Centrafrique : Chroniques
douces-amères – édition spéciale
« Sans la liberté de
blâmer, il n’y a point d’éloges flatteurs »
(Beaumarchais)
Voyage au pays de la
voyance.
Après le forum de Brazzaville, la
présidente de transition a envoyé son conseiller spécial en mission au Bénin.
Les esprits malins y ont vu le signe d’un rabibochage avec le président
démissionnaire Michel Djotodia, récemment désigné président du front populaire
pour la renaissance du Centrafrique (FPRC), la nouvelle identité politique de
l’ex-alliance Séléka.
D’autres esprits, plus chagrins
sans doute, supputent le contraire : le Bénin étant la terre d’élection du
vaudou, cette mission serait au contraire un retour aux sources de la voyance
destiné à « marabouter » les prédécesseurs du chef de l’Etat de
transition. Djotodia semble confirmer cette interprétation puisque le voici
revenu à de meilleures engeances, se disant prêt à œuvrer pour le retour de la
paix en RCA !
Allons plus loin. Le Bénin étant
le premier pays africain à avoir inventé un Conseil présidentiel de trois
membres et expérimenté une présidence tournante (Hubert Maga, Justin Ahomadégbé
et Sourou Migan Apithy), sans doute la présidente de transition souhaite t’elle
s’inspirer de ce précédent et composer un triumvirat présidentiel alternatif,
Samba-Panza – Djotodia – Bozizé ?
Sun Tse dit : Ne répétez pas
les mêmes tactiques victorieuses, mais adaptez-vous aux circonstances chaque
fois particulières.
François Bozizé et Michel
Djotodia : un duo d’enfer !
Si l’on en croit la Présidente de
transition, les anciens présidents, déchu ou démissionnaire, seront
régulièrement consultés par les autorités de la transition, au prétexte que ces
derniers sont les seuls capables de prendre les décisions, chacun dans son camp.
Voici François Bozizé et Michel Djotodia, les seuls anciens présidents
centrafricains encore en vie, élevés au rang de consultants permanents de
la transition !
Dès lors, entre les sanctions de
l’Onu, des Etats-Unis et de l’Union européenne d’une part, et les consultations
régulières du chef de l’Etat de transition en exercice d’autre part, on se perd
en conjecture.
Michel Djotodia et François
Bozizé, consultants « éclairés » du Palais de la Renaissance, ne se
moque-t’on pas trop ouvertement du peuple
centrafricain ?
Sun Tse dit : Ainsi, le
stratège contraint l’ennemi et ne se laisse pas contraindre par
lui.
L’overdose
ministérielle !
Pour la composition de son
« gouvernement de remerciement », le nouveau Premier-ministre
centrafricain avait annoncé un cabinet de 25 membres, « pour bien
travailler », disait-il. A l’arrivée, la RCA hérite d’un gouvernement de 31
membres, autant que la France qui compte tout de même 68 millions d’habitants,
contre 4,5 millions pour le pays de Barthélémy Boganda.
Mais on pensait avoir tout vu.
Hélas, non ! La composition du cabinet présidentiel vient d’y ajouter son
lot de vingt conseillers, avec rang et prérogatives de ministres d’Etat ou de
ministres, auxquels il convient d’intégrer les 20 autres ministres délégués
nommés conseillers à la primature. Soit un total de 71 ministres, plus que le
gouvernement de la France, de la République fédérale d’Allemagne et du Royaume
d’Espagne réunis ! Même la République populaire de Chine et ses 1,3
milliards d’êtres humains est loin derrière, avec quatre vice-premiers
ministres, cinq conseillers d’Etat et 25 ministres.
En moyenne, un ministre
centrafricain 310 fonctionnaires. A ce tarif, on comprend que ceux-ci ne soient
plus payés.
Sun Tse dit : Si le général
est généreux mais incapable de diriger, bienveillant, mais incapable de rétablir
l’ordre, ses soldats, tels des enfants gâtés, seront
inutiles.
Vous avez dit népotisme ?
Non, personne n’a dit népotisme !
