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Un
groupe d'enfants, à Bangui le 9 mars. Crédits : © Stringer .
/ Reuters
Agir
à court terme en pensant à long terme : un véritable changement de paradigme est
à l’œuvre en République centrafricaine pour les acteurs du développement. Un
moment charnière, impliquant de concilier l’urgence et la stabilité des actions
à déployer. Victime de vingt ans de mauvaise gouvernance structurelle, embourbé
dans une crise majeure depuis mars 2013, le pays affiche des indicateurs
particulièrement dégradés.
Paradoxalement,
« n’étant pas considéré en crise par la communauté internationale, il bénéficie
de peu de financements », souligne Thierry Vircoulon, directeur du programme
Afrique centrale d’International Crisis Group, intervenant lors d’une conférence
organisée au siège de l’Agence française de développement (AFD), le 9
décembre.
La
situation en RCA a ceci de particulier qu’elle s’apparente à de l’urgence sans
en relever, d’où un manque de moyens compliquant le travail des ONG déployées
sur le terrain (Croix-Rouge, MSF, ACF, Première
Urgence...)
«
Indicateurs au vert »
«
En 2012-2013, la RCA a souffert d’une absence de financements, d’où la
difficulté pour les ONG de répondre aux besoins de base comme la santé, constate
ainsi Fanny Martin-Blondel, responsable régionale pour Première Urgence. Si on
note une amélioration depuis février, le pays est loin d’être sorti d’une
situation d’urgence : il est trop tôt pour que les ONG se retirent. En même
temps, il ne faut pas attendre que tous les indicateurs soient au vert pour
commencer à envisager des solutions durables. »
Un
état de fait qui a conduit l’AFD à « bouger ses lignes sur une approche globale.
On sent bien qu’on est obligés de réfléchir à notre mandat, concède Philippe
Chedanne, directeur adjoint du département Afrique de l’Agence. C’est pourquoi
nous avons eu le sentiment qu’il y avait une réponse européenne innovante à
monter, permettant de conjuguer actions d’urgence traditionnelles et actions de
développement rapides. Face à des défis où nous n’avons aucune marge de
manœuvre, nous avons instauré un dialogue de proximité avec des partenaires qui
n’étaient pas les nôtres, traditionnellement. »
Alors
que la communauté internationale affiche un bilan mitigé en matière de
stabilisation et de reconstruction post-crise, la perspective d’un outil
innovant permettant de mutualiser expertises et financements a fait son chemin.
Officialisé en juillet pour cinq ans par la Commission européenne, le fonds
Bêkou (« espoir », en langue sango) vise à combiner des projets simples,
flexibles et à décaissement rapide et des projets de moyen terme afin
d’accompagner la restructuration des secteurs
prioritaires.
Des
objectifs plus ambitieux
Abondé
à hauteur de 74 millions d’euros grâce aux contributions de la Commission
européenne et des agences de développement française, allemande et néerlandaise,
il est ouvert aux autres Etats européens, aux bailleurs internationaux et aux
fondations. « Tous les Etats-membres sont les bienvenus, mais ils ne sont pas
tous aussi sensibles à la situation de la Centrafrique », relève Irchad Razaaly,
le gestionnaire de la Commission. Ce dispositif permet de sortir d’un schéma
d’intervention traditionnel inadapté. « À l’AFD, en temps normal, l’instruction
d’un projet prend un an, neuf mois au mieux, précise Philippe Chedanne. Nous
avons besoin d’un outil flexible, de solutions qui puissent être mises en œuvre
dans les trois mois. »
L’idée
est d’avancer progressivement, avec des objectifs de plus en plus ambitieux,
reposant sur des priorités définies avec les autorités de transition du pays,
représentées dans le comité d’administration et le comité de gestion du fonds.
C’est ainsi qu’une première salve de projets a été approuvée le 29 septembre
2014, à hauteur de 21,5 millions d’euros. Un projet d’appui à la santé
comprendra la réhabilitation des centres de soins, la formation du personnel, la
mise à disposition de stocks de médicaments et de capacités de stockage, ainsi
qu’un soutien au ministère de la Santé, de quoi améliorer l’accès à la santé
pour 760 000 personnes.
Un
deuxième programme vise la remise en état des infrastructures publiques à Bangui
via l’emploi de la population locale, conjugué à une formation. Le troisième
ambitionne d’aider les femmes à sortir de la pauvreté grâce à des « maisons de
femmes », où elles pourront bénéficier de conseils et de formations mais aussi
accéder à des services financiers pour créer leurs propres activités
économiques.
«
Premiers coups de pioche »
«
Le fait de passer par des ONG internationales constitue un gain de temps, car
elles ont déjà satisfait, lors de procédures antérieures, au crible de
l'évaluation. De plus, elles sont déjà sur le terrain, explique Irchad Razaaly.
Nous leur demandons de développer des projets de développement, tout en
répondant à des besoins immédiats. » Pour les trois projets adoptés, elles sont
en cours de sélection et il est acquis qu’elles travailleront avec des ONG et
des acteurs locaux. « Les premiers coups de pioche seront donnés avant la fin de
l’année », assure-t-il.
Deux
autres projets en phase d’élaboration ont vocation à être adoptés dans
l’intervalle, cette fois dans le champ de la sécurité alimentaire (10 millions
d’euros) mais aussi en soutien aux réfugiés centrafricains dans l'est du
Cameroun (4,5 millions d’euros), en répondant à leurs besoins
immédiats.
Une
certitude à ce stade, « l’aide internationale ne va pas régler la crise en RCA :
c’est un outil d’un ensemble qu’il va falloir articuler », relativise Thierry
Vircoulon. D’où la nécessité d’assurer un continuum
humanitaire-sécuritaire-développement. Malgré le déploiement de trois unités
militaires distinctes (Sangaris depuis décembre 2013, dont les effectifs vont
être divisés par trois l’an prochain, Eufor-RCA depuis fin avril et la Minusca
depuis la mi-septembre), les groupes armés contrôlent toujours une bonne partie
du pays et les violences visant la communauté musulmane n’ont pas été endiguées.
Faute d’issue politique en 2015, la perspective d’une partition du pays et de la
récupération du conflit par d’autres groupes armés, Boko Haram en tête, demeure
bien réelle.
Fanny Rey
Quelques
indicateurs :
420
000 Centrafricains (près d’un dixième de la population totale) sont réfugiés
dans les pays voisins
430
000 déplacés internes, dont 40 000 à Bangui
PIB/hbt
= 182/187
IDH =
185/187
Espérance
de vie = 49 ans
63 %
de la population en-dessous du seuil international de
pauvreté
En
savoir plus sur
http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/01/06/centrafrique-nouvelle-strategie-pour-une-sortie-de-crise_4550018_3212.html#e4goe1YmSqfGhfB5.99