Centrafrique : Chroniques
douces-amères – 8
« Sans la liberté de blâmer, il n’y a point d’éloges
flatteurs »
(Beaumarchais)
Le ministre des mines
limogé !
Un décret du chef de l’Etat de la transition vient de
priver le ministre des mines de son portefeuille, c’est le cas de le
dire.
M. Olivier Malibangar, que personne ne connaissait
jusqu’alors, semble payer le contrecoup de la suspension de la RCA du processus
de Kimberley. Le pays ne peut pas écouler ses diamants, premières ressources
budgétaires de l’Etat. Remarquez, les rebelles de l’ex-séléka et les milices
anti-balaka non plus. Le gouvernement de transition devait s’en féliciter.
Apparemment, Mme Samba-Panza et son premier-ministre ne font pas ce
calcul.
Cependant, limogé un ministre deux mois après
l’annonce d’un remaniement qui ne vient pas et à trois jours du Forum de
Brazzaville sensé commander le format et la composition du nouveau gouvernement,
est-ce bien raisonnable ?
Le duo fait la paire.
Ce n’est pas le titre d’une série allemande de télé,
mais le constat que le premier-ministre et sa ministre de la communication sont
devenus inséparables.
De retour d’un voyage officiel en Turquie, où les deux
responsables politiques ont tenté de convaincre les autorités turques de
s’investir en Centrafrique, André Nzapayéké et Antoinette Montaigne étaient à
Paris le week-end du 29 juin 2014, où ils rencontraient la communauté
centrafricaine ; l’un plaidant les efforts de son gouvernement et l’autre
tentant de vendre son plan de communication pour la réconciliation
nationale.
Deux semaines plus tard, le couple a remis les
couverts en allant tous les deux démarcher le président angolais Dos Santos,
lequel dispense de très bons conseils, à croire le premier-ministre
centrafricain.
Et c’est tant mieux, la ministre de la communication
n’aura pas à tendre la sébile pour vendre son projet.
Bêkou, un fonds fiduciaire pour la
RCA.
Annoncé il y a plus d’une semaine par la ministre
centrafricaine à l’économie nationale, Florence Limbio, le fonds fiduciaire pour
la RCA est en place depuis le mardi15 juillet dernier.
Bêkou, c’est son nom de code, est un fonds
multibailleurs initié par la France mais placé sous l’égide de l’Union
européenne pour cause de discrédit frappant les autorités centrafricaines, tous
régimes politiques confondus. Bêkou est destiné à financer des projets ambitieux
nécessitant beaucoup de main d’œuvre.
Pour un tel objectif, le projet le plus structurant
sociologiquement et économiquement est la création d’un chemin de fer reliant la
RCA aux Océans ; de Bangui à Douala pour le versant Atlantique, et de
Bangui à Djibouti ou Tonga vers la Mer Rouge ou l’Océan Indien.
Mais, dans les conditions actuelles d’insécurité, on
peut tout aussi utilement payer tous les Centrafricains à creuser chacun un trou
puis, le mois suivant, les payer à tous les reboucher. Le revenu global
distribué contribuerait à relancer l’économie.
Que les autorités de la transition ne se méprennent
pas, ce dernier conseil est une hypothèse farfelue destinée à pousser l’analyse
économique à la limite du raisonnement scientifique !
C’est un trait d’humour anglais propre à John Maynard
Keynes, à ne pas prendre au pied de la lettre.
La marche des étudiants « ventilée » à coups
de gaz lacrymogènes.
Organisée par l’association nationale des étudiants
centrafricains (ANECA), une marche devait conduire les manifestants au Palais de
la Renaissance où ils entendaient remettre un mémorandum à la présidente de la
transition.
Le document exigeait « le droit à l’éducation,
des discussions entre le gouvernement et le syndicat autonome des enseignants du
supérieur (Synaes) pour la reprise des cours à l’université de Bangui et le
respect du calendrier académique et du volume horaire des
cours ».
Les marcheurs, habillés en tenue noire – la couleur de
tous les jours au sens de Léopold Sédar Senghor – n’ont pu atteindre leur lieu
de ralliement. En effet, la marche a dû rebrousser chemin, dispersée à coups de
grenades lacrymogènes dispensés par la force internationale
Misca.
Les « soldats intellectuels » comme les
appelle le président de l’ANECA, Kevin Yabada, savent désormais que des
étudiants désarmés méritent moins le respect que les porteurs d’armes. Ils
seraient parvenus à un résultat plus flatteur si chaque marcheur s’était
contenté d’envoyer le mémorandum par courriel à l’adresse mail de la présidence,
quitte à l’engorger.
Parfois, un petit clic vaut mieux qu’une grande
claque.
Le FDPC se rappelle à notre mauvais
souvenir.
Le front démocratique du peuple centrafricain (FDPC),
du « général de division » Martin Koumtanmadji, l’une des nébuleuses
militaro-politiques centrafricaines a fait connaître ces jours-ci qu’il ne
participera pas au Forum de Brazzaville. Pour cause : son président croupit
en prison au Cameroun.
En effet, le « général de division Martin
Koumtanmadji, alias général Abdoulaye Miskine, n’est autre que l’ancien
compagnon de route du président François Bozizé, spécialisé dans la prise
d’otages de paysans contre rançon et le racket des éleveurs peulhs. C’est
l’homme qui s’était vanté « d’avoir égorgé comme un poulet » le chef
de la Garde présidentielle lancé à ses trousses.
