Centrafrique : Chroniques douces-amères – 17

« Sans la liberté de blâmer, il n’y a point d’éloges flatteurs »

(Beaumarchais)

 

 

Peur sur la ville au PK.5

 

Mardi dernier 7 octobre 2014, un combattant de l’ex-Séléka suspecté d’avoir lancé une grenade en pleine rue a été lynché par des miliciens anti-Balakas dans le quartier Gobongo. Sa dépouille a été ramenée au quartier PK.5, soulevant la colère des habitants de cette dernière enclave musulmane de la capitale centrafricaine. En représailles, un chauffeur de taxi et son passager ont été tués. Il s’ensuivra un désordre d’une semaine, causant la mort de 10 personnes au total, dont un officier pakistanais de la Minusca.

Depuis le quartier est encerclé de barricades et ses habitants atterrés, en particulier les réfugiés dans les pays voisins qui ont pris le chemin du retour : « on a encore peur, parce que certaines personnes veulent toujours continuer à faire régner la violence ».

Preuve de cette peur qui règne encore sur le PK.5, les boubous et autres djellabahs ont cédé la place à des vêtements moins typés.

 

Le proverbe africain dit : « L’ombre du zèbre n’a pas de rayures ».

 

Ne nous voilons pas la face !

 

Si l’on en croit Jean-Paul Pigasse, «  l’intervention militaire que conduit la communauté internationale en Centrafrique risque de déboucher sur un fiasco et générer au final des violences pires que celles vécues ces derniers mois par la population de ce pays ». La raison ? «  L’Onu qui est désormais aux commandes de la force d’intervention en Centrafrique réédite la même erreur que celle commise depuis 20 ans en RDC. Elle envoie sur le terrain des unités qui ne connaissent rien aux réalités de cette partie du continent, ne contrôlent pas vraiment depuis New York le commandement de ses forces, s’avère incapable d’analyser la situation et, donc, se condamne une nouvelle fois à l’impuissance ». Bigre !

Jean-Paul Pigasse n’est pas n’importe qui. Editeur du journal Les dépêches de Brazzaville, l’homme est proche du Médiateur congolais de la crise centrafricaine. Il habite donc aux premières loges. Faut-il y voir une corrélation ? Il n’empêche, le diagnostic n’est pas faux, sauf que les troupes africaines de la Misca n’ont pas fait mieux hier, hélas !

 

Le proverbe africain dit : « Le lézard a beau faire des pompes, il n’a jamais eu de biceps ».

 

Où sont les « Commandants » ?

 

La coordinatrice des affaires humanitaires en Centrafrique, Madame Claire Bourgeois, s’est employée mardi 7 octobre 2014 à plaider fermement pour le retour des fonctionnaires dans leurs lieux de travail, notamment dans les préfectures et sous-préfectures :

« C’est vraiment essentiel que l’administration retourne dans les préfectures et les sous-préfectures. Car c’est essentiel que les gens qui y travaillent puissent avoir un leader ».

Il ne reste plus à Claire Bourgeois qu’à convaincre le nouveau ministre de l’administration du territoire de cette impérieuse nécessité. Pour l’heure, les autorités locales établies sont représentées par les commandants des régions militaires nommées le 8 octobre 2013, par Michel Djotodia, le président démissionnaire.

 

Le proverbe africain dit : « Ce n’est pas parce que c’est dur qu’on n’ose pas, mais c’est parce qu’on n’ose pas que c’est dur ».

 

Le milliard évaporé de l’Angolagate fait une nouvelle victime.

 

Prenant fait et cause pour sa patronne, la conseillère en communication du chef de l’Etat de la transition, Madame Montaigne, a nié que le gouvernement ait financé un quelconque groupe armé : « Je préfère dire que c’était des négociations. Il était question de négocier avec les hommes armés, les cantonner, les prendre en charge sur le plan alimentaire pour éviter qu’ils n’aillent chercher à manger arme au poing ». On ne voit pas où est le problème, madame : prendre en charge autour d’une table de négociations des hommes armés, même sur un plan alimentaire, cela s’appelle financer un groupe armé ! C’est la mission du programme DDR (désarmement, démobilisation, réinsertion).

A vouloir jouer à la finaude, la conseillère s’emmêle les pinceaux et se prend les pieds dans le tapis de la contre-vérité. Il n’y a pas de honte à dire le vrai ; une faute avouée est à demi pardonnée.

 

Le baron Louis dit : « Faites-moi une bonne politique, je vous ferais de bonnes finances ».

 

Les rendez-vous manqués de Bangui.

