Quelques repères sur la RCA et ses
hommes à la veille de la Conférence de Brazzaville qui risque de donner un
caractère confessionnel à une guerre politique, en mêlant allègrement victimes
et bourreaux
Ce texte a été présenté au forum
de Reims le 28 Décembre 2013 et n’a
pas subi de modification .
Dans sa configuration actuelle, la
RCA est une création entièrement coloniale de la fin du XIXe et du début du XXe
siècle, d’une superficie de 622984 km2 .
Située entre les 4e et
11e degrés de latitude Nord la RCA est soumise sur sa grande étendue
au climat tropical ( à saison humide-mai-juin à octobre-Novembre et saison
sèche-novembre à mai ) . Au Nord le climat tropical devient sahélien avec
l’harmattan qui crée une atmosphère de sécheresse .
Les
franges méridionales ( du 4e au 5e degrés ) ont un climat
subéquatorial très humide .
Bangui,
sous le 4e degré de latitude, reçoit annuellement 1600mm de pluie .
Le sort de ce vaste
quadrilatère ( France + Benelux ) a été fixé à la conférence de Berlin du 15
novembre 1884 au 26 février 1885 .
La
seule vraie modification territoriale est intervenue le 1er janvier
1933 où pour des raisons de politique intérieure à l’Afrique Equatoriale
Française, la France a décidé de rattacher le pays Sara au Tchad pour
contrebalancer l’influence musulmane du Nord .
I . LES DIPARITES
REGIONALES
L’impérialisme
français du XIXe siècle a exacerbé les disparités régionales et humaines
préexistantes en fixant des frontières aussi artificielles que rigides .
L’administration coloniale a accentué le phénomène en créant des centres urbains
et en fixant les populations le long des axes routiers .
1.
L’héritage
du passé
Les
populations centrafricaines étaient soumises à une double traite orientale
(arabe) et occidentale entre le XVIe et le XIXe siècle .
A la faveur du développement
de l’islam, trois états esclavagistes : Baguirmi, Ouadaï, Darfour se sont
constitués au Sud du Sahara avec des souverains esclavagistes qui orientent leur
commerce l’Orient via l’Afrique du Nord et l’Egypte .
Chaque
souverain avait un zone où il lançait ses razzias, véritables chasses à l’homme
méthodiquement organisées tant du point de vue militaire qu’économique . Le
Nord-Est de l’actuelle RCA faisait partie de ce que les marchands esclavagistes
musulmans ont appelé le « Dar Madjou « , c’est-à-dire le pays des
infidèles . Cette région naguère décrite par le Cheikh Mohamed El Tounsy comme
riche et prospère à cause de ses industries d’objets en cuivre et en fer et dont
de nombreux vestiges témoignent de l’importance dans la Haute-Kotto notamment,
est aujourd’hui un quasi désert .
Le
XIXe siècle fut dominé par Ziber, Rabah, Senoussi et les Lamibés
.
La traite occidentale était
l’apanage des Portugais ( Pombeiros ) qui avaient installé leurs barracons (
camps d’esclaves ) sur la côte de l’Angola, à Loango . Mais au fur et à mesure
que le bois d’ébène se raréfiait sur la côte, ils se tournaient vers les régions
intérieures de l’Afrique .
Ils
s’appuyaient sur certaines tribus dites courtières qui leur rabattaient le
troupeau humain en échange de la pacotille, de l’alcool de traite, des armes à
feu …Par terre, par voies d’eau (Oubangui, Sangha, Congo ) et par une piste
caravanière que suivra plus tard le Congo-Océan, ces hommes sont acheminés vers
les ports d’embarquement de l’océan Atlantique . Ce trafic dura jusqu’en 1860
environ .
La traite tant orientale
qu’occidentale fut à l’origine du dépeuplement des populations sur le territoire
centrafricain actuel en général, et de la région du Nord-Est en particulier .
Des tribus entières furent anéanties telles les SABANGA ou contraintes à
l’exil : KREICH et K’PALLA .
Avec la pénétration
coloniale française au XIXe siècle les Centrafricains quittaient un joug pour un
autre non moins lourd .
2 .
L’économie coloniale
Le
but de la colonisation était de maintenir la périphérie centrafricaine dans la
sphère d’influence du centre français . Pour ce faire, la colonisation mettait
en contact des sociétés à rationalités différentes . D’une part une société de
l’ordre, traditionnelle aux moyens rudimentaires qui produisait pour assurer
l’autosuffisance de ses membres . Bref, une société sans accumulation primitive
.
De
l’autre, une société du progrès, issu de la Révolution industrielle, imbue de sa
supériorité technologique, intervenant dans le but d’exporter au moindre coût
afin d’accroitre le surprofit que la métropole tirait d’un échange inégal
.
