Le chef de l'Etat de la transition
a pris goût au pouvoir.
Partie
séjourner quelques semaines sur les bords du fleuve Potomac, dans le cadre de la
69ème session de l'Assemblée générale de l'organisation des Nations Unies,
Catherine Samba-Panza a fait connaître ses réserves pour la tenue des élections
générales en République centrafricaine au mois de février 2015, comme cela était
initialement prévu.
Dans un entretien accordé à « La Voix de
l'Amérique », elle s'est interrogée : « Comment voulez vous que
les élections soient organisées dans un pays où la sécurité n'y est pas et que
l'état civil est quasi inexistant » ?
Cette interrogation laisse à penser que les
autorités de la transition n'avaient pas inscrit cette question en tête de leur
priorité. Les explications données sonnent comme un aveu d'impuissance,
d'incompétence et de complicité objective avec les ennemis de la
démocratie.
1 – Un aveu d'impuissance, d'incompétence et de
complicité.
Aveu de complicité, les autorités de la transition
n'ont jamais porté la priorité d'une consultation électorale dans leur agenda.
Cela n'est pas une nouveauté en Centrafrique. Les scrutins organisés jusqu'à
présent dans notre pays l’ont toujours été sous la contrainte ou la pression de
la communauté internationale. En 1998, il a fallu la médiation du défunt
président Omar Bongo du Gabon pour contraindre le régime du président Ange-Félix
Patassé à organiser des élections qui verront sa réélection. Les mêmes pressions
ont été exercées par le médiateur burundais Pierre Buyoya, commis par
l'organisation internationale de la francophonie, pour obtenir du président
François Bozizé le simulacre de scrutin qui s'est déroulé en avril
2010.
Le leitmotiv est rodé : absence de
financement, manque de moyens matériels et logistiques. En cette année 2014, les
autorités innovent en invoquant l'insécurité généralisée et l'absence d'état
civil. C'est une nouveauté sémantique car la RCA est en état d'insécurité
permanente depuis 1996. C’est un aveu de complicité avec tous ceux qui
s’opposent à la marche de la démocratie en Centrafrique.
C'est parallèlement un aveu d'impuissance car,
Catherine Samba-Panza s'était engagée, dans son discours d’intronisation, à
faire taire les armes. Elle mettait en avant sa condition de femme :
« Je lance un appel vibrant à mes enfants anti-Balaka qui m'écoutent.
Manifestez votre adhésion à ma nomination en donnant un signal fort de dépôt des
armes... A mes enfants ex-Séléka qui m'écoutent, déposez vos armes ».
« A compter de ce jour, je suis la présidente de tous les Centrafricains
sans exclusive ».
Elle considérait alors les rebelles et miliciens
comme de pauvres bougres récalcitrants.
Par leur refus à se laisser désarmer et la
férocité qu’ils ont mis à commettre les crimes les plus abjects, ces derniers
ont clairement fait connaître que la situation requérait un chef de guerre, pas
une « Nounou ».
Au demeurant, en refusant de faire procéder au
désarmement des uns et des autres par la force, en particulier au KM.5, la
Présidente de la transition a participé à la prolongation de la violence et à la
propagation des crimes contre l'humanité qui ont accompagné le retrait des
ex-Séléka vers Bambari et sa région.
Cette impuissance à formuler des directives
claires est un aveu d'incompétence. Celle-ci touche à un domaine essentiel, le
pouvoir d’expression du peuple centrafricain.
Les autorités de la transition savent depuis
janvier 2014 qu'elles avaient à organiser des élections générales au cours du
premier trimestre 2015. Or il a fallu attendre le mois d'avril 2014, soit trois
mois, pour produire le décret portant désignation des membres de l'Autorité
nationale des élections (ANE).
Dès cette décision acquise, il eût été possible
d'établir, avec le concours du ministère de l'administration du territoire et de
la décentralisation, un état des lieux du dispositif électoral, projeter la mise
à jour des listes électorales, recenser les bureaux de vote accessibles,
s'interroger sur la faisabilité de la carte d'électeur biométrique, élaborer le
budget prévisionnel du scrutin et planifier, avec le concours des forces
militaires internationales, le processus de sécurisation des bureaux de vote
retenus.
L'article 43 de la Charte constitutionnelle de la
transition dispose que « le gouvernement élabore la feuille de route de la
transition, assortie d'un chronogramme des élections qu'il soumet à
l'approbation du CSL (comité de suivi de Libreville) et au groupe international
de contact (GIC). Il la présente au Conseil national de transition dans les huit
(8) jours de son adoption en Conseil de ministres ».
Cela a été fait le 27 ou 28 mai 2014, lorsque le
premier-ministre André Nzapayéké a présenté la feuille de route de son
gouvernement devant le CNT.
Dès le mois de juin 2014, il appartenait donc au
président de l'ANE, dont le rôle est de veiller à la transparence et à la
régularité des scrutins, d'appeler l'attention du gouvernement sur les
difficultés susceptibles de gripper le mécanisme électoral et proposer des
solutions alternatives. Rien de tout cela n'a été fait.
