Centrafrique : à un mois de
sa mise en place, la Minusca cherche ses hommes. La fuite des villageois de
M'bré victimes d’exactions.
_____________________________________
RFI, le 18 août
2014
Des généraux
casques bleus parlent avec des ex-Seleka à Kaga-Bandoro, le 6 juillet 2014.UN
Photo/Catianne Tijerina
Depuis plusieurs jours, des
villageois fuient le village de M'bré vers Kaga-Bandoro, situé à 4 heures de
route. Ils témoignent d'exactions perpétrées par des hommes armés en début de
semaine. Entre 30 et 40 personnes auraient été tuées. La Misca, la force
africaine de maintien de la paix, assure n'avoir pour l'instant aucune
information.
Le réseau est quasi inexistant
dans la zone de M'bré. Plus aucune autorité locale n'est présente sur place et
ce n'est que grâce aux témoignages de déplacés qui arrivent par petits groupes
que l'information se précise petit à petit.
Ce sont des chefs de village
arrivés jeudi 14 août à Kaga-Bandoro qui ont raconté les faits. Selon leur
récit, entre 30 et 40 habitants auraient été tués en début de semaine, certains
à coups de couteau, égorgés. Un responsable religieux local assure qu'il ne
s'agit que de banditisme pour voler bétail et récoltes.
La Misca non
informée
D'autres sources affirment que
cette attaque a surtout visé des chrétiens, suite à la mort de deux commerçants
musulmans le week-end dernier. Les assaillants seraient des éleveurs bororos qui
occupent traditionnellement cette zone, mais qui ont rejoint la Seleka et sont
désormais armés.
Le détachement gabonais de la
Misca positionné à Kaga-Bandoro assure ne pas avoir été alerté. La force
française Sangaris n'est pas présente dans cette région, et n'est donc pas en
mesure de confirmer les faits.
De source humanitaire, 300
personnes dont 10 chefs de village auraient fui la zone de M'bré la semaine
dernière. Le maire a fui sa ville depuis un mois déjà, et se trouve également à
Kaga-Bandoro. Il réclame aujourd’hui la construction d'un nouveau camp pour les
derniers déplacés qui n'ont pas d'abri et pas assez de
nourriture.
_____________________________________________
par Adrien De
Calan, RFI, le
16 août 2014
Un soldat congolais
de la Misca à Bangui, le 30 mai 2014.AFP/MARCO LONGARI
Le 15 septembre prochain, les
casques bleus de la Minusca seront officiellement déployés en Centrafrique. La
force onusienne prendra le relai des soldats africains de la Misca, qui vont
être intégrés aux troupes de l'ONU.
Mais d'autres bataillons
doivent arriver sur le terrain. Au maximum, 10 000 soldats et 1 800
policiers pourraient être présents en Centrafrique selon la résolution 2419
de l'ONU.
Les Nations unies sont
véritablement les mains dans le cambouis pour préparer le déploiement de cette
force le 15 septembre. « Nous sommes en train de pousser
les feux par tous les moyens », confirme Hervé Ladsous,
secrétaire général adjoint de l'ONU.
Intégrer et
mettre à niveau la MISCA
Un mois avant l'échéance, les
Nations unies cherchent encore des troupes et du matériel. Sur le terrain, il y
déjà les 6 000 soldats africains de la Misca. Ils doivent être intégrés à part
entière aux casques bleus de la Minusca.
Mais cette première étape est
moins simple qu'il n'y parait. « Il y a un sérieux problème de mise
au niveau des normes onusiennes pour ces troupes, reconnaît Hervé
Ladsous. Nous n'arrêtons
pas de faire appel aux différentes organisations et aux différents pays pour
qu'ils aident ces contingents à être aussi bien équipés que
possible. »
Convaincre les
pays contributeurs
Il y a enfin d'autres troupes
qui doivent arriver du monde entier. Au moins 3 500 hommes. Pour le moment,
l'ONU attend des bataillons du Maroc, du Bangladesh, du Pakistan et d'Indonésie.
Les Marocains seraient déjà en partie arrivés. Les autres se déploieront au fur
et à mesure. Le plafond annoncé de 10 000 soldats et 1 800 policiers
ne sera pas atteint au 15 septembre, mais l'ONU espère une montée en puissance
rapide.