 

L’article 63 alinéa 3 de la charte constitutionnelle de la transition stipule que les institutions de la transition s’engagent à privilégier le dialogue et le consensus comme mode de fonctionnement normal et de règlement des conflits. Cette disposition n’a pas échappé à la curiosité de la Conseillère en communication du chef de l’Etat de la transition, Mme Montaigne: « Je souhaite que le président du Conseil national de la transition se rapproche de la présidente et du gouvernement pour obtenir toutes les réponses qu’il souhaite avoir » [sur les fonds qui n’ont pas transité par le Trésor Public]. Aux dernières nouvelles, c’est le premier-ministre et le gouvernement qui s’est dérobé aux questions des membres du CNT.

Le conseiller en communication du premier-ministre invoque le protocole : ce dernier n’a pas reçu d’invitation ! Le président du CNT riposte par un « j’ai pris langue directement avec le premier-ministre pour cette date». La présidence de transition apporte un autre son de cloche : « la primature a demandé un report dès dimanche », et accuse le CNT d’instrumentalisation politique. Le premier-ministre prend le risque de jurer sur les morts : « les obsèques d’un magistrat et du Casque bleu ont empêché le gouvernement de se rendre aux convocations du CNT. Ambiance !

Prochaine étape ? Ce mercredi 15 octobre 2014, selon le président du CNT, lequel heureusement n’a pas de conseiller en communication, sinon l’imbroglio serait total.

 

Sun Tse dit : « Si tu veux battre en retraite sans être rattrapé, il faut aller plus vite que l’ennemi ».

 

Le retour du Jeudi : Nourredine Adam reprend du service.

 

Dans un communiqué daté du 1er octobre 2014, mais sans numéro d’enregistrement fantaisiste pour une fois, le premier vice-président du Front populaire pour la Renaissance de Centrafrique, Nourredine Adam reprend du service et convoque une assemblée générale du bureau militaire du mouvement les 15 et 16 octobre prochains à Bria (Haute Kotto).

Après des considérations oiseuses et absconses visant à « purger les mauvaises impulsions telles colère, peur, suspicion, frustration, calomnie, etc. » qui gangrènent la coalition, l’invitation indique que cette réunion sera l’occasion « de permettre à l’Etat-major de chaîne de commandement de la coalition de présenter son bilan de six (6) derniers mois en vue de fixer des objectifs clairs et de se doter librement des organes de fonctionnement dynamiques et représentatifs pour implanter définitivement la Sécurité, la Paix et le Développement dans notre pays, la République centrafricaine ».

On croit rêver : il n’est plus question ni de partition ni de République du Dar El Khouti, mais de la RCA !

Pour le bilan des six derniers mois, à part le nombre des cadavres et de morts, on ne voit pas. Pour le fonctionnement, on se doutait bien que l’alliance n’était pas une instance démocratique. Mais cela va mieux en le disant. Encore un effort, Compatriotes !

 

Le proverbe africain dit : « Si tu vois un crocodile acheter un pantalon, c’est qu’il a trouvé un moyen de rentrer sa queue ».

 

Entre Bria et Bambari, l’ex-Séléka balance.

 

Si l’on reprend le fil des évènements de ces derniers mois, on doit se rendre à l’évidence : les affrontements entre les éléments ralliés au « général » Ali Darass, un ancien lieutenant du rebelle tchadien Baba Ladé, aujourd’hui préfet de Ouaddaï, et ceux du « général » Joseph Zoundeko, le chef d’état-major des « forces républicaines », tournent à l’avantage des premiers, considérés comme des peuls « Tchadiens », en opposition aux Goulas de l’ethnie de l’ancien président Michel Djotodia.

A Bria, préfecture de la Haute Kotto, les hommes de Darass (ancien commandant militaire dans la Ouaka) auraient également pris le dessus sur ceux de Zoundeko (ancien commandant militaire dans l’Ouaham-Pendé). On comprend donc mieux la stratégie actuelle du FPRC, et la convocation de l’assemblée générale évoquée ci-dessus, recoler les morceaux de la coalition au plus vite, sauf à disparaître.

Il parait en effet que le « général » Ali Darass ait, au sein du cabinet de la présidente de la transition, un soutien occulte qui approvisionnerait ses troupes en armes et munitions, avec la tentation de créer un mouvement politique inféodé à l’ancien ministre Ousmane Mahamat.

Ainsi, les demandes pressantes d’aides financières, adressées à l’émir du Koweït par le conseiller Mahamat Gamar Ahmat, viendraient à confirmer l’existence d’un point d’appui à la présidence et de cette scission inter séléciste !

