Roland Marchal,
spécialiste de la Centrafrique, chargé de recherche au CNRS et enseignant à
Sciences Po Paris est à Bangui.
Il
répond aux questions de V.M
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LNC : Mr Marchal, vous êtes en Centrafrique pour une raison particulière
?
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Roland Marchal : Je
suis ici pour une mission dans le cadre du CNRS
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LNC : Quel est votre sentiment d’ensemble sur la situation actuellement ici
?
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R.M :
Disons qu’il y a une grande déception du côté de la Communauté internationale,
et qui commence à se crisper avec ce qui se passe du côté du pouvoir, c’est à
dire rien.
Il
n’y a pas de résultat avec ce gouvernement qui porte bien son nom de
transition.
Les
choses se déroulent indépendamment de la volonté du
gouvernement.
Aucune
dynamique n’est d’ailleurs impulsée au processus de
réconciliation.
- LNC : Un
gouvernement irresponsable ?
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R.M :
Ecoutez, oui ! Le problème principal vient du côté du gouvernement qui ne
contrôle rien.
Beaucoup
de gens, même les centrafricains sont surpris par ce qui se passe. On crée des
commissions à tout bout de champs pour pas grand chose.
Le
gouvernement préfère rester à Bangui pour faire de la rhétorique et des
péripéties. Alors que l’insécurité règne dans les
provinces.
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LNC : Le fait que la présidente de transition Samba-Panza refuse d’aller en
province vous surprend ?
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R.M :
Evidemment !
Que
des voyages à l’étranger, c’est INI-MA-GI-NA-BLE.
Et
cela coûte très cher, et avec toujours plein de
délégations.
100
millions de F CFA par ci 100 millions par là pour ces voyages, c’est énorme pour
un pays comme la RCA. Mme Samba-Panza vient de passer une quinzaine de jours aux
USA, c’est beaucoup.
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LNC : Y a t-il un problème de gouvernance selon vous ?
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R.M : Ce
gouvernement a certainement des excuses, mais pas pour ses absences de
stratégie, de mauvaise gouvernance et des éventuelles corruptions dont on parle
actuellement.
Comme
je viens de le dire, Mme Samba-Panza et ses ministres passent leur temps à
voyager à l’étranger.
Là
j’apprends que le Dialogue national qui était prévu pour novembre sera
probablement repoussé en février 2015. Et en même temps sous quelles formes ?
Avec qui ? Quel en est le calendrier ?
Les
Accords de Brazzaville, c’est bien joli sur le papier, mais ils ne servent à
rien, il n’y a pas d’application.
Quelle
est l’opérationnalité de tout cela ? Et encore faille-t-il le
vouloir.
Il
faut poser des actes. Mais à Bangui, on ne se contente que de
discours.
Je
suis assez amer avec ce gouvernement.
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LNC : Comment parvenir à une pacification du pays avec des groupes armés qui
installent dans le pays anarchiquement des Etat majors militaires
?
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R.M :
Les problèmes ne sont pas les mêmes suivant les groupes armés que l’on
considère.
Car
il ne faut pas appliquer à tous le même type de
négociation.
Or,
le gouvernement ne se contente que de faire des copiers-collés des documents
onusiens.
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LNC : Des élections que l’on vient de repousser, dans un tel climat sont-elles
possible ?
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R.M :
Bien sûr ! Si je devais faire un pari, je dirais fin 2016, mais ce sera
probablement pour 2017.
Ce
n’est qu’une question de volonté et d’argent. Il y a des donateurs pour
ça.
Au
Mali, Hollande avait décidé qu’il y’aurait des élections en juillet 2013, et
cela s’est fait. Alors qu’il n’y avait rien pour ça.
Ici,
on est tout content de dire que l’on a mis en place des cartes d’identité
biométriques.
Pour
des élections, il faut 100 millions de $. Mais quel en serait le sens pour ne
pas radicaliser les communautés ?
Combien
de musulmans doivent retourner au pays avant pour que cela ait une crédibilité
?
Et
puis, il faut avant, qu’un réel processus de réconciliation soit mis en place.
Pour le moment ce n’est pas le cas.
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LNC : Sangaris, Stop ou encore ?
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R.M :
Contrairement à ce que disent beaucoup de gens, la France n’a rien à gagner ici.
Il faut savoir que la Sangaris coûte 800.000 euros par jour à la
France.
C’est
elle la plus engagée dans le pays, les Sangaris ne peuvent pas partir comme ça
!
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LNC : Pourquoi ?
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R.M :
Parce qu’il y a de beaux discours à Bangui, mais il y a les errements constatés
de la Misca qui se retrouvent dans la Minusca.
La
situation actuellement est telle que le retrait français sera retardé, même si
les Sangaris ne demandent qu’à quitter le pays. Surtout depuis que Hollande a
encore ouvert des fronts guerriers ailleurs.
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LNC : Se relève-t-on d’une crise aussi profonde ?
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R.M : Il
y a des choses étranges. Les milieux économiques se lamentent. Beaucoup de
taxes, des levées de taxes sans arrêt. Ils ne peuvent pas renouveler leur
trésorerie.
Ce
n’est pas tout cela qui va inciter les opérateurs économiques à
investir.
Maintenant,
l’Union Européenne se démène. Il vient de mettre en place un grand plan de
développement en 3 phases pour de nombreuses années, et la Banque Mondiale
également se bouge pour la reconstruction économique.
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LNC : Si vous deviez avoir un mot de conclusion ?
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R.M :
Vous savez, le gouvernement centrafricain n’est pas du tout innovateur. Et il y
a ce sentiment d’irréalisme, des délais comme du reste.