Centrafrique : pourquoi la coopération peut sauver le pays

 

La Centrafrique suscite un regain d’attention dans le monde comme jamais elle n’a été l’objet dans son histoire. De la Norvège à l’Afrique du sud et des Etats-Unis à l’Afghanistan en passant par la Turquie et l’Iran, la crise centrafricaine introduit débats et controverses à différents niveaux du pouvoir (médiatique, politique ou religieux)

Annus Horribilis, pourrait-on qualifier l’année 2013 où les rebelles de la Séléka à dominante musulmane ont fait main basse sur le pouvoir à Bangui. Après avoir quadrillé toutes les régions avant de s’adonner modiquement à l’humiliation des populations majoritairement chrétiennes, en détruisant églises, maisons, champs et ce qui représentait l’Etat central, ces combattants avec la complicité des hommes du pouvoir ont conduit le pays à la faillite. « Le régime Séléka nous a amenés là où nous n’étions jamais arrivés avant en termes de crimes, d’abus et de mauvaise gouvernance… », affirme l’Association centrafricaine des droits humains, précipitant ainsi dans l’abîme un Etat déjà vacillant tenu à bout de bras par le régime prédateur de François Bozizé. 

L’éviction du régime  Séléka au pouvoir  en janvier 2014, le refoulement de ses miliciens avec tout ce qu’ils comptent comme troupes armées vers leur pays d’origine, le Tchad, le Soudan, et le cantonnement de certaines dans des camps ont été une victoire à la Pyrrhus ; car très vite, l’espace ainsi évacué et libéré fait se précipiter les milices Anti-balaka requinquées qui se lancent dans un tourbillon de représailles, déterminées à se venger des humiliations infligées aux populations centrafricaines par les matamores Séléka. Ils s’en prennent désormais aux civils musulmans, accusés d’avoir partie liée avec leurs tortionnaires.

Les tensions sont exacerbées parmi les communautés chrétiennes et musulmanes depuis la tuerie des réfugiés de Notre Dame de Fatima le 28 mai. Prises en tenailles entre les miliciens ex-Séléka et Anti-balaka, ces communautés y ont payé un lourd tribut en vies humaines. Les régions du nord et du nord-est de la Centrafrique demeurent en grande partie hors contrôle des soldats internationaux sous l’égide de l’ONU – soldats de Sangaris, de la Misca et de l’Eufor-Centrafrique -- et sont soumises à des incursions permanentes des ex-Séléka provenant de la frontière tchadienne et poussés par l’ambition de la partition du territoire centrafricain, avec le risque majeur de précipiter tout le pays dans le chaos et le bain de sang durable.

L’intervention des contingents internationaux suffit à peine à tenir à distance les groupes armés ex-Séléka  et Anti-balaka sans réussir à les désarmer, comme c’était l’objectif dès le départ. Au nord-est sont confinés les premiers, et au sud les seconds. Selon l’ONG centrafricaine Paix Réconciliation et Tolérance(Pareto), une tentative de dialogue s’est nouée dès la mi-juin entre ces deux groupes, avec à la clé la signature d’un accord qui devrait permettre un cessez-le-feu.

De l’avis même du Ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, « peu de choses ont évolué en Centrafrique… la situation n’est pas encore stabilisée, parce qu’il y a beaucoup de haine, des volontés de représailles et de vengeance, des groupes armés qui ne sont attirés que par des règlements de comptes de court terme », de sorte que seule la perspective du déploiement de 12 000 casques bleus promis par l’ONU en septembre prochain semble être l’alternative de sortie de crise.

Nonobstant ce tableau macabre qui suinte haine, exclusion et appels aux meurtres, des hommes et des femmes veulent croire en une Centrafrique autrement plus conciliante, intelligente et porteuse d’avenir ; un pays où ses ressortissants retrouvent la dignité, le socle de tolérance sur lequel il a été bâti, des meilleures conditions pour travailler, faire des études et vivre mieux. Retrouver ces conditions passe par la coopération entre les gens.

En quoi la coopération ouvre-t-elle de nouvelles perspectives en Centrafrique ?

Coopérer, en voilà une idée pas nouvelle ! De tout temps les hommes y ont recours par réaction aux crises sociales, économiques ou politiques. La coopération introduit dans les relations sociales, économiques et politiques l’unité, un élément cher à la devise de la République Centrafricaine. Or cette unité est aujourd’hui littéralement disloquée au sein de son système  social ; les structures familiale, éducative, économique et  politique sont en lambeaux. Cela a pour conséquence l’individualisme, le repliement sur soi, la perte de l’estime de soi,  des populations en grand nombre jetées dans la précarité, le chômage et la pauvreté ; tout un cocktail de travers réunis faisant perdre aux chefs de familles la dignité et le sens des responsabilités, aux nombreux enfants laissés pour compte le droit à l’éducation et aux soins, aux partis ou aux hommes politiques le sens de l’intérêt général indispensable à la construction d’une nation démocratiquement saine.

