Rapport
parlementaire sur le stress-post traumatique des militaires - soldats français en Centrafrique
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Soldats
traumatisés de Centrafrique : vivre avec "ces images"
par
Mathilde Lemaire mis
à jour le mercredi 4 février 2015 à 08h54 -
franceinfo.fr
D'après
un rapport parlementaire, les soldats rentrés de Centrafrique souffrent plus que
les autres de stress post-traumatiques © Mathilde Lemaire /
RADIOFRANCE
Les
soldats français de retour de Centrafrique sont particulièrement traumatisés.
Deux députés - Olivier Audibert-Troin pour l'UMP et Emilienne Poumirol pour le
PS - viennent de publier un rapport alarmant sur l'impact psychologique de cette
guerre sur les militaires français qui s'y sont engagés depuis décembre 2013. Au
moins 12 % seraient atteints de stress post-traumatiques.
Il
veut rester anonyme. Nous l'appellerons Sylvain. Il a une vingtaine d'années.
Sylvain est un fantassin, un soldat d'infanterie, au plus près du terrain. Le
garçon a souvent le regard dans la vague quand il évoque sa mission en
Centrafrique. Il est rentré il y a seulement quelques mois, "changé"
dit-il. Changé par ce qu'il a vu là-bas et qu'il n'a pas pu empêcher. Des
souvenirs qui ne le quittent plus : "On a été surpris. On
ne s'attendait pas à ça. C'était quotidiennement des corps sans tête repêchés
dans le fleuve, ou retrouvés calcinés au bord de la route, même des enfants. Des
personnes mutilées à coup de machettes par la foule en rage qui venaient vers
nous pour trouver du secours. Tout cela, c'était monnaie courante. Est-ce qu'à
19 ou 20 ans, même si on est militaire, on est prêt à voir ça et à l'encaisser.
C'est une question que je me pose. Pour moi, ça fera à jamais partie de mon
quotidien. J'y pense très souvent, et je me pose la question de l'utilité de ce
qu'on a fait. Est-ce que tout cela avait un sens, un but.... je ne suis pas
sûr", s'interroge le jeune homme visiblement
marqué.
"Ça
fera à jamais partie de mon quotidien"
Les
traumatismes proviennent des atrocités dont sont victimes les civils, et des
combats très rapprochés contre des ennemis mal identifiés © Mathilde Lemaire /
RADIOFRANCE
Face
aux enfants soldats
Les
images terrifiantes et le sentiment d'impuissance ont fait de la Centrafrique
une mission particulièrement traumatisante. Il y a aussi la nature des combats :
pas d'ennemis clairs comme en Afghanistan ou au Mali. Les menaces sont
difficiles à identifier, la mission est complexe. Sylvain nous montre sur son
ordinateur une scène filmée sur place.
Les assaillants - des
miliciens - sont si proches qu'on distingue leurs visages. Parfois difficile de
ne pas les confondre avec des civils au milieu des arbres et maisons. On voit
des combats de rue dans un village et des soldats français qui se tordent de
douleur touchés par des éclats de grenades.
"Ce sont des combats
très rapprochés, à moins de
Je
ne repartirai plus
Sylvain
parle aussi des cauchemars, des accès de violences de ses camarades les plus
traumatisés. Dans son groupe, trois sont en arrêt maladie. Déjà usé, Sylvain
quittera l'armée à la fin de son contrat dans quelques mois, comme l'ont déjà
fait d'autres de ses camarades rentrés de Bangui.
Y
avait-il un moyen d'éviter les traumatismes de ces soldats ? Après tout, la
guerre est forcément quelque chose de difficile, d'insupportable. La guerre fait
des morts, c'est une évidence. Mais il semble qu'on aurait pu réduire l'impact
psychologique sur le contingent si l'intervention française avait été plus
adaptée. Au sein de l'armée, des voix s'élèvent pour dire qu'on n'a en fait pas
appréhendé cette opération en Centrafrique comme il le fallait. C'est ce que dit
par exemple Michel Goya, colonel en retraite depuis un mois qui a participé à
beaucoup opérations extérieures au cours de sa carrière. Selon lui, Paris a
envoyé en Centrafrique 2000 hommes là où il en fallait
10 000.
