Centrafrique : Chroniques
douces-amères – 4
« Sans la liberté de
blâmer, il n’y a point d’éloges flatteurs »
(Beaumarchais)
La partie est loin d’être
gagnée.
A voir la furieuse propension des uns et des
autres à créer des partis politiques en Centrafrique, sans base sociale réelle,
on peut craindre le trop plein et les débordements.
Déjà, anti-Balaka et ex-Séléka surenchérissent
dans le genre. De groupuscules armés, ils rêvent désormais de s’acheter une
virginité politique en transformant leurs mouvements armés en
partis.
Cédant à l’ambiance du moment, certains officiers
subalternes de l’armée centrafricaine annoncent la création la semaine dernière
de l’union des forces armées centrafricaines pour le redressement (UFACAR),
devenue ce week-end l’union démocratique pour la défense de la patrie (UDDP).
Ils se positionnent en soutien à la transition.
Au total, soixante-dix partis politiques piaffent
tous de croquer les per diem d’une prochaine conférence nationale Vérité et
Réconciliation, dont les précédentes ont conduit le pays aux abysses.
Tant va la cruche au puis, elle finit par se
casser !
Ponce-Pilate en Centrafrique.
A la veille des travaux de la communauté des Etats
de l’Afrique centrale à Malabo, en Guinée équatoriale, le général congolais
Jean-Marie Michel Mokoko a accordé une interview à Jeune Afrique dans laquelle
il ne mâche pas ses mots.
Deux éléments ressortent de cette déclaration et
portent en germe les futures crises à venir :
-
la
position de la présidente de la transition et de son premier-ministre à la suite
de l’attentat contre l’église Notre Dame de Fatima est battue en brèche.
« Ceux qui ont crié au complot n’ont pas réussi à nous donner les
preuves ».
-
Je suis
de « ceux qui poussent les autorités centrafricaines à négocier avec tout
le monde », y compris avec le président déchu François Bozizé, convaincu
d’avoir créé et financé une partie des anti-Balaka ; lesquels sont
considérés par le même généralissime d’ "ennemis de la paix " il n’y a
pas si longtemps…
Jouant le proconsul romain en Centrafrique, le
général Mokoko ne craint pas d’avancer que la réunion de Malabo, ce vendredi 27
juin, « donnera des orientations claires… ».
Mon général, on croyait les résolutions du Conseil
de sécurité de l’Onu sur le Centrafrique très claires !
Comme au bon vieux temps de l’Union
soviétique !
Parmi les solutions qui auraient émergé de la
conférence de Malabo, figure le principe de créer deux postes de vice
premier-ministre, attribués l’un aux anti-Balaka et l’autres aux
ex-Séléka !
Une fin de semaine de discussion pour arriver à
cette annonce pittoresque qui ressuscite la défunte nomenklatura
soviétique ! Il est vrai que le Centrafrique est devenu un vrai goulag pour
les populations des quatre coins du pays.
Ainsi s’avance en catimini et sous les manteaux,
l’idée d’une partition de la RCA. Chacun aurait sa part du gâteau : le
pétrole au nord, les diamants à l’ouest, etc.
Une météorite n’est pas une planète, faut pas
confondre.
Une autre idée géniale, sortie du conclave de
Malabo, viserait à confier le poste de premier-ministre à un musulman, au
principe du respect d’un accord secret conclu à N’Djaména en décembre
2013.
Cette question a déjà été tranchée, par deux
fois :
-
une
première fois par l’article 19 de la Charte constitutionnelle de la transition
qui décrit la RCA comme une République et un Etat laïc ;
-
une
seconde fois par le Conseil national de la transition qui a élu Catherine
Samba-Panza à la présidence de la transition, au détriment de son concurrent
malheureux, Désiré Bilal Kolingba, ce dernier ayant axé sa candidature sous
l’éclairage de la foi.
La résurgence de cette idée saugrenue tient sans
doute à l’activisme d’un des prétendants au poste de premier ministrable dont le
portrait, tracé en creux, révèle un habitué des couloirs des cabinets
présidentiels africains francophones.
Donner corps à ce schéma conduirait la RCA à la
guerre civile ; c’est prendre une mesure de circonstance pour régler un
problème de fond. Une météorite n’est pas une planète.
Le conte de Bouki va à la
mer !
La dernière recommandation sortie du conclave des
chefs d’Etat de la communauté économique des Etats de l’Afrique centrale
consiste à proposer la prolongation de la transition et à fixer le retour à
l’ordre constitutionnel en août 2015.
Il s’agit sans doute, pour la communauté
internationale, de reculer pour mieux sauter.
On craint cependant, pour la palanquée de
postulants à la candidature, que l’attente ne soit longue. Ils sont déjà
soixante-dix, à s’être précipités pour déclarer leur candidature, confondant
vitesse et précipitation, comme dans la fable de Jean de La Fontaine, le lièvre
et la tortue.
Ils auraient mieux fait de feuilleter un classique
africain : les aventures de Leuk le lièvre, le livre de Léopold Sédar
Senghor, où le rustre et sournois Bouki l’hyène voit ses rêves tomber à
l’eau.
Malabo ou la suprême
humiliation !
Que restera-t-il du sommet de Malabo ? La
suprême humiliation infligée à la République centrafricaine à travers l’offense
faite à la présidente de la transition.
C’est une image terrible qui devrait interpeller
tous les porteurs de flingues, des anti-Balaka aux ex-Séléka qui, par leur
comportement irrationnel et égoïste, ont précipité un pays au ban des
Nations : Mme Samba-Panza, obligée de quitter la salle de conférence pour
finir par obtenir un siège dans un petit salon décoré aux couleurs pourpres d’un
lupanar, congédiée comme une prostituée éconduit par des clients mécontents,
assise esseulée, sans un verre d’eau ! Pas un seul officiel, centrafricain
ou équato-guinéen, pour lui tenir compagnie alors même que se discutait l’avenir
de son pays.
Tout cela, parce que la RCA est suspendue des
instances de l’Union africaine après le coup de force du 23 mars 2013 où les
lubriques éléments de l’ex alliance Séléka ont pris le pouvoir par la
force ! Le statut d’observateur aurait voulu qu’elle fût traitée avec plus
d’égards et un peu plus de dignité.
Catherine Samba-Panza devrait remettre son
tablier, quitte à revenir devant le Conseil national de la transition pour laver
cet affront.
Le silence assourdissant de l’Ami
français.
Pendant que les chefs d’Etat de la CEAC tenaient
leur conciliabule, la France, partie prenante à la crise centrafricaine à
travers l’opération Sangaris, observe un silence coupable, en particulier sur
les risques de partition du pays.
Au début de cette crise, le ministre français des
Affaires étrangères, M. Laurent Fabius, était un observateur avisé et très
présent en Centrafrique. Depuis Sangaris, le voici comme retiré sur son
Léviathan.
S’il nous entend, qu’il comprenne que la France
doit tenir ses engagements : désarmer les criminels des coalitions Séléka
et anti-Balaka et protéger l’unité et l’intégrité de la ECA.
Paris, le 1er juillet 2014
Prosper INDO