Centrafrique : Chroniques douces-amères - 12

"Sans la liberté de blâmer, il n'y a point d'éloges flatteurs" – Beaumarchais

 

Par Prosper INDO

 

La théorie de la neutralité politique frappe encore

On a beau dire, la classe politique centrafricaine ne se renouvelle pas. Avec la nomination du nouveau premier-ministre Mahamat Kamoun, on tente une fois encore de faire croire au peuple que le nouveau premier-ministre est "un spécialiste des finances" éloigné des arcanes politiciennes.

Le même argument a déjà servi lors de la nomination de "l'assureur" Martin Ziguélé. Cette théorie a également été reprise pour "les banquiers" Georges-Anicet Dologuélé et Elie Doté, puis à l'occasion de la désignation du "mathématicien" Michel Archange Touadéra. Et le peuple s'est bercé d'illusions, la formule ayant chaque fois fait pschitt!

Il en ira de même cette fois encore avec Mahamat Kamoun, toute chose étant égale par ailleurs, comme disent les économistes.

 

Le gouvernement Mahamat Kamoun: une affaire familiale.

Après plus de trois mois de gestation difficile, l'accouchement du nouveau gouvernement centrafricain a les allures d'une opération cabalistique? L'ancien premier-ministre André Nzapayéké avait vendu la mèche, il s'agira d'un "gouvernement de remerciement" où les signataires de l'accord de Brazzaville obtiendront des postes de compensation. Le format du gouvernement est aussi connu: cinq nouveaux venus  viendront rejoindre les 20 ministres chargés d'évacuer les affaires courantes.

Par maladresse ou malveillance, la première mouture gouvernementale révélée sur les réseaux sociaux fait la part belle aux parents et proches  affectionnés de la présidente de transition, et de son conseiller spécial devenu premier-ministre. Le refus des partis politiques traditionnels de participer à cette parodie explique sans doute cela. Les voilà donc convoqués dare-dare à Brazzaville en ce lundi 18 août 2014, comme les bourgeois de Calais. L'affaire est d'importance: il faut sauver le "soldat" Catherine Samba-Panza.

Le Médiateur y parviendra-t-il?

 

Mahamat Kamoun premier-ministre? La neutralité politique est un mythe.

Natif du district de N'Délé, le nouveau premier-ministre de Catherine Samba-Panza est présenté comme "un gestionnaire réputé neutre vis-à-vis des groupes armés".

C'est une illusion d'optique: ancien directeur général du Trésor public centrafricain sous le régime du président déchu François Bozizé, et convaincu alors de malversations financières par ce dernier, Mahamat Kamoun a fui aux Etats-Unis fin 2007 où il demanda l'asile politique. Méconnaissant sans doute la procédure judiciaire américaine, il est actuellement persona non grata dans ce pays, ayant rejoint sans autorisation la RCA dès la prise du pouvoir par les rebelles de Michel Djotodia, un parent Runga de Ndélé, dont il devint le directeur de cabinet, poste éminemment politique s'il en est.

A la démission de Michel Djotodia, Mahamat Kamoun fait partie du "package" négocié par ce dernier pour garder un œil aux affaires. A la suite de l'élection de Catherine Samba-Panza comme chef d'Etat de la transition, il demeurera ministre d'Etat mais nommé conseiller spécial de la présidente, sa belle-sœur.  Il aura servi trois présidences.

Vous avez dit opportuniste? Non, personne n'a dit opportuniste!

 

La baudruche "CSP" s'effondre, elle aussi.

On a encore en écho les accents guerriers de la présidente de transition fustigeant les partisans de la partition de la RCA, à l'occasion de la commémoration du 54ème anniversaire de l'indépendance du pays. Or dans le même temps où Catherine Samba-Panza égrenait son discours pontifiant, l'ex-rébellion Séléka annonçait la naissance de la république autoproclamée du Dar-El Kouti!