"La Centrafrique, ça
n'est pas une guerre au sens classique du terme. C'est une mission de
stabilisation sans ennemi déclaré. Il faut se méfier de tout le monde, tout le
temps. La menace est complexe. Et pour faire cesser le chaos, il n'y a qu'une
seule solution, c'est une présence massive. Il faut beaucoup de monde. Or, on
n’a pas mis les effectifs suffisants. Loin de là. Ce qui fait qu'on a placé nos
hommes dans une situation délicate. Ils doivent courir d'une explosion de
violences à une autre. Ils doivent désarmer les uns, mais n'ont pas le temps de
désarmer les autres et s'exposent à des représailles. Cela est très frustrant
pour eux, cela procure une grande vulnérabilité, un sentiment d'impuissance. Et
c'est très difficile à vivre moralement", argumente Michel
Goya.
Pour
autant, la Centrafrique n'est pas la première mission qui occasionne des
séquelles psychologiques graves chez les soldats français. Le phénomène a même
été identifié dès la première guerre mondiale. La question est donc peut-être
plutôt celle de la gestion de ces troubles chez ces soldats
brisés.
L'armée
m'abandonne
Il
y a des psychiatres du service de santé des armées mais aucune consultation
systématique. Il y a aussi un numéro vert. Et depuis 2008 un sas : avant c'était
trois jours à Chypre, désormais ce sont deux jours à Dakar. Les militaires se
retrouvent sans pression dans un hôtel "4 étoiles" avec piscine, massages et
surtout groupes de paroles avant de retrouver leur famille en France.
Mais
tous les militaires ne passent pas par ce sas. Et puis, on sait que les stress
post traumatiques se déclarent souvent après, quelques fois plus d'un an
après.
Ça
a été le cas pour Frédéric Wieser, la quarantaine, soldat des forces spéciales,
13ème régiment de dragons parachutiste de Martignas en Gironde. Pour lui, pas de
sas au retour d'Afghanistan, et une très grande solitude après, au point qu'il a
quitté l'armée.
"Il n'y a aucun de
soutien de personne pour des garçons comme moi. Ma hiérarchie n'a pas voulu
entendre parler de mon syndrome de stress post-traumatique. C'était comme un
tabou. Je me suis même senti montré du doigt au point que j'en ai eu
honte", explique le militaire. Quand il a enfin vu un psychiatre de
l'armée que son épouse l'avait poussé à solliciter, Frédéric Wieser a été mis en
arrêt maladie pendant un an. "J'avais interdiction
de me rendre à la caserne. C'était très dur. Je me sentais seul, isolé. Il n'y a
que les camarades les plus proches qui m'appelaient parfois pour prendre de mes
nouvelles. Les autres n'ont téléphoné que pour savoir quand je comptais
reprendre. J'ai essayé mais finalement je n'ai jamais réussi à
reprendre", se souvient-il.
"J'ai donné ma vie
pour l'armée. En retour, j'ai eu cette attitude brutale. J'ai une grande
amertume à l'égard de l'institution. Je rêvais de faire toute ma carrière dans
le monde militaire. Mon rêve s'est envolé parce que je n'ai jamais réussi à y
retrouver ma place", raconte le parachutiste
ému.
Des
soldats comme Frédéric Wieser qui quittent l'armée, c'est difficile bien sûr
pour eux. C'est du gâchis aussi pour l'armée elle-même : ce sont des hommes
expérimentés qu'elle perd. Une déperdition de capital humain.
Les
deux députés auteurs du rapport qui vient de paraitre préconisent un comité de
suivi, de meilleurs statistiques, une réintégration dans les régiments des
hommes qui sont en arrêt maladie. Des préconisations de parlementaires? Bien peu
de choses pour le moment aux yeux des militaires abîmés par leurs
missions.
Rapport
parlementaire sur le stress-post traumatique des militaires
N 2470 _ASSEMBLÉE
NATIONALE
CONSTITUTION
DU 4 OCTOBRE 1958 QUATOR ZIÈME LÉG ISLATU RE
Enregistré à
la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 décembre
2014.
R
A P P O R T D ’I N F O R M A TI O N
DÉPOSÉ
en
application de l’article 145 du Règlement
PAR
LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES
ARMÉES
en conclusion
des travaux d’une mission d’information sur la prise en charge des blessés
et
présenté par M.