La générosité étant la première
marque de l’intelligence, il faut reconnaître que le premier-ministre Kamoun
Mahamat n’en est point dépourvu. En remerciement sans doute des services rendus,
voici le professeur Bernard Simiti, un proche, nommé ministre de l’enseignement
supérieur et de la recherche. Quant au propre frère du premier-ministre, le
nommé Jacques Ndimenga, il est fait ministre de
l’urbanisme.
Nul n’ira contredire le
Premier-ministre, il a tout d’un grand !
L’adage populaire dit :
Charité bien ordonné commence par soi-même.
Report des élections
générales : le stratagème était couru d’avance.
La RCA ne peut pas organiser des
élections générales en février 2015, comme initialement prévu. La déclaration du
président de l’autorité nationale des élections (ANE), Dieudonné Kombo-Yaya, est
un cuisant aveu d’échec et d’incompétence.
Les raisons avancées pour
justifier cet éventuel report sont budgétaire, technique et sécuritaire. Disons
le tout net : l’insécurité n’a pas empêché l’Otan d’organiser des élections
générales en Afghanistan et en Libye, ni les Etats-Unis d’en faire de même en
Irak dès la chute de Saddam Hussein, ou l’Union européenne en Géorgie ou Bosnie.
Sur le plan budgétaire, l’Union européenne a déjà débloqué 20 millions d’euros
pour la circonstance, et les membres de l’ANE se sont empressés de se doter de
voitures de prestige, au prétexte de déplacements dans les différentes
circonscriptions électorales. Quant à la barrière technique, personne
n’obligeait les autorités de transition à faire le choix d’une carte
biométrique, des techniques manuelles éprouvées existent.
En réalité, le report vise deux
objectifs : prendre l’Onu de vitesse et le mettre devant le fait accompli,
permettre aux membres de l’ANE de continuer à vivre confortablement aux crochets
de la communauté internationale. Ils ont pour nom : Mokomanédé Godefroy,
vice-président, Papénian Louis, Lenga Claude, Mazettte Jacqueson, Bassango
Anatole, Zoko Floris Téléphore, Koyadé Victor, Namkpéa Célestin, Kpanga Nadège
Armelle, N’Dayé-Kongayé Florence, Dibert-Békoye née Sokambi Pierrette, Détoua
Jeannette (avant d’être nommée ministre), Engome Carole (décret n° 1425 du 28
avril 2014).
Il importe de revenir à des
considérations très simples : supprimer l’autorité nationale des élections
et confier l’organisation des élections à un ministère régalien de l’intérieur
rénové.
Sun Tse dit : Une armée
victorieuse l’est avant même de livrer bataille. Une armée vaincue se lance
d’abord dans la bataille et ensuite recherche la victoire.
Nourredine Adam a encore
frappé.
Rien n’arrête plus le
« général » Nourredine Adam, élevé au rang de superstar des ex-Séléka
les prérogatives de 1er vice-président du front populaire pour la
renaissance du Centrafrique. Il vient d’exclure définitivement du mouvement – le
FPRC ou l’ex-Séléka ? - les trois ministres du gouvernement Kamoun censés
représentés l’ex-alliance, pour « haute
trahison ».
Nourredine Adam n’est pas le seul
à faire acte d’autorité. Le MLPC, membre de l’AFDT, vient également de suspendre
la ministre de la Réconciliation nationale, Jeannette Détoua, pour son refus de
démissionner du nouveau gouvernement.
Ces actes d’indiscipline
partisane sont récurrents en RCA ; ils consacrent la théorie du transfuge
et ont un nom : le koudoufaraïsme !
En Centrafrique, être ministre
c’est l’assurance du pain quotidien.
Le chef yakoma dit : la
chèvre va où l’herbe pousse.
La Présidente de transition se
trompe d’ennemi.
Il faut connaître son ennemi pour
mieux le combattre. Prenant ce précepte au pied de la lettre ou convaincue par
son entourage, la Présidente de transition a recruté au sein de son cabinet un
ministre délégué, conseiller en matière de relations publiques, chargé des
nouvelles technologies de l’information et de la communication.
De bien grands mots pour un
service de renseignement chargé d’épier les réseaux sociaux, en particulier ceux
de Paris. Madame la Présidente se trompe d’adversaires, son propre caractère est
son pire ennemi ! Ici, nous sommes tous en faveur de la réussite de la
transition ; elle doit s’en convaincre.
