Les
torchons et les serviettes
Dans
une adresse au peuple centrafricain signée depuis Brazzaville et parue dans un
journal congolais, La Semaine Africaine, mon ami et frère comme nous aimons nous
appeler, le professeur Gaston N’Guérékata relance un vieux débat sur le
fédéralisme, solution ultime selon lui pour sortir notre pays de cette grave
crise qui le menace de disparition.
Les
analyses politiques de nos leaders sont frappées d'un nanisme déconcertant et
surprenant. Je serai tenté de croire qu'il s'agit d'un manque de discernement
pour certains ou d'une incompétence dans un domaine qui n'est pas le leur, donc
à certains égards excusables. Par contre, il existe une autre catégorie de
femmes et d'hommes, fin limiers en politique, qui ne font que des choix
extrêmement pointus mais à courte vue. Aucun n'a une vision globale de la
situation du monde dans lequel nous évoluons. Aucun ne place sincèrement
l'intérêt général en premier. Aucune analyse ne prend en compte les réalités
historiques, géographiques et sociologiques de notre environnement. Les
propositions pour résoudre la crise centrafricaine sont tronquées et démunies de
solutions globalement cohérentes. En d’autres termes, ils piochent ici et là
quelques bonnes idées qu’ils essaient tant bien que mal d'associer pour en faire
une recette ; laquelle au final donnera un repas malheureusement
indigeste.
Le
professeur n'appartient ni à l'un ni à l'autre groupe. De ceux qui aspirent à la
magistrature suprême du pays, il est le moins pollué et certainement le plus
crédible. Il a su à temps se départir des courtisans qui sont légion autour des
leaders politiques, prompts à encenser plutôt qu'à
conseiller.
Ce
faisant, il a jeter le bébé avec l'eau du bain, et s'est privé de respectables
conseillers, des personnalités indispensables en politique, qui lui auraient
sans doute permis de mieux
présenter son projet de fédéralisme.
1
- Sur la méthode
- Ceux-ci pourraient lui dire qu'en politique il n'y a jamais une seule
solution à un problème, donc le fédéralisme n'est certainement pas l'unique
moyen d'éviter l'éclatement de notre pays.
- Ils lui auraient fait
remarquer qu’il serait plus judicieux d'attendre le résultat de la grande
consultation populaire qu’il a lancée, afin de surfer sur la tendance
majoritaire dégagée de cette enquête, au lieu de préjuger de la volonté du
peuple.
2
- Sur le fond
- Une bonne lecture des cahiers de la décolonisation de nos pays lui
aurait rappelé que l'obstacle majeur pour la constitution de ce grand ensemble
que nous appelons tous de nos vœux maintenant, fut l'hostilité, justifiée ou
non, de forces exogènes qui n'ont véritablement pas
changé.
- Convaincus que la
constitution d'une telle fédération n'est possible qu'à la condition de fédérer
des Etats viables et sains, il est impératif que le Centrafrique, notre pays,
redevienne avant toute chose un Etat véritablement souverain et disposant de
toutes ses capacités pour conclure un tel accord.
3
- Sur la stratégie
- Demander au Congo de réfléchir à la possibilité de remettre sur les
rails ce projet de fédération, c'est oublier que ce pays voisin et frontalier a
été jadis l'instrument du rejet du projet fédéral porté par
Boganda.
Dès
lors, avons nous les moyens de peser dans cet ensemble ou bien allons nous être
simplement un poids mort à la remorque des autres nations ? J’estime en ce
qui me concerne que la RCA est plus proche de devenir une province de nos
voisins qu'un Etat partenaire à armes égales. Rappelons-nous, avant de s'engager
dans la voix du fédéralisme, les Rwandais ont d'abord reconstruit leur pays ,
l'ont rendu crédible sur la scène internationale.
Nous
ne pouvons continuer à compter sur l'amabilité de nos voisins, faire semblant
d’être un Etat souverain comme eux,
sans prendre le risque de subir une fois de plus l'humiliation du salon
de Malabo. Les torchons et les serviettes ne se lavent pas dans la même
bassine.
Attendre
tout de la communauté internationale, voilà le mal qui nous empêchera de nous
développer : chaque dollar d'aide publique que nous recevons en don est le
dollar de trop qui nous gardera la tête sous l'eau, au risque de la
noyade.
En
conclusion,
Il
y a mieux à faire, et nous sommes capables de le faire.
D'autres
l'ont fait avant nous ; il nous faut combattre le mal qui est en nous et
autour de nous, sans compromission. Cela prendra le temps qu'il faudra, mais
l'agenda doit être celui des Centrafricains, pas celui de la communauté
internationale, n'en déplaise à ceux qui n'ont qu'une seule envie, celle de
gouverner ce pays, envers et contre tout, que l’Etat soit handicapé ou
paralysé.
L'Europe
a subit plusieurs centaines d'années la domination extérieure. Nous même avions
subi des décennies d'exploitation coloniale et autres avanies. Peu
importe !
En
commençant dès à présent la lutte avec détermination, sans arrières pensées, nos
enfants ou nos petits enfants hériteront d'un pays sain, où il fera bon vivre et
où les nouvelles générations se souviendront de la bravoure de leurs
parents.
Il
ne s'agit plus seulement de faire de la RCA un Etat stable, disposant, de toutes
ses fonctions régaliennes, apte à sécuriser son territoire, disposant d'une
police, d'une justice, d'un système éducatif, de santé publique, mais de rebâtir
une Nation, avec un peuple uni et avec une même idée de la Patrie où tous seront
engagés véritablement à défendre les acquis de la lutte menée, et conscients des
sacrifices consentis.
Voilà
ce vers quoi nous devons tous tendre, en mobilisant toute notre énergie plutôt
que de nourrir de vaines ambitions présidentielles.
L'histoire
se souviendra alors de celles et de ceux qui auront donné leur courage, leur
énergie et leur vie pour sauver la Patrie.
Manoël
MAGEOT
(31 juillet
2014)