OLIVIERAUDIBERT-TROIN ET Mme ÉMILIENNE POUMIROL, Députés.
Publié
le : mercredi
4 février 2015
Le Rapport en
PDF :
Rapport
parlementaire sur le stress-post traumatique des militaires
Opération
Sangaris en Centrafrique: quand le retour des soldats vire au
cauchemar
RMC
M.Ricard avec Stéphanie Collié Publié le 04/02/2015 à 07h44 -
rmc.bfmtv.com
Le
retour des soldats français est bien compliqué - © AFP
Sangaris,
le dur retour à la réalité. Il y a un peu plus d'un an, les soldats français
arrivaient en urgence dans les rues de Bangui, la capitale centrafricaine. Mais plus de 12 mois après, l'insécurité demeure. A tel
point que, les militaires engagés ne s'attendaient pas à une mission aussi
difficile. Certains rentrent blessés physiquement, d'autres atteints de
blessures dites "invisibles" : des traumatismes psychiques que l'on appelle
"syndrome de stress post-traumatique".
Celui-ci
se caractérise par des cauchemars, des violences parfois et une incapacité à se
réhabituer à la vie quotidienne. En clair, le corps du soldat est là, mais son
esprit est resté au front. C'est le cas de Sylvain (le prénom a été modifié,
ndlr), 25 ans, rentré de Bangui il y a quelques mois. Alors qu'il a connu
d'autres terrains d'opérations, notamment les Comores, ce soldat est rentré très
marqué, très atteint par ce qu'il a vu en Centrafrique.
Sur
RMC, il se dit hanté par ses souvenirs de mission: "Ce qui m'a le plus marqué ce
sont les exactions. On a été surpris, on ne s'attendait vraiment pas à cela…
C'était courant de voir des hommes décapités le long des fleuves, des gens se
faire mutiler par une foule…" Il ajoute, encore sous le choc: "On s'est retrouvé
face à des enfants-soldats avec des Kalachnikovs, prêt à nous tirer
dessus".
Dès
lors, il s'interroge: "Est-ce que ce que l'on a fait a réellement servi ?" Un
sentiment d'impuissance face au massacre accru par le fait qu'"en face, ils
n'ont vraiment pas peur de mourir". Selon un rapport parlementaire présenté ce
mercredi matin à la presse, le nombre de militaires atteints par le "syndrome
post-traumatique" est en augmentation (par exemple 12% pour l'intervention
Sangaris contre 8% pour l'opération Pamir en Afghanistan).
Alexandre
(le prénom a été modifié, ndlr), 20 ans, revient de Centrafrique. Il avait
auparavant effectué une courte mission en Afghanistan et n'est pas étonné de
voir que bon nombre de militaires ont des problèmes psychologiques graves à leur
retour de Centrafrique.
"La
grosse différence se situe au niveau de la logistique. En Centrafrique, la
France était toute seule à intervenir alors qu'en Afghanistan, on avait le
soutien des Américains. C'était beaucoup plus organisé, il y avait plus d'appui.
Alors qu'en Centrafrique, c'était 'à l'arrache', lors de la plupart des missions
on était livrés à nous-mêmes et si jamais il se passait quelque chose on ne
pouvait en tenir qu'à nous pour s'en sortir", témoigne-t-il à RMC.
Une
fois leur mission terminée, les soldats passent trois jours dans un hôtel au
Sénégal afin de se réhabituer à la vie civile. Un "sas de décompression" où ils
rencontrent des psychologues qui les informent des risques de stress
post-traumatique. Mais pour Sylvain, cette aide est insuffisante : trois
camarades de son groupe sont aujourd'hui en arrêt maladie longue durée.
"L'un
d'entre eux a eu des phases agressives, il a limite une haine raciste…",
explique-t-il dans Bourdin Direct. Et de constater, désabusé : "Ils n'ont pas de
suivi… Ce n'est pas l'armée qui vient les voir, ce sont eux qui font les
démarches, individuellement… Ils sont comme laissés à l'abandon." A noter que le
syndrome de "stress post-traumatique" peut se déclarer un mois, trois mois,
voire un an après le retour des soldats. Sylvain, lui, ne repartira pas en
mission. Son contrat s'achève l'année prochaine et il a décidé de quitter
l'armée.