Le ministre de l'administration du territoire, qui
était déjà en place dans le précédent gouvernement du premier-ministre Nicolas
Tiangaye, n'aura pas pris la mesure de son département ministériel, totalement
sinistré. Il lui appartenait en effet, toujours au sens des dispositions de la
Charte constitutionnelle, en son article 45, d'élaborer le chronogramme
électoral, lequel « définit les tâches, les différentes étapes, le
calendrier d'exécution ainsi que les responsables des différentes tâches
nécessaires au bon déroulement du processus électoral pendant la durée de la
transition, y compris l'adoption du code électoral et la mise en place et
l'opérationnalisation de l'Autorité nationale des élections
(ANE) ».
Il était donc du ressort du ministère de
l’administration du territoire de mobiliser les autorités préfectorales dans
cette perspective.
Ces diligences n’ont pas été accomplies. Et pour
cause : les personnels préfectoraux, nommés par le précédent gouvernement
dont il faisait partie sont « restés » en place, quand bien même la
plupart de ces derniers avait abandonné leur poste depuis longtemps. Pis,
beaucoup de ces derniers n’avaient pas le profil de l’emploi. Ainsi, le travail
nécessaire d'épuration permettant de remettre l'administration en ordre de
marche n'a donc pas été effectué.
Il est mensonger d'affirmer que les différentes
sources d'archives ont toutes été détruites. Nonobstant la volonté politique et
la tentation du ministre de la sécurité, de l'immigration et de l'émigration de
l’époque, un certain « général » Nourredine Adam, l'ex-Séléka n'avait
pas la capacité stratégique de planifier la destruction totale de l'état civil
en Centrafrique. D'ailleurs, l'Autorité nationale des élections doit elle-même
détenir ses propres archives et registres. Que sont-ils
devenus ?
Au demeurant, faute d'état civil conforme, il
aurait pu être envisagé de procéder à des « audiences foraines »
d'identification des électeurs par les chefs de terre, chefs de village ou de
quartier (conseillers municipaux).
2 – L'appétit vient en
mangeant.
En accédant à la tête de l'Etat, la présidente de
transition s'est laissé entraîner par ceux là qui la présentaient comme une
représentante de la société civile, sans expérience d'administration publique et
sans appartenance politique affirmée.
Mais, comme « l'appétit vient en
mangeant », les délices du protocole d'Etat, l’accoutumance aux honneurs,
la folie des grandeurs et le confort douillet du pouvoir ont convaincu les
autorités de la transition qu’il fallait jouer les
prolongations.
Assurée du déploiement, dès le 15 septembre 2014,
d'une mission de maintien de la paix de l'ONU, le chef de l'Etat de la
transition s'est trop vite persuadée de tenir tête à ses anciens parrains, en
particulier le médiateur congolais, le président Denis Sassou Nguesso, qu'elle
aura inutilement froissé et blessé.
Mise en quarantaine par les chefs d'Etat de la
communauté économique des Etats de l'Afrique centrale (CEEAC), dont elle aura
abusé de la bienveillance, en allant jusqu'à consacrer à d'autres fins les aides
financières généreusement accordées à la RCA pour solder le traitement des
fonctionnaires, la voici de retour dans le giron français.
Elle a ainsi adressé une supplique au président
François Hollande justifiant la nomination, si décriée, de Mahamat Kamoun au
poste de premier-ministre. La voilà de retour dans les bras du président
tchadien Idriss Déby, excipant de sa naissance
lamyfortine.
Certes Catherine Samba-Panza n'a pas l'expérience
de l'administration publique centrafricaine, si l'on excepte son bref passage de
six mois à la tête de la délégation spéciale de la ville de Bangui (maire de la
capitale). Elle a été nommée à ce poste par le chef rebelle et président
autoproclamé Michel Djotodia, aujourd'hui démissionnaire et en exil au
Bénin.
On ne peut cependant dénier au chef de l’Etat de
la transition quelque appétence politique, pour au moins deux
raisons.
La fréquentation des hommes politiques
centrafricains, la perception de leur manière d'être ou de faire, la
connaissance du milieu, et la propension des uns et des autres à perdurer, ne
lui sont pas inconnues.
Cette connaissance du milieu lui vaudra de
co-présider en 2003 les travaux du Dialogue national organisé à la suite du coup
d'Etat du général François Bozizé, et d'être désignée à la tête de la commission
de suivi et d'évaluation des recommandations issues de ce dialogue. A l'époque,
une transition s'était installée et aura duré deux ans, avant que des élections
présidentielles ne soient organisées en 2005 pour confirmer le général Bozizé au
pouvoir. Cette séquence aura nourri l'expérience politique de l’actuelle
présidente de la transition et son habileté maladroite à vouloir faire trainer
les choses.
Contrairement au lieu commun véhiculé depuis sa
nomination en janvier dernier à la magistrature suprême de notre pays, la
présidente de transition n'est donc pas une novice ingénue, dépourvue de toute
expérience politique. Son appartenance à la société civile est un leurre, un
miroir aux alouettes destiné à appâter les procureurs de la classe politique
centrafricaine, suspectée dans son ensemble d'être corrompue et
incompétente ; ce qui est en partie faux.