« Trouver des contributeurs est
toujours très difficile », témoigne Jocelyn Coulon, directeur
du réseau de recherche sur les opérations de paix. « L'exemple des récentes opérations
sur le continent est révélateur, témoigne-t-il. Je remarque qu'au Mali, un an
après la création de la Minusma, le plafond des 12 600 personnels militaires n'a
pas encore été atteint. On est à 70% de la
force. »
Selon Jocelyn Coulon, la
difficulté - au Mali comme en Centrafrique - « c'est qu'on a voulu mettre
l'accent sur une participation africaine dans ces missions. Or on se rend compte
que l'Afrique, en particulier l'Afrique francophone, n'est pas capable de
fournir des contingents en nombre suffisant. Il faut donc faire appel à d'autres
pays comme l'Inde, le Pakistan et le Bangladesh, qui à eux trois fournissent
près de 40% des casques bleus à travers le
monde. »
Des équipements
encore attendus
La Minusca aura aussi besoin
d'équipements nombreux. Quand la force onusienne aura atteint sa vitesse de
croisière, elle espère disposer de 16 aéronefs, indispensables en Centrafrique
où les routes sont mauvaises. Elle a également besoin de blindés, mais aussi de
véhicules légers, de camions-citernes, d'ambulances...
Mais là encore, il faudra du
temps. Au 15 septembre, il y aura sur les 16 aéronefs prévus un hélicoptère
seulement selon Hervé Ladsous. Les Nations unies se veulent rassurantes et
disent attendre très rapidement d'autres appareils, venus du Sri Lanka
notamment.
C'est la disponibilité et
l'acheminement du matériel qui posent problème. L'acheminement est difficile par
les airs ; l'aéroport de Bangui a une capacité limitée. Et l'accès au reste
du pays reste compliqué compte tenu de l'état des réseaux de transports. Il faut
donc passer par les pays voisins comme le Cameroun, un cheminement long et
coûteux.
L'ONU veut être
présente sur tout le territoire
La Minusca souhaite être
présente sur tout le territoire avec des forces très mobiles, souples et
rapides, capables d'intervenir n'importe où. Selon l'ONU, elle disposera de
24 bases d'opération dans toute la Centrafrique. Ces bases ne seront pas
toutes prêtes au 15 septembre.
« Mais les trois états-majors
régionaux seront opérationnels », assure Hervé Ladsous. Ils
devraient être à Bouar, Bria et Kaga-Bandoro. Cela implique des travaux très
nombreux dans les semaines qui viennent : construire des bâtiments et
préparer quatre aérodromes pour les futurs et tant attendus
hélicoptères...
« Un déploiement sur tout le
territoire est ambitieux mais indispensable », confirme le
spécialiste Jocelyn Coulon. « La Centrafrique détient le record
du nombre d'interventions de paix sur son territoire, analyse-t-il.
C'est la douzième depuis
1997. Et ce qui a échoué jusqu'ici, c'est que les interventions étaient
concentrées sur Bangui et la protection du pouvoir politique. Or, une grande
partie des problèmes et de l'instabilité en RCA proviennent des régions qui ne
voient jamais l'Etat et encore moins les troupes de maintien de la paix, dans le
nord et le nord-est à la frontière du Tchad et du Soudan. C'est toujours de ces
régions que sont venus les groupes rebelles qui ont renversé les gouvernements à
Bangui. »
En Centrafrique
jusqu'à quand ?
Le mandat initial de la Minusca
court jusqu'au 30 avril 2015. Comme pour d'autres opérations de la paix, il est
double. Il faut assurer la protection des civils mais aussi accompagner l'Etat
dans sa stabilisation et sa transition politique. Un travail de longue haleine.
« Une telle
opération de rétablissement de l'autorité de l'Etat doit durer de longues années
pour atteindre ses objectifs. Comme on a pu le voir en Haïti où la mission est
installée depuis 2004, j'espère que la Minusca sera en RCA pour au moins une
dizaine d'années », souligne Jocelyn Coulon, auteur du
Dictionnaire mondial des opérations de paix.
La Minusca, grâce à des mesures
temporaires exceptionnelles, aura enfin le droit d'appuyer l'Etat dans certaines
fonctions régaliennes quand celui-ci sera défaillant. Pour le moment, on a peu
de précision sur ces mesures. Mais Hervé Ladsous, le secrétaire général adjoint
de l'ONU, affirme que la Minusca pourrait procéder à des arrestations, jouer le
rôle de la police, des tribunaux et même de gardiens de prison. « Nous devons mettre fin à
l'impunité », a martelé le haut responsable de l'ONU au micro
de RFI.