Sun Tse dit : Qui connait
l’autre et se connait lui-même, peut livrer cent batailles sans jamais être en
péril. Qui ne connait pas l’autre mais se connait lui-même, pour chaque
victoire, connaîtra une défaite. Qui ne connait ni l’autre ni lui-même, perdra
inéluctablement toutes les batailles.
La concession de Karim Meckassoua
attaquée à la grenade.
Le domicile de l’ancien ministre
centrafricain des Postes et télécommunications du gouvernement de François
Bozizé, Karim Meckassoua, a été l’objet d’une attaque à la grenade dans la nuit
du mercredi au jeudi 4 septembre 2014, vers 4H40 du matin. L’attentat n’a pas
été revendiqué et les motifs de cette attaque demeurent inconnus, aussi bien que
l’identité des agresseurs.
Karim Meckassoua était candidat à
la primature de la RCA, au même titre que le premier-ministre désigné, Mahamat
Kamoun ; il avait la préférence de la communauté
internationale.
Il convient toutefois de noter
que ce n’est pas la première fois que le domicile d’un leader politique est la
cible d’un attentat. Sous le régime du président François Bozizé, la concession
de son ministre de l’intégration régionale, Marie-Reine Hassène, a été la cible
de tireurs embusqués lorsque cette dernière avait déclaré sa candidature aux
élections présidentielles de 2011. Il s’agit sans nul doute d’un acte
d’intimidation, à moins que quelque esprit malin n’ait monté ce subterfuge pour
poser leur champion en martyr !
Sun Tse dit : Celui qui
pousse l’ennemi à se déplacer, en lui faisant miroiter une opportunité, s’assure
la supériorité.
L’amorce du programme de
désarmement et démobilisation ?
256 combattants de l’ex-Séléka
cantonnés jusqu’alors au camp RDOT au quartier PK11, à la sortie nord de Bangui,
ont quitté la capitale centrafricaine ce jeudi 4 septembre 2014 à bord de cinq
véhicules de l’OMI (office des migrations internationales), à destination de
leurs villes d’origine, Damara, Sibut, Dékoa, Kabo.
« Il s’agit d’une opération
de désarmement et de démobilisation volontaire. Les candidats à ce projet ont
été retenus et formés sur des thématiques liées à la cohésion sociale et à la
réconciliation nationale, avant de retourner dans leur village d’origine, en
contrepartie d’un défraiement de 10.000 francs cfa par personne (15
€).
C’est l’amorce du programme DDR
qui se poursuivra dans les prochains jours pour les volontaires au départ,
originaires des villes de Bambari et Bria. Quelle sera la suite de ce programme
qui concerne 2.000 ex-combattants Séléka cantonnés à Bangui ? Nul ne le
sait encore, les crédits étant épuisés.
Sun Tse dit : Pour parcourir
mille lis en toute quiétude, traversez des régions
inhabitées.
La caravane de la mort poursuit
son tour de Centrafrique.
Après Bambari et ses 80 morts,
Kaga-Bandaro et ses 70 décès, Boda et ses 50 morts en trois jours, 11 morts à
Ngakobo, 5 tués à Nana-Bakassa, et autant à Bouca, Bangui etc…, c’est au tour de
la ville de Bossangoa d’enregistrer deux personnes tuées et plusieurs autres
blessées lors d’affrontements armés, jeudi 4 septembre 2014, entre des miliciens
anti-Balaka et des éléments français de l’opération
Sangaris.
L’incident ferait suite à
l’arrestation du responsable local des anti-Balaka. Les miliciens mécontents
auraient bloqué la circulation pour exiger la libération de ce dernier, provoquant ainsi
l’intervention des Sangaris, chargés de la libre circulation dans la
zone.
En représailles les miliciens
anti-Balaka auraient incendié la maison de l’édile de la ville, soupçonné
d’avoir dénoncé le chef anti-Balaka.
Malgré la présence des 2.000
militaires français et quelques 6.000 soldats africains de
la Misca, les exactions des groupes armés contre les civils continuent. A quand
le grand nettoyage du désarmement des groupes
armés ?
Paris, le 05 septembre 2014
Prosper INDO