A ce jour, le chef d'Etat de la transition est restée sans voix devant cette adversité. Les autorités de la transition sont comme le scolopendre, un monstre à deux têtes et mille pattes répulsif mais inoffensif.

La baudruche Catherine Samba-Panza s'effondre donc, définitivement.

 

Nourredine Adam frappé d'une grave crise de personnalité.

Frappé d'une humilité fort subite, le "général" Nourredine Adam, a signé l'acte de naissance de la République du Dar-El Kouti, au titre du communiqué numéro 2 du FPRC (front populaire de la renaissance de Centrafrique) et non plus du n° 260 millionième et un de l'ex-Séléka. A cette occasion, le 1er Vice-président du FPRC, qui devrait étrenner avec fierté son nouveau titre de ministre d'Etat de la défense nationale et de la sécurité du gouvernement provisoire du Dar-El Kouti, continue de se gratifier du titre d'ancien ministre d'Etat de la RCA.

 Assurément, le généralissime traverse une profonde  crise identitaire de dédoublement de personnalité. On comprend en effet pourquoi;  un nouveau communiqué, non archivé celui-là, dément la création de ce nouvel Etat au prétexte que la boîte électronique du "général" Nourredine Adam a été piratée!

Le spécialiste de la sécurité et du renseignement victime d'un hacker? Nul n'est prophète en son pays.

 

Fini de jouer, deuxième partie.

Les affrontements de Batangafo étaient le prélude à l'auto proclamation du nouvel Etat du Dar-El Kouti. Il s'agissait pour l'ex-Séléka d'agrandir son espace politique et d'affirmer la frontière ouest de la nouvelle République autoproclamée  sur une ligne Batangafo-Bouca-Dékoa.

Cette nouvelle auto proclamation  - une manie chez Michel Djotodia - est un pied de nez aux forces internationales et à leurs mesures de confiance. Sans doute les militaires français de l'opération Sangaris étaient au courant de cette forfaiture; on verra dans les jours à venir si les forces internationales sont opposées ou complices en cette affaire.

La réponse est dans la main de la présidente de transition: ou la guerre ou la démission!

 

Seule la merde s'étale lorsqu'on y met le pied, dit l'adage populaire.

Alors que l'heure doit être à l'union sacrée et à la constitution d'un gouvernement de salut public, la classe politique centrafricaine n'en finit pas d'étaler sa médiocrité et son insuffisance: certains rêvent toujours d'être en février prochain le président d'une République centrafricaine totalement exsangue alors qu'ils ont fait hier la preuve de leur lâcheté politique devant l'avènement de l'ex alliance Séléka; d'autres encore, se prenant pour Barack Obama, sillonnent Bangui dévastée dans leur Cadillac Escalade comme s'ils y étaient déjà. Même les militaires des forces armées centrafricaines (FACA), si prompts naguère à la mutinerie, paraissent désormais sans ressorts.

Pour rester poli, disons que la chienlit s'étale.

C'est ainsi que dans la nuit du 19 au 20 août 2014, des affrontements à l'arme lourde se sont déroulés à Bangui, obligeant les Sangaris à solliciter l'appui d'hélicoptères de combat. Il semble que les derniers conciliabules de Brazzaville ne sont pas étrangers à ce regain de tension. Deux camps se font face: celui du président du CNT volant au secours de Karim Meckassoua, récusant le nouveau premier-ministre et demandant ouvertement le départ de Catherine Samba-Panza, et le camp de l'ambassadrice centrafricaine au Congo, Mme Fayanga, appuyée par l'ancien premier-ministre Enoch Dérant Lakoué, tous deux soutiens de la présidente de transition.

Le Médiateur aurait remis à l'ambassadrice une lettre enjoignant au chef d'Etat de la transition de revoir sa copie. Si cette information se vérifie, la dernière réunion de Brazzaville sonne comme un désaveu. La présidente de transition n'est donc plus la Reine-mère, mais une potiche qui doit  abdiquer.

 

Paris, le 20 août 2014

Prosper INDO