Cordélia BONAL 8 décembre 2014 à 17:06
Source :
http://www.liberation.fr/monde/2014/12/08/centrafrique-tout-le-pays-est-a-reinventer_1159378?xtor=rss-450
INTERVIEW
Il y a
un an, le 5 décembre 2013, la France lançait l’opération Sangaris en
Centrafrique. Il s'agissait de désarmer les forces rebelles de la Séléka qui
menaçaient de plonger le pays dans le chaos. Un an et des milliers de morts plus
tard, rien n'est réglé. La Centrafrique reste une vaste zone de non-droit, sous
la pression des groupes armés. Deux mille soldats français sont toujours sur
place (l’effectif devrait être ramené à 1 500 hommes au printemps). La
force de maintien de la paix de l’ONU compte quant à elle 8 600 hommes,
bientôt 12 000. La situation est loin d'être pacifiée, témoigne Delphine
Chedorge, chef de mission Médecins sans frontières à Bangui depuis un
an.
La situation est
la même qu'avant. Il n’y a pas d’Etat, pas d’économie, pas de justice, pas
d’écoles, pas de système de santé en état de marche. Loin du désarmement prévu,
il y a encore plus de gens armés qu’à une certaine époque. Les jeunes,
désœuvrés et désespérés, rejoignent les groupes armés pour avoir le sentiment de
faire quelque chose. Ces groupes sont de plus en plus fragmentés, sans leaders
clairement identifiés, mais de plus en plus divisés selon des lignes ethniques.
Ils continuent à répandre la peur sur les routes, dans les villages, les
quartiers. Les camions sont systématiquement rackettés sur les routes, notamment
celle qui va de Bangui au Cameroun, une voie essentielle pour
l’approvisionnement.
A Bangui même, il
y a des braquages tous les jours. Les magasins sont ouverts, mais à partir de 18
heures il n’y a plus personne dans les rues. Les habitants vivent dans un climat
d'angoisse et d'épuisement.
Les militaires se
sont interposés tant bien que mal dans les massacres en cours, mais ils n’ont
pas pour mandat de remplacer un Etat inexistant. Pas plus que les
humanitaires ne peuvent se substituer à l’Etat sur l’ensemble d’un pays. La
Minusca n’a pas reçu les moyens prévus. Depuis des décennies, la Centrafrique
est dans un cycle de contre-développement. On ne peut pas mettre sur le dos des
militaires un échec qui est d’abord un échec politique.
Il est
impuissant, il n’arrive pas à jouer son rôle. Quand un préfet est nommé dans une
région, il est très vite menacé de mort et contraint à partir. Les habitants
n’entendent pas la parole du gouvernement. Il y a un vrai décalage entre le
discours des autorités internationales, qui décrit une normalisation de la
situation, et la réalité. La réalité, c’est qu’on est tous dépassés. Il ne
s’agit pas seulement de restaurer les services de l’Etat, puisque ça fait bien
longtemps qu’il n’y en a pas en Centrafrique. Tout le pays est à réinventer. Il
est significatif de voir que, à quelques exceptions près, les réfugiés qui
ont trouvé refuge dans les pays limitrophes ne reviennent pas. Le pays n’est pas
en état de les accueillir. Et la blessure communautaire est encore trop vive.
Malgré tout, des milliers de Centrafricains s’accrochent, se battent pour vivre.
Mais il faudra plus, il faut un véritable mouvement
citoyen.
C’est illusoire.
On voit mal comment peuvent se tenir des élections réellement représentatives
alors que l’autorité de l’Etat fait partout défaut, que l’information circule
très mal, que l’insécurité règne. Faute de recensement, on ne sait même pas
combien il y a de gens dans ce pays !
Cordélia
BONAL