La capitale Bangui créée le
26 juin 1889 par Alphonse Dolisie en amont du seuil de Zinga, témoigne de cette
inégalité en cumulant toutes les fonctions de capitale administrative,
économique, militaire, industrielle, portuaire…sans ville-relais vers
l’intérieur . Elle a regroupé jusqu’à 10% de la population totale à la veille de
l’indépendance . Ses fonctions se sont d’ailleurs amplifiées avec
l’indépendance : siège du gouvernement, des ambassades, usines de montage,
université…aéroport de classe internationale .
II . LES DIFFERENTS GROUPES
ETHNIQUES
Issu
de migrations diverses, le milieu humain centrafricain est assez
hétéroclite : il compte en son sein les hommes les plus petits ( Pygmées )
et les hommes les plus grands ( Sara ) . La carte ethnique du pays évoque
d’ailleurs une mosaïque des peuples, une Afrique en miniature ! cf carte
ethnique
La
RCA est un grand carrefour ethnique en Afrique Centrale .
La migration Bororo
est la seule effectuée en Centrafrique après 1900 .
Le
recensement de 2003 donnait 3 895 000 habitants . Aujourd’hui le
chiffre est de 4 millions 600 000 habitants mais il est peu fiable .
Quoi
qu’il en soit, la RCA est un pays sous peuplé ( moins que la population de Paris
intramuros ! ) . De plus cette population est mal
répartie :
-Nord-Est :
démographie régressive
-Nord-Ouest :
démographie progressive
-Sud-Ouest :
démographie stationnaire
La
ville de Bangui ( nous l’avons déjà dit ) est un îlot de peuplement tout è fait
particulier . Gros village de 2000 habitants en 1900, sa population est passée à
8000 en 1916, 15 506 en 1932, 22 232 en 1939, plus de 30 000 en
1946 et probablement pus d’un demi million de nos jours .
La langue Sango qui est
employée depuis le XIXe siècle comme langue du commerce dans le Haut-Oubangui
est devenue la langue nationale centrafricaine depuis 1960
.
III . BREVE TYPOLOGIE DES
RESISTANCES CENTRAFRICAINES
Devant
les abus et les exactions de toutes sortes, les Oubanguiens ont opposé diverses
formes de résistance .
1 . La force d’inertie ou
résistance passive
« La
grande arme des populations utilisée très habilement et très
consciemment –dès qu’elles ont un motif d’insatisfaction, intérêts
méconnus
ou traditions méprisées- c’est l’inertie, l’esprit de non-coopération, un art
discret mais efficace pour faire échouer toutes les entre
prises »
Henri
Ziegle, Afrique Equatoriale Française, page 171 .
Toutefois
la force d’inertie n’offre pas de garanties formelles de réussite car c’est à
coups de chicotte et de matraque que les auteurs se font rappeler à l’ordre
.
La résistance des
piroguiers N’gbandi du Haut-Oubangui est plus originale : c’est un chantage
subtilement exercé sur les compagnies commerciales au travers du
« kaï »(1) . Ces robustes et solides pagayeurs, conscients de leur
rôle moteur, s’arrangeaient pour vivre du commerce qu’ils sont obligés
d’entretenir . Arguant des difficultés de navigation sur l’Oubangui :
attaque d’un troupeau d’hippopotames, chavirage dans un rapide, tempêtes
subites, mauvaise visibilité…ils détournaient purement et simplement une partie
du convoi qu’ils échangeaient ou revendaient à leur compte . Mieux, ils
réclamaient des compensations pour les veuves et orphelins des victimes . Les
mêmes personnes réapparaissaient plus tard sous des noms d’emprunt pour se faire
réembaucher !
Dès que la résistance
passive n’est plus possible, c’est la fuite .
2 . La
fuite
Dans
la représentation collective des Centrafricains, la fuite devant l’adversité est
un signe de lâcheté, du moins de faiblesse . Pendant les guerres, de valeureux
guerriers préféraient se faire massacrer que de tourner les talons
.
La colonisation, née
d’un rapport de forces inégales bouleverse ces schémas traditionnels . Face à un
ennemi suréquipé, les vertus traditionnelles guerrières de vaillance, de
bravoure et d’honneur ne signifient plus rien .
Il y a plus subtil
encore pour échapper aux mauvais traitements : la conversion massive à
l’islam .
3 .
L’islam-refuge
La
politique pro-musulmane a été inaugurée en Oubangui-Chari par Pierre Savorgnan
de Brazza .
Brazza
qui se faisait volontiers passer pour un Algérien avait arrêté sa politique
vis-à-vis des populations autochtones :
-d’une
part la politique de la canonnière pour les
« animistes »
-de
l’autre, une politique de bienveillance, de coopération et de collaboration avec
les musulmans pour réduire les résistances des peuples « animistes »
et « sauvages » . Ce traitement de faveur accordé aux musulmans à
l’aube de la colonisation a donné naissance chez certains Centrafricains à un
islam de surface fait de salutations interminables, de grands boubous et de noms
musulmans .
