Le premier de cordée.



La prise de position récente du président Denis Sassou Nguesso sur l'unité politique de l'Afrique, dans le cadre d’une tribune publiée le 13 août 2014 dans le média Atlantico.fr, vient à point nommé ouvrir un débat longtemps éteint. Il s'agit du fédéralisme.

La forme organisationnelle de cette entité n'est pas encore clairement évoquée mais l'idée d'une fédération aux dimensions du continent n'est plus tabou.

Ce débat a été occulté dès 1963 lorsque l'organisation de l'unité africaine (OUA) a déclaré dans ses actes de naissance que les frontières héritées du colonialisme étaient « intangibles », en contradiction avec les objectifs initiaux de la lutte pour l'indépendance.


1 – Bref rappel historique.


En partant de la condamnation unanime du colonialisme et de ses conséquences en Afrique, les partisans de la lutte pour l'indépendance avaient dénoncé par avance les frontières arbitraires tracées par les entreprises concessionnaires coloniales, occidentales en particulier, en fonction de leurs seuls intérêts propres.

Ces frontières internes à l'Afrique ont évolué au gré du temps, faisant apparaître ou disparaître comme par magie des Etats aux contours flous et incertains, divisant des peuples, des ethnies, des tribus voire des familles.

La conférence de Berlin de 1885 a, dans un premier temps, figé les frontières de ces comptoirs européens en Afrique, avant que l'armistice de 1945 ne vint clôre définitivement ce chapitre, en cédant aux vainqueurs de l'Allemagne nazie les territoires sur lesquels ce pays avait prise. Hormis les cas de l'Erythrée, du Sahara occidental et du Sud-Soudan, les frontières actuelles de l'Afrique datent de cette période.

Jusqu'àlors, les tentatives d'intégration africaines se résumaient entre les pays du « pré-carré » français d'une part, et les pays membres du Commonwealth anglais d'autre part. Ces deux pôles s'imposaient tout naturellement, pour des raisons politiques, économiques, culturelles et militaires évidentes. Aujourd’hui, il en va tout autrement, les tentatives de regroupement foisonnent et, parfois se télescopent, souvent s’imbriquent les unes dans les autres, mais demeurent limitées à des objectifs spécifiques, surtout économiques et monétaires, rarement politiques.



2 – Les raisons d'une conversion.


L'argumentaire porté par le président congolais Sassou Nguesso ne repose plus sur la simple condamnation du colonialisme, lequel a créé des entités ethniques aux contours ondoyants et flous, soit par le démembrement des anciens royaumes africains, soit par le regroupement forcé de certains autres. Il s’agissait d’une volonté politique d'affaiblir, par ces jeux frontaliers, l'Afrique dans son ensemble. C’est pour combattre cette tentative d’affaiblissement que les pères de l'indépendance africaine s’engagèrent dans la défense et l’illustration du panafricanisme.

La République du Congo fut cependant le pays d’Afrique centrale qui se montrera le plus farouche opposant à la vision prophétique de Barthélémy Boganda, président fondateur d’une République centrafricaine englobant les quatre territoires de l’Afrique équatoriale française.

Après le démantèlement du royaume Bakongo du roi Makoko par Savorgnan de Brazza, le Moyen-Congo deviendra la terre d'élection de la France Libre sous l'impulsion magique du gouverneur général Félix Eboué, et Brazzaville sa capitale sur décision du général Charles De Gaulle.

Après l’acquisition de l'indépendance en juillet 1960, la République du Congo suivit par la suite des chemins de traverse :



Au prix de mille souffrances, de luttes révolutionnaires et d'une guerre civile, la République du Congo semble se résoudre à la logique fédérale. En se fondant sur l’analyse clairvoyante et lucide des différents conflits en RDC, RCA, Angola, Tchad ou Nigéria, le président congolais réagit à la pression des faits.

C’est donc au regard de ces conflits, qui font de l'Afrique un foyer d'instabilité, que Denis Sassou Nguesso fonde son argumentaire.

C’est en particulier l’analyse de la crise centrafricaine, dans laquelle le président Sassou Nguesso a accepté de jouer le rôle de médiateur, qui conforte ses craintes. Cette crise présente en effet des risques de partition et de sécession d’une partie du pays, sur une base interconfessionnelle, ethnique et tribale.


3 – La logique fédérale peut avoir du sens en Afrique.


Pour avoir un sens, la logique fédérale ne peut pas être le résultat d'un conclave secret entre « bourgeois et laquais » du colonialisme, pour reprendre une phraséologie ancienne ; elle ne saurait être un protocole particulier entre élites se partageant une fois encore les attributs du pouvoir au détriment des peuples. La logique fédérale n'a de sens qui si elle est portée par les peuples. Or, depuis les indépendances, aucun référendum n'est venu interroger les différentes populations africaines sur les procédures et les pratiques du vivre-ensemble.