 

 

 

Rencontre entre le chef de l’Etat de la transition et les forces vives de la Nation.

 

L’information avait été divulguée dès dimanche soir par le premier-ministre Mahamat Kamoun : « La présidente doit engager une série de rencontres avec l’ensemble des forces vives de la Nation afin de réaffirmer sa volonté de conduire la transition dans un climat apaisé et sa détermination à conclure dans les meilleurs délais cette parenthèse de l’histoire politique de notre pays par l’organisation d’élections ». Apparemment, le premier-ministre se vit encore en conseiller politique du chef de l’Etat de la transition et non en chef de gouvernement, lequel devrait conduire de telles consultations.

Le protocole de ces rencontres prévoyant une succession de tête-à-tête séparés d’une durée quotidienne de 30 minutes par entité politique, on peut craindre qu’il ne s’agisse de monologues présidentiels, dont il ne sortira rien d’essentiel. Au regard de la situation politique générale, on parlera d’un service minimum.

Les Conseillers nationaux de transition se laisseront-il berner par cette manœuvre de contournement ?

 

Le proverbe africain dit : « Le tronc d’arbre a beau séjourné dans le fleuve, il ne se transformera jamais en crocodile !».

 

Le chef de la Minusca se lâche !…

 

Ce lundi 13 octobre 2014, le général Babacar Gaye, chef de la mission des Nations unies en Centrafrique n’y est pas allé par quatre chemins : « Ce n’est quand même pas la faute des Nations Unies si dans cette ville, chaque fois qu’on attrape quelqu’un qu’on le tue, on le dépèce ».

Il réagissait aux violences qui ont éclaté mardi dernier 7 octobre et ont fait au moins 10 morts, dont un officier de la Minusca, de nombreux blessés et des milliers de déplacés.

Remonté comme jamais, il a reconnu d’emblée : « sans doute allons-nous démanteler les barricades, sans doute allons-nous nous en prendre à ceux qui ont des armes, mais ça ne suffit pas », et d’enfoncer le clou : « Il y a un problème de réconciliation, il y a un problème de cohabitation entre les communautés et un problème de sursaut dans la population, dans les élites pour remettre ce pays sur les rails. C’est le peuple centrafricain qui doit le faire ». En bon diplomate, le général Gaye ne pouvait aller plus loin. Dommage !

 

Le proverbe africain dit : « Le fleuve fait des détours parce que personne ne lui montre le chemin ».

 

Et le ministre des Affaires étrangères en prend pour son grade…

 

A l’issue d’une entrevue avec le ministre centrafricain des Affaires étrangères, Toussaint Kongo Doudou, lundi 6 octobre 2014, le chef de la mission des Nations Unies en Centrafrique a reconnu la détérioration de la sécurité en RCA, soulignant qu’au lieu de s’en prendre aux forces onusiennes, les Centrafricains feraient mieux de régler leurs problèmes de cohabitation en s’investissant dans la réconciliation nationale.

Selon le chef de la Minusca, le ministre, en tant qu’ancien fonctionnaire des Nations Unies, a encouragé sa mission à faire preuve de plus de fermeté face aux fauteurs de trouble : « le ministre s’est fait l’écho des frustrations tout à fait légitimes et compréhensibles des populations par rapport à une détérioration sécuritaire dans la ville de Bangui ».

« Je lui ai donné les assurances sur notre engagement, notre détermination à cet égard. Mais je lui ai aussi fait observer que cette situation nous interpelle tous dans toutes les dimensions qu’elle comporte ».

Le général Gaye, tout militaire qu’il soit, est un fin diplomate  et un vrai gentleman. Il aurait pu en effet rajouter que ce n’est pas la faute des Nations Unies si les fauteurs de trouble arrêtés sont relâchés, si les personnes poursuivies ne sont pas déferrées, si les criminels emprisonnés s’évadent ou si des délinquants pointent au gouvernement et dans les cabinets.

 

Le proverbe africain dit : « N’insulte pas le crocodile tant que tu n’as pas traversé la rivière ».

 

Mahamat Kamoun refait le coup du « grand complot ».

 

Le premier-ministre Mahamat Kamoun a dénoncé jeudi 9 octobre 2014 un grand complot ourdi par des ennemis du peuple : «  C’est un grand complot qui est lancé contre le peuple centrafricain. Nous étions au courant de la préparation de ce complot depuis longtemps et tous les moyens ont été utilisés pour le mettre en exécution ».

