant les considérations primaires de droits des citoyens.  

 

3 – En dehors de la remise en place et de la consolidation des services de sécurité, l’éducation et la santé devraient être intimement associées à la justice et à la sécurité. Les Centrafricains doivent être convaincus que l’instruction et la santé constituent les atouts majeurs pour le développement et la sécurisation du pays :

-          Il faudrait réactualiser les états généraux de l’éducation nationale pour les rendre disponibles et efficients. La revalorisation de la fonction enseignante et le retour à une discipline rigoureuse au sein des établissements scolaires et universitaires ne doivent souffrir d’aucune barrière. La réhabilitation et la construction des écoles publiques (primaires et secondaires) doivent être entreprises afin de parer à l’engorgement des écoles existantes où les classes sont surchargées (200 élèves parfois par classe et par enseignant). Leur dotation en matériels didactiques et le recrutement d’enseignants compétents devraient être considérés comme prioritaire. Quant à l’Université de Bangui, il est absolument nécessaire de réhabiliter les bâtiments, de construire de nouveaux locaux en respectant les normes et les capacités requises. Il faudrait également procéder à une démocratisation et une décentralisation effective des responsabilités au sein de l’Université. La nécessité pour les enseignants du supérieur de choisir eux-mêmes les différents responsables des Facultés et Ecoles Supérieures (Doyen, Chef de département, etc.) constitue un des mécanismes de responsabilisation de ces enseignants. Pire, notre système de formation pêche par un manque de formations pratiques dû à l’absence de matériels de Travaux Pratiques (TP) dans les différents établissements de l’Université de Bangui. Le recrutement des enseignants du supérieur doit répondre aux normes de compétence internationalement reconnues en utilisant le système du Conseil Africain et Malgache pour l’Enseignement Supérieur (CAMES). Enfin, pour éviter l’aspect « porcherie » de certaines écoles privées, leur cahier de charge doit être disponible, clair, précis et respecté. Le contrôle par les services d’hygiène et d’assainissement, le contrôle pédagogique et l’évaluation des enseignants de ces écoles devraient se faire  de manière régulière pour un gage de bonne formation, d’encadrement et de santé publique.

-          Un audit des services de la santé pour ne pas parler des états généraux de la santé doit être réalisé. La santé est un bien très précieux qu’il ne faut lésiner sur aucun effort pour la préserver. L’objectif est d’aboutir à une politique de santé incluant le « droit à la santé et à la protection sociale » pour tous. Il faudrait impérativement créer les conditions de base pour la mise en œuvre de cette politique. Le chemin est parsemé d’embûches réelles et virtuelles mais ne pourraient être insurmontables pour une équipe déterminée et volontariste. C’est ainsi que je propose que le département de la santé publique englobe la sécurité sociale et puisse redéfinir une véritable politique de santé et de sécurité sociale basée sur les différentes branches à savoir : i) branche maladie ; ii) branche des accidents du travail et des maladies professionnels ; iii) branche vieillesse et retraite et iv) branche famille. En arrimant la sécurité sociale à la santé publique et aux affaires sociales, il deviendra facile de pouvoir mettre en place les éléments fondamentaux requis pour envisager une politique de santé basée sur « le droit à la santé et à la protection sociale pour tous » qui au final débouchera sur l’assurance maladie universelle, objectif vers lequel s’oriente toute civilisation moderne et équitable. C’est un outil de promotion de la justice sociale et un facteur de cohésion nationale. Il constituera également le meilleur moyen de lutter contre les faux médicaments, les médicaments de la rue, les médicaments falsifiés qui sont le plus souvent les facteurs responsables de mortalité bien plus importants que les maladies connues et déclarées. Les dysfonctionnements concernant les médicaments ne pourront être combattus que par une politique de santé volontariste et rigoureuse intégrant tous ses corollaires. Ainsi, pour rendre efficace notre système de santé, il faudrait revoir sa structuration et son organisation. Enfin, une politique de santé ne peut être efficace que si les parties ressources humaines ainsi que le plateau technique soient à la hauteur de l’enjeu. Pour cela, il faudrait mettre en place un système de recrutement sans faille de médecins. Dans le cas des Pharmaciens et des Chirurgiens dentistes, sensibiliser et organiser le rapatriement de ceux qui sont formés et résidant à l’étranger afin de parer à l’insuffisance de ces agents dans les hôpitaux et dans le système de santé dans un premier temps. Ensuite, procéder à la formation d’urgence de cette catégorie d’agents en prenant des engagements auprès des Universités des pays amis pour leur formation en exigeant leur retour au pays dès la fin de leur formation. Adapter le numérus clausus de concours d’entrée à la Faculté des Sciences de la Santé au besoin réel, selon une planification rigoureuse, du pays en Médecins (généralistes et spécialistes). Il est absolument nécessaire de doter nos Centres hospitaliers en matériels modernes de diagnostic et opter pour le renforcement de leurs capacités techniques. Les évacuations sanitaires coûtent très chers à l’Etat et ne sont pas souvent efficaces, vu le délai entre l’examen du dossier, l’évacuation proprement dite et l’isolement familial et social dont parfois souffrent les évacués dans un milieu étranger. De plus, la grande masse de la population n’en bénéficie pratiquement pas.