On l'aura compris, Catherine Samba-Panza est le
produit de cette classe politique, si elle n'en fait pas intrinsèquement
partie.
En déclarant ne pas s'opposer au report des
élections générales prévues en février prochain, sans pour autant se prononcer
clairement sur un calendrier précis, la présidente de transition reproduit par
mimétisme un schéma qu'elle a vu fonctionner entre 2003 et 2005, pendant la
transition mise en place par le général François Bozizé. Il s'agit de perdurer à
la tête de l'Etat afin d'accoutumer le peuple à sa présence.
Pour cela, il faut résister aux pressions
internationales, perçues toujours comme d'insupportables ingérences, et, autant
que faire se peut, ne lâcher prise
qu'à la fin, une fois acquis la certitude d'être en position pour
l'emporter.
Certes, la présidente de transition sait qu'elle
ne peut se présenter au prochain scrutin présidentiel, en l'état actuel de la
Charte constitutionnelle de la transition. Il en va de même pour les membres de
son gouvernement et les membres du Bureau du Conseil national de transition,
lesquels seront ses alliés objectifs s'il fallait modifier les textes.
En effet, la nomination à la Primature de Mahamat
Kamoun, un proche et un familier, n'est pas un caprice, mais un exercice
stratégique réfléchi : la présidente ne court point ainsi le risque de la
destitution. On voit mal l'actuel premier-ministre prêter main forte à une
quelconque manœuvre de déstabilisation de « sa » Présidente, dans le
même temps où ses proches conseillers complotent pour la dissolution et la
refondation du Conseil national de transition.
Tout ceci amène à penser que la présidente de
transition a pris goût au pouvoir et entend y demeurer le plus longtemps
possible.
3 – Pour un retour rapide à l’ordre
constitutionnel.
Mise en place pour une durée maximale de 24 mois,
l’actuelle période de transition arrivera à terme en mars prochain.
Théoriquement, cette durée peut être prolongée, sous réserve de soumettre un
nouveau calendrier électoral à l’approbation du Médiateur de la crise et à
l’autorisation du groupe international de contact.
En effet, l'article 102 de la Charte
constitutionnelle de la transition stipule que « la durée de la transition
est de 18 mois, portés à 24 mois sur avis conforme du Médiateur de la crise
centrafricaine. En cas de nécessité, la durée de la transition peut-être
examinée par la Conférence des chefs d'Etat de la CEEAC sur proposition
conjointe du chef de l'Etat de transition, du premier-ministre et du président
du CNT ».
Mais un tel report renverrait les élections aux
calendes grecques, l’autorité nationale des élections ayant fait connaitre par
ailleurs qu’il fallait neutraliser la période de juillet à octobre pour des
raisons de fortes pluviométries.
La communauté internationale aurait tort de
s’appuyer sur de telles considérations, sauf à ouvrir la voie à des manœuvres
dilatoires, ambigües et manipulatrices.
Rien ne s’oppose à l’organisation d’une élection
présidentielle d’ici à la fin de la transition. Il faut faire confiance à la
Minusca pour sécuriser, le moment venu, les axes de circulation et l’accès aux
différents bureaux de vote.
L’absence d’un état civil fiable n’est pas un
argument dirimant. Par ailleurs, le vote n’étant pas obligatoire, il n’est pas
indispensable de s’appuyer sur le vote de la totalité de l’électorat. On
pourrait ainsi s’appuyer sur le vote des grands électeurs que sont les chefs de
terre, les chefs de village et les conseillers municipaux des métropoles
urbaines. Les uns et les autres ont une parfaite connaissance des conditions
matérielles de vie de la population, ainsi que du parcours individuel des
différents hommes et femmes politiques centrafricains. Ils peuvent se prononcer
en toute connaissance de cause pour donner une légitimité au prochain président
de la République qui aura alors la mission d’élaborer et de soumettre à
référendum la prochaine loi fondamentale.
Le suffrage universel indirect est reconnu par la
Charte constitutionnelle de la transition en son article 20 : « le
suffrage peut être direct ou indirect dans les conditions prévues par la
loi ».
Les autorités actuelles de la transition tiennent
leur légalité de cette même procédure. Il n’est donc pas inique de l’élargir aux
grands électeurs, et non plus la restreindre au microcosme politique
banguissois.
Le rassemblement des grands électeurs serait plus
facile à organiser, le nombre de bureaux de vote serait limité, contrairement
aux prévisions de l’ANE qui en prévoit 4 615, limitation du nombre d’urnes, etc.
Le budget prévisionnel des opérations électorales,
aujourd’hui estimé à un montant de 36.750.000.000 de francs CFA, pourrait donc
être largement revu à la baisse. Quant aux budgets de fonctionnement et
d’équipement de l’ANE, évalués respectivement à hauteur de 718.000.000 et
577.000.000 de francs CFA, c’est pure folie. Il s’agirait presuae d’un budget de
première installation, alors que l’ANE existe depuis 1992. C’est pure
folie !
Vaut mieux faire simple quand on est incapable de
faire compliqué.
Paris, le 29 septembre 2014
Prosper INDO