Le FDPC ne sera pas à Brazzaville ? Grand bien
lui fasse !
Catherine Samba-Panza préjuge du forum de
Brazzaville.
A l’occasion d’un atelier de concertation à
« l’intention des forces vives de la Nation devant prendre part aux travaux
du Forum de Brazzaville », la présidente de la transition semble préjuger
des résultats de la dite conférence.
« Le Forum de Brazzaville sera la 1ère
étape du dialogue inclusif et de réconciliation entre tous les Centrafricains.
Il sera suivi d’autres étapes à conduire en terre centrafricaine »,
a-t-elle déclaré.
Ce faisant, Mme Samba-Panza préjuge de l’issue
favorable dudit forum, alors que plusieurs forces politiques se sont déclarées
non participantes, dont les 49 partis de l’alliance des forces démocratiques de
la transition et la plateforme religieuse.
En la circonstance, les Canadiens seraient d’un bon
conseil : il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir
tué.
Médecins sans frontières et le nouvel
Exode.
Une étude « systématique » menée par MSF
auprès des Centrafricains musulmans réfugiés au Tchad portant sur 3.449 familles
représentant 32.768 personnes, révèle que 2.599 personnes seraient décédées
entre novembre 2013 et avril 2014, de mort violente.
Selon l’organisation non gouvernementale, l’opération
Sangaris n’aura pas permis d’enrayer les exactions et violences ; celles-ci
ont décliné du seul fait du départ des musulmans. On reste perplexe face à une
étude qui se veut scientifique, mais qui ne considère qu’un seul versant de la
crise centrafricaine. Que Médecins sans frontières veuille contester la thèse
officielle du gouvernement français, suivant laquelle Sangaris a évité un
massacre de masse, soit ! Pas au point de vouloir réécrire une nouvelle
page de l’Exode.
MSF semble frappé du dilemme du prisonnier, ou comment
ne pas déplaire au Tchad.
L’ambassadeur sortant d’Egypte se
manifeste.
Débarqué récemment de son poste d’ambassadeur en
Egypte par la présidente de la transition, sous le prétexte d’un article de la
presse sénégalaise défavorable aux autorités centrafricaines, mais que rien
n’indique qu’il fût l’inspirateur ou le rédacteur, le colonel Saulet sort du
silence et met en doute les velléités de retour au pouvoir des ex-séléka, d’ici
à la fin de cette année 2014. L’officier supérieur se fonde sur les rapports de
forces militaires sur le terrain, 17 000 rebelles contre 12 000 forces
internationales pour pronostiquer la victoire de celles-ci contre celles-là. Il
se trompe, pour deux raisons :
-
les Sangaris
se mettront toujours du côté de la force politique capable de défendre les
intérêts français, en particulier les réserves supposées de pétrole du
nord ;
-
les forces
africaines de la Misca ne se battront jamais, comme avant elles la Fomac ou
Micopax ; ces éléments qui font nombre se contenteront au mieux de rester
en vie pour toucher leurs primes d’opérations à l’extérieur, au pis ils
participeront à la prédation des richesses du pays, en l’occurrence les diamants
et pierres précieuses.
L’ex-plénipotentiaire a cependant raison sur un point,
déterminant : le ressort psychologique des populations centrafricaines
n’est plus le même après tant d’exactions vécues, tout comme le sentiment de
revanche des forces armées centrafricaines, désarmées et humiliées qu’elles
sont. Les unes et les autres sont désormais prêtes à la résistance. Il faut
commencer à l’organiser.
Le sempiternel refrain du premier-ministre musulman
n’est pas fini.
Parmi les partisans du pouvoir musulman, le
journaliste Jean-Yves Ollivier croit savoir que « le drapeau bleu à six
étoiles de la République centrafricaine du Nord flotterait déjà sur N’Délé,
chef-lieu de la RCA septentrionale » s’il n’y avait pas eu l’opération
Sangaris et si le président tchadien n’avait menacé la Séléka de dures
représailles. Il faudrait donc remercier Idriss
Déby !
Quant à la sortie de crise, Jean-Yves Ollivier indique
trois voies :
-
une
transition plus longue que la fatidique date de février 2015 pour des élections
générales ;
-
l’entrée au
gouvernement des poids lourds politiques centrafricains quitte à leur offrir la
possibilité d’être candidats aux prochaines
élections ;
-
la nomination
d’un premier-ministre musulman aux pouvoirs élargis pour cette transition
longue.
On ne se souvient pas que l’Occident ait mis en place
une transition longue pour des élections en Irak, Afghanistan, Libye ou Egypte.
De même, les accords de Libreville du 11 janvier 2013 donnent déjà des pouvoirs
exorbitants au premier-ministre, même si Nicolas Tiangaye ne s’en est pas servi.
En ce qui le concerne, Jean-Bedel Bokassa s’était converti à l’islam avant de
devenir président à vie de la RCA, peu avant son sacre. Notre ami journaliste
semble l’oublier. Si les Karim Meckassoua, Désiré Kolingba, Michel Djotodia et
tous les anciens ministres musulmans du pays veulent postuler au poste de
premier-ministre, ils n’ont qu’à se déclarer, au lieu de se servir de prête-noms
ou de porte-plumes.
A force de vouloir imposer au peuple la conduite à
tenir et le choix de leurs dirigeants, on finit par les convaincre du
contraire.
Paris, le 18 juillet 2014
Prosper INDO