Certaines ethnies très tôt
initiées aux mystères du christianisme essaient de retourner les arguments
chrétiens contre les dominateurs en s’identifiant au peuple juif de la Bible .
Ce sont les syncrétismes religieux .
4 . Les syncrétismes
religieux
Les
Yakoma ont choisi le syncrétisme religieux comme exutoire de leurs frustrations
.
Entre 1937 et 1939,
Ambroise M’Béréti, catholique converti au protestantisme crée la secte Kitawala
pour proclamer la liberté et l’indépendance de l’individu ainsi que son droit au
repos et la satisfaction de ses besoins .
Il
est condamné à 5 ans de prison, 5000 francs d’amende, 10 ans d’interdiction de
séjour et résidence forcée à Birao .
En 1945, une nouvelle
société rassemble les anciens fidèles de M’Béréti autour du messie Simon Padi
dit « Nzapa ti ngongo » . On les appelle Kolinga ou Massakata . Leur
signe de reconnaissance : une raie dans les cheveux côté gauche de la tête
pour les hommes . Pour les femmes, c’est un mouchoir blanc sur la tête
.
« Le Dieu tout puissant est le Dieu des Noirs . Il est plus puissant
que
tous les fétiches qu’il faut jeter à la
rivière » .
Certains
chefs créèrent des « no man’s land « dans la brousse
.
5 . Les réactions
spontanées
Les
Boudigris avec à leur tête le chef Yandzéké de Marali refusèrent de venir
s’installer le long des routes et allèrent se réfugier dans un triangle Bossangoa-Bouca-Damara qu’ils
contribuèrent à transformer en no man’s land interdit aux agents de
l’administration coloniale .
Yandzéké et ses principaux
lieutenants furent arrêtés sur dénonciation en 1934,et transférés à Bossangoa
pour jugement . Il fut condamné à mort le 21 mars 1935 par le tribunal du second
degré de l’Ouham, jugement homologué par arrêt du 24 avril 1935 et exécuté le 10
août 1935 de la même année . L’administration procéda à une véritable mise en
scène macabre et tragique . Des aveux lui ont été arrachés sous la torture ainsi
qu’une déclaration favorable à la colonisation
française !
Enfin, le refus peut
être global et c’est la guerre .
6 . La révolte armée :
exemple la guerre de Kongo-Wara
C’est
le chapitre le plus connu de la résistance anticoloniale centrafricaine depuis
la thèse de notre compatriote Raphaël Nzabakomada-Yakoma .
L’insurrection
généralisée des populations de l’Ouest centrafricain de 1924 à
Nous nous contenterons
donc de brosser un bref portrait de l’homme qui l’a initiée, propagée avant de
se laisser abattre le 11 décembre 1928 par le fusil-mitrailleur Pougoulou
.
De
son vrai nom Barka Ngaïnoumbey, Karnou est né vers la fin du XIXe siècle au
village de Seri-Poumba . Son père est le chef Gbayanga Ngaïwen
.
Tout
comme les jeunes de Bouar, Baboua, Bocaranga et Paoua il fut initié à la société
secrète des Labi mais ne devint jamais le chef de cette secte . Karnou n’a
jamais été plus loin que les rives de la Nana et de la Mambéré
.
Il
aurait été inspiré par la chute d’une étoile dans une rivière ou pendant une
pêche . Depuis, il avait des visions, des dons de devin, faisait des miracles et
se déplaçait sur une pierre .
Pour l’administration
coloniale, Karnou n’était autre chose qu’un Zabourou=Diable
.
Non-violent,
il abandonna la sagaie et le couteau de jet pour une canne en bambou appelée
« tikine » en gbaya et un bout de bois en forme de manche de houe,
c’est-à-dire le kongo-wara .
CONCLUSION
Une certaine
historiographie s’est complu à vanter le caractère pacifique du peuple
centrafricain, lui niant toute capacité d’organisation et de lutte . Cette
litanie a fini par gagner certains Centrafricains …
Ce
rapide survol de l’histoire de la RCA se veut une réponse et un démenti formels
. Il n’existe pas de peuple « peureux » par essence . Une société
brimée forge sa propre mystique de la révolte . Elle est toujours capable à un
moment donné de son histoire de revendiquer ses droits et de réaffirmer sa
personnalité au prix de bien de sacrifices .
KOULAYOM-MASSEYO David .
Forum de Reims, 19 juillet 2014
1
. Kaï : convois de
pirogues emmenant du Haut-Oubangui vers Bangui l’huile de palme, le coton, les
oléagineux, le caoutchouc…et ramenant de Bangui les articles de traite :
sel, cotonnades, quincaillerie, alcool .