Les fils et filles de Centrafrique ont tout à gagner à coopérer ou mutualiser leurs efforts dans divers domaines d’activités. Entreprises, coopératives, associations, fondations… offrent à des citoyens de bonne volonté des tremplins d’une coopération aboutie. Devant les difficultés que connait le pays, ces organismes reconnus pour avoir fait leurs preuves partout ailleurs sont un ressort pour relever des décombres les secteurs effondrés ou laissés à l’abandon comme l’éducation, la santé, l’agriculture, le tourisme… et mettre sur pied le tissu économique et social  indispensable à un développement durable.

La catastrophe qui frappe ce pays ne signifie la disparition ni la fin de son système social mis en place et perpétué par ses ressortissants au fil des générations. Elle doit traduire la capacité de l’Etat à répondre par une série de programmes, de projets de société à caractère social, économique ou culturel, aux besoins des populations. En concomitance, la résilience des  populations, autrement dit leur volonté de se prendre en main pour surmonter les conséquences de la catastrophe est déterminante.

 

Où la diaspora centrafricaine est mise à contribution

Les Centrafricains de la diaspora jouent ou peuvent jouer un grand rôle de par leur apport en matière de transfert  de compétences. Scientifiques, chercheurs inemployés à l’étranger, entrepreneurs, intellectuels, artistes… C’est le juste retour des « cerveaux » dans leur pays d’origine.  Le contexte social et politique était peu favorable à la mise en œuvre de leurs compétences au service du développement ; la stabilité politique ou la garantie sécuritaire sont souvent réclamées comme conditions de retour au pays natal.

La République Centrafricaine peut miser sur sa diaspora en Europe, aux USA, Canada ou dans les pays africains. Le transfert d’argent par la main-d’œuvre diasporale est d’un apport substantiel dans l’économie du pays. Les Centrafricains de l’extérieur peuvent mutualiser leurs efforts pour créer des entreprises ; et du fait de leur double culture, certains sont porteurs d’idées novatrices sur le plan économique et culturel. Bien d’initiatives individuelles ou de petits groupes destinées à pallier les problèmes de survie, à couvrir les besoins de leurs familles ou des secteurs sociaux ponctuels ont été menées jusqu’ici.

La question c’est de savoir comment mettre sur pied un système d’organisation susceptible d’être considéré, non pas comme le traitement ponctuel d’un problème de survie, mais comme la recherche d’une solution durable s’intégrant aux politiques économiques et sociales du pouvoir en place. Ainsi par exemple les initiatives à caractère économique et social portées par les diasporistes dans divers pays africains, notamment dans le secteur de l’économie sociale et solidaire qui a permis à des populations de sortir du circuit de la pauvreté.

Ces initiatives à ras de terre menées par des entrepreneurs sociaux ont remis debout des pans entiers des institutions sociales qui relèvent des prérogatives régaliennes des Etats laissées à l’abandon (écoles, dispensaires …) ; elles ont transformé les frustrations dans lesquelles sont plongées ces populations en énergies positives. Tout autant, la diaspora centrafricaine est consciente de son importance et du rôle qu’elle peut mener dans le domaine de l’économie sociale et solidaire, notamment de la coopération, afin de contribuer au développement du pays. L’unité nationale part aussi du principe que le « moi » de l’individualisme qui se diffuse au cœur des différentes catégories sociales doit faire place au « nous » de la coopération qu’on doit réhabiliter et améliorer. La diaspora ne doit être perçue  comme un problème pour le pays d’origine, ni comme une rivale pour l’administration locale, bien au contraire.

Face à la catastrophe, aux images dévastatrices que présente la République Centrafricaine, le temps est venu pour ses fils et ses filles d’œuvrer pour la remettre en ordre de marche  en proposant des stratégies de relèvement tournées vers un patriotisme de progrès qui rassemble; stratégies qui trouveront leur manifestation dans la volonté même des Centrafricains de construire une narration nouvelle de leur société fondée sur le sens des responsabilités, une page nouvelle de leur histoire.  Ainsi, quand on veut bâtir une nation, il ne suffit pas de créer des institutions ; il faut commencer par susciter chez les gens l’amour de vivre ensemble.

 

Au terme de cette observation, arrêtons-nous un instant et interrogeons le monde paysan  souvent relégué et longtemps ignoré des feux des projecteurs, mais qui recèle en son sein les dépositaires des valeurs traditionnelles riches d’enseignements. Partout dans les savanes africaines on entend les mêmes réflexions des paysans exprimant leur émerveillement devant des tours aux dimensions majestueuses érigées par d’habiles maçons que sont les termites. Tout comme nos valeureux paysans, on peut s’émerveiller. Ecoutons les vieux Bariba du nord-est du Bénin, admiratifs face aux termitières imposantes qu’ils considèrent comme des merveilles de la nature. Elles sont les œuvres d’animaux sociaux aux capacités de coopération et d’organisation sociale remarquables : leur roi, reine, ouvriers et soldats, par milliers ou par millions, sont assignés à une tâche précise qu’ils mènent sans relâche jusqu’à l’accomplissement total de la tour (L’homme et les termitières en Afrique, Abiola Félix Iroko, 2000)

Carlos Mbeti (02 juillet 2014)