Chaque Etat-nation a maintenu sa domination « élitiste » en recourant, soit à la force du droit, soit au droit de la force, ou bien en maniant les deux, l'une justifiant l'autre. L'OUA hier, l'Union africaine aujourd'hui, procèdent toutes deux de ces mécanismes : les peuples africains n'ont jamais été directement consultés pour la constitution de l'organisation de l’unité africaine (OUA), ni lors de la transformation de celle-ci en Union africaine ; tout le contraire des peuples européens dans la construction de l'Union européenne que l’Afrique a voulu imiter, au moins dans la forme.


Pour échapper à la malédiction de l’échec, la logique fédérale doit réunir trois conditions :


Pour parvenir à un tel résultat, il faut que les peuples africains soient associés à la démarche et au débat. Seule donc la procédure référendaire peut y faire droit.

A ces conditions, la fédération africaine a une chance de succès, si d'aventure elle venait à y ajouter quelques atouts supplémentaires et non subsidiaires, comme la monnaie ou la langue.

On remarquera que les intégrations sous-régionales qui marchent aujourd’hui combinent les outils politiques, militaires et la puissance économique, en associant dans le même mouvement et en même temps, des pays du « Pré-carré » français et des pays du Commonwealth britannique. C'est le cas de l'Umoa (union monétaire en Afrique de l'ouest) tiré par le couple ivoiro-ghanéen.

En Afrique centrale, l’acte de décès de la Cémac peut être tiré car rien n’y bouge, malgré la désignation récente de l’éminent économiste congolais Pierre Moussa. Les pays pétroliers de la sous-région, en particulier les émirats africains Gabon et Guinée équatoriale, ne jouent le rôle de locomotive qui devrait être le leur. C’est donc vers la Ceeac qu’il faut tourner le regard. En effet, avant d’aller à l’unité politique du continent, à la fédération africaine, faut-il encore consolider ce qui existe et qui fonctionne.


4 – Charité bien ordonnée commence par soi-même.


Il faut remercier le président Denis Sassou Nguesso d'avoir ouvert ce grand débat sur l’unité politique de l’Afrique. En ce qui nous concerne, il nous fait prendre clairement position en faveur de l’idée fédérale.

C'est un débat éminemment politique, mais non partisan, qui ne doit pas être réduit à une tribune technique qui se résumerait en un débat de droit entre constitutionnalistes.

En prenant le risque de ce débat, le président congolais s'oblige. Denis Sassou Nguesso s'oblige à proposer au peuple congolais de se prononcer le premier sur cette problématique et de s'ouvrir aux autres peuples de la région, ceux de la Cémac, mais aussi à l'Angola, Rwanda, Burundi et RDC, c’est-à-dire aux pays membres de la communauté économiques des Etats de l’Afrique centrale, puis au-delà !

La perspective est immense et la tâche « énormissime ». Il faut en effet vaincre des féodalités établies ; il faut convaincre des baronnies iconoclastes ou des susceptibilités princières aux appétits aiguisés.

Les risques d'un échec sont nombreux, parmi lesquels les précédents soviétique et yougoslave méritent examen ; de même que l'échec de la fédération Sénégal-Mali ou Sénégal-Gambie appelle à une analyse approfondie de ces avatars africains.

Il faut également interroger les succès d'expérience aussi exemplaire et durable que celle des Etats-Unis ou de l'Union indienne.

Le fédéralisme ne doit pas être un « machin » destiné à sortir un pays du bourbier politique aux frais des autres pays de la région, comme ce fut envisagé un moment pour la RCA, ni une « pilule » permettant à un homme politique quelconque de se refaire une virginité politique. La logique de l'unité politique de l'Afrique n’aura de sens et quelque chance de succès que si la jeunesse africaine voudra bien y mettre du sien, au lieu de s'enfermer dans les discours suicidaires de repli identitaire, comme celui du type « République du Dar El Kouti » aux si forts relents esclavagistes.

Qui donc résista le mieux à l'impérialisme esclavagiste des sultans Rabah et Senoussi, si ce n'est le roi Makoko du « Bas-Congo »?

En ouvrant le débat sur « l'unité politique de l'Afrique », le président Denis Sassou Nguesso vient renouveler le rêve du panafricanisme.

Pour avancer, il doit se faire violence et être le premier de cordée.


Paris, le 8 septembre 2014

Prosper INDO