 

4 – Le développement rural (surtout le système agropastoral industriel) a toute sa place dans le schéma de relance du développement économique de notre pays. Il est important de mettre en place une véritable politique agropastorale qui devra déboucher sur son industrialisation. Le pays présente tous les atouts naturels (bonne pluviométrie, des hectares de surface arable disponibles) avec également une disponibilité d’hommes et femmes. L’autosuffisance alimentaire doit être un objectif à court terme avec possibilité d’envisager l’exportation à moyen terme. A long terme, c’est l’introduction de l’industrie agroalimentaire et des exploitations industrielles (coton, café, cacao, etc.). La redynamisation des coopératives agropastorales, la mécanisation et l’utilisation des progrès scientifiques (nouvelles variétés de plantes, le combat contre les virus végétaux, etc.) sont des solutions à adopter très rapidement pour relancer ce domaine.

 

5 – Le transport constitue un autre handicap sérieux pour le développement de notre pays. Le besoin de liaison moins onéreuse et disponible à tout moment avec les ports de Douala (Cameroun) et de Pointe Noire (République du Congo) est évident. Il faudrait envisager l’opportunité de rattacher un tronçon de voie ferrée venant de notre pays au chemin de fer transcamerounais qui, à certains endroits, n’est distant de la frontière centrafricaine que de quelques centaines de kilomètres. Dans tous les cas, le désenclavement intérieur est un défi que le pays devrait prendre à bras le corps. Les enjeux liés aux voies de communication (terrestre, fluviale et aérienne) ne peuvent laisser aucun acteur centrafricain indifférent. Il s’agit d’être visionnaire et lancer un programme de grands travaux qui constituent une véritable source de débouché pour l’emploi. Ce qui permettra de résoudre plusieurs problèmes à la fois : le désenclavement du pays, la disponibilité du travail, la réduction du nombre de chômeurs avec des conséquences sociales bénéfiques qui vont raffermir la cohésion sociale et la paix.

 

Cette contribution a pour objectif de renforcer les apports des uns et des autres quant aux voies et moyens pour une solution effective et durable pouvant juguler les causes directes et indirectes des différentes crises qui ne cessent de secouer notre pays depuis l’indépendance à ce jour. Evidemment, je ne détiens pas la vérité absolue, néanmoins j’estime qu’il faut une véritable conjonction d’idées émanant d’Hommes dignes, libres, désintéressés et engagés pour un véritable changement afin d’enclencher une véritable réconciliation nationale basée sur la sincérité, l’honnêteté et la confiance.

 

 

                                                                                                              Dr Narcisse Patrice KOMAS

                                                             

Chef du Laboratoire des Hépatites virales

Institut Pasteur de Bangui

République Centrafricaine

(05/08/2014)