L’esprit servile
est-il inscrit dans notre ADN ?
Un fait
d’importance mineure est passé sous silence ces derniers jours, et je m’en veux
de l’exhumer. Il s’agit d’une interview accordée par le quotidien français Le
Figaro à un ancien premier-ministre du président déchu François Bozizé. Cet
entretien semble être le résultat de l’entregent des milieux d’affaires
marocains et français, car il coïncide avec le séjour en visite officielle du
souverain hachémite à Paris.
Outre cet aspect
symbolique, l’intérêt de cette interview tient à trois
considérations :
-
Au journaliste
qui lui rappelle son passé de premier-ministre auprès du général François
Bozizé, il concède, « je n’ai rien demandé. C’est lui qui m’a fait venir à
ce poste » ! Autrement dit, notre homme n’aurait ni convictions fortes
ni personnalité affirmée. Ce qui transparaît par ailleurs lorsqu’il déclare
avoir démissionné dès 2008 pour cause de divergences sur la politique économique
avec François Bozizé. Mensonge en effet, puisqu’il fut le suppléant du même
président qui briguait aussi un mandat de député aux élections de 2010. En
réalité, après avoir quitté la primature, l’ex-premier-ministre est nommé
ministre conseiller économique à la Présidence et jouait le factotum du
Prince.
-
Interrogé sur
son éventuelle candidature aux prochaines élections présidentielles, le même
homme joue la taupe : « Ces scrutins ne pourront pas avoir lieu… La
seule voie possible pour sortir de ce chaos est de mettre en place une vraie
transition. Cela pourra prendre peut-être trois ou quatre ans » ! Au
journaliste Yves Thréard qui lui fait remarquer que cela revient à perpétrer un
coup d’Etat, l’ex-premier-ministre ne se démonte pas : « un coup
d’Etat légal avec l’appui de la communauté internationale ». C’est
l’antienne qu’avaient embouchée les « frères ennemis » aux
pourparlers de Nairobi, Michel
Djotodia et François Bozizé.
-
Que ferait-il à
la place de l’actuelle Chef de l’Etat de la transition ? insiste le
journaliste. « Je tenterais de redresser le pays, en me plaçant
contractuellement sous le contrôle strict de la communauté internationale et
d’une haute autorité de la transition composée de représentants des
organisations non gouvernementales (ONG) ». On
rêve.
A ce stade de la
réflexion, on croit au délire. Faudrait-il que la crise centrafricaine ait causé
un tel dérèglement des mentalités pour qu’un ancien premier-ministre puisse se
distraire du principe de souveraineté et souhaite se dispenser de l’onction des
suffrages du peuple centrafricain ? Certes, le mathématicien René Thom, père de la
« Théorie des catastrophes », dénombre 7 figures types de ces crises
qui affectent aussi bien la nature que le comportement humain. En l’occurrence,
il s’agit ici de la forme la plus simplifiée, le « Pli », c’est-à-dire
une régression. En l’absence d’une politique et d’une vision, l’ex
premier-ministre n’aurait donc pour tout viatique que le recours à la communauté
internationale et la « privatisation » de l’Etat centrafricain en se
plaçant sous la coupe des ONG !
D’où la
question, la servilité serait-elle inscrite dans nos gênes ? Je ne le crois
pas, absolument pas en ce qui me concerne.
1 – Pour un
retour à la légalité.
Il ne suffit pas
de crier au secours pour sortir la République Centrafricaine de la crise. Il y
faut l’esprit d’engagement et de responsabilité de toutes les Centrafricaines et
de tous les Centrafricains. Pour éteindre l’incendie créé par les pyromanes qui
se sont succédés à la tête du pays, il faut une stratégie de sortie de crise et
une politique fédératrice d’après conflit qui rassemblent le
peuple..
Depuis le 5
décembre 2013, la France est au chevet de la RCA à travers l’opération Sangaris.
Dès janvier 2014, une nouvelle transition a été mise en place et confiée à
madame Catherine Samba-Panza, dont le mandat a été prolongé jusqu’au 15 août
2015. Celle-ci tient sa légalité du
vote des membres du Conseil national de transition, et est reconnue par la
communauté internationale, indépendamment de ses qualités intrinsèques propres.
Il appartient
dès lors aux autorités de la transition de conduire la RCA aux élections.
Beaucoup s’inquiètent du climat d’insécurité pour, une fois encore, espérer une
nouvelle transition et bénéficier d’une rente de situation, comme si le rôle de
la communauté internationale consistait à tenir indéfiniment à bout de bras un
Etat failli.
L’insécurité
peut être résolue en désarmant les différents groupes rebelles, selon la théorie
des « Trois vagues » :
-
Installer des
têtes de pont pour neutraliser les responsables de ces groupes armés et autres
milices, coupables d’exactions et de crimes contre l’humanité ; ce doit
être le rôle des Sangaris,
-
Lancer une
offensive de reconquête au-delà de la ligne de fracture
« Bouar-Kaga-Bandoro-Bria », en particulier la restitution des
bâtiments administratifs aux autorités légales et en verrouillant les nœuds de
circulation par les éléments de la Minusca,
-
Stabiliser les
villes acquises et leur environnement, en redéployant les forces de sécurité
centrafricaines reformatées par l’Eufor-RCA.
2 – Il faut
aller aux élections.
La sécurité
publique une fois stabilisée, en particulier dans les principales localités du
pays, il faudra aller aux élections, sur la base de la Charte constitutionnelle
de transition, laquelle interdit à tous les membres des différents gouvernements
qui se sont succédés à la tête du pays pendant la transition de se présenter. A
circonstances exceptionnelles, dispositifs
exceptionnels.
-
Pour y parvenir,
il faut désormais ignorer les désidératas de l’Autorité nationale des élections,
structure administrative dispendieuse et onéreuse, dont les déclarations
contradictoires de son président sèment la confusion. Créée en 1990 dans le
cadre de la conférence souveraine, cette institution, qu’elle s’appelle CEMI ou
ANE, a perdu toute crédibilité. Qu’il suffise au gouvernement de décliner un
chronogramme et de passer la main à la Minusca. Deux modalités se
présentent :
-
Soit organiser
des audiences foraines, dans les villes acquises à la paix, si l’on tient à
asseoir des élections au suffrage universel
direct ;
-
Soit organiser
des élections présidentielles au suffrage universel indirect, en demandant aux
Grands électeurs de se prononcer. Il appartiendra ensuite au président ainsi
élu, pour cinq ans, de promulguer la nouvelle constitution qui aura été adoptée
dans l’intervalle, et organiser les élections générales, législatives et
régionales, y compris la mise en place d’un sénat, dans l’année
2016.
Il est temps de
sortir de la médiocrité ambiante, en faisant preuve d’imagination, d’innovation,
de sincérité et de loyauté.
Paris, le 25
février 2015
Prosper
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