En son temps, André Nzapayéké, prédécesseur de Mahamat Kamoum, avait tenu le même discours, allant jusqu’à accuser « des membres de mon cabinet et du cabinet de la présidente ». André Nzapayéké est parti et le cabinet est resté !

Dès lors, que comprendre de l’intervention de Mahamat Kamoun selon laquelle : « Plusieurs renseignements recoupés nous indiquent que certaines personnalités politiques et militaires sont bien impliquées dans les distributions d’armes et d’argent qui ont alimenté ces violences » ? Apparemment, le milliard évaporé aurait fait des petits. « Je veillerai à ce que justice soit rendue », a-t-il assuré. Chiche !

 

Le proverbe africain dit : « Quand on grille une noix de palme avec un bâtonnet, et le bâtonnet et la noix s’enflamment ».

 

Un prêtre polonais enlevé : le FDPC se spécialise dans les prises d’otages.

 

Un missionnaire polonais résidant à Baboua (ouest du pays), le père Mateusz Dziedzic, prêtre au diocèse polonais de Tarnow, a été enlevé dans la nuit du lundi 13 au mardi 14 octobre 2014 par des individus armés qui ont indiqué ne pas vouloir de rançon mais chercher à échanger l’otage contre leur chef détenu dans une prison camerounaise.

En toute vraisemblance, il doit s’agir des « membres » du Front démocratique du peuple centrafricain (FDPC) dont le chef, le « général » Abdoulaye Miskine alias Martin Koumtamadji alias Mustapha, serait incarcéré au Cameroun pour des crimes de droit commun.

Ancien allié de la rébellion de l’ex-Séléka, avant d’être expulsé manu militari du pays par ses anciens compagnons, Miskine chercha à se rapprocher du président déchu François Bozizé, lorsque ce dernier s’est réfugié au Cameroun. Les deux hommes faisaient cause commune en mars 2003 lorsque le général Bozizé pris le pouvoir à la faveur d’une insurrection militaire, aidé par les « Libérateurs tchadiens ». Miskine fut alors nommé conseiller spécial à la présidence.

Les membres de ce groupuscule n’en sont pas à leur premier enlèvement ; jusqu’alors ils s’étaient spécialisés dans la prise en otages d’éleveurs peuls contre rançon, en bœufs ou en numéraire.

 

Le proverbe africain dit : « Quand on a un marteau dans la tête, on voit tous les problèmes sous la forme d’un clou ».

 

Dialogue inclusif ou guerre des agendas ?

 

La présidente de la transition en Centrafrique mène depuis ce matin, mercredi 15 octobre 2014, des consultations avec les acteurs politiques afin de les rassurer sur la suite du processus de transition, actuellement passablement grippé. Partis politiques, acteurs de la société civile, rebelles de l’ex-Séléka et miliciens anti-Balakas, tous sont conviés. Que sortira-t-il de ces protocoles singuliers ? Les spécialistes de la RCA espèrent « que les acteurs politiques puissent parler librement avec une responsabilité républicaine. Ce n’est pas évident d’élaborer un accord en quelques heures de réunion, mais la réalité aussi de la situation en Centrafrique, c’est qu’il y a différents agendas et des agendas cachés ».

Qu’à cela ne tienne, il suffit d’accorder tous ces agendas, officiels ou cachés, tracés à l’encre ou au crayon en mettant tous les chefs de partis au gouvernement. Les Martin Ziguélé, Anicet Doléguélé, Désiré Kolingba, Karim Meckassoua, Jean-Jacques Démafouth, Marie-Reine Hassen, Elie Doté, etc., n’auront pas à se préoccuper des futures élections, ne pouvant plus être candidats. Les vrais républicains pourront alors se mettre autour d’une table et travailler à l’avenir du pays. Et tout le monde aura le même agenda !

 

Le proverbe africain dit : « Quand les éléphants se battent, c’est toujours l’herbe qui est écrasée… »

 

9 mois ½ !

 

Une des lignes de défense du gouvernement de la transition consiste à faire porter tous les torts de la situation actuelle sur les régimes politiques précédents : « Lorsque le chef de l’Etat de la transition est arrivé à la tête de notre pays, il y avait énormément de problèmes et de défis à relever. Il faut rappeler que l’Etat n’existait plus, toutes les administrations, la gendarmerie, la police, étaient occupées par les groupes armés. Il n’y avait pas de ressources dans le pays », plaide inlassablement la conseillère en communication de la présidente de la transition.

Certes, le constat est bon. Mais cette situation était connue de l’impétrante quand elle s’est portée candidate pour être élue. Cette ligne de défense éculée, qui pouvait justifier l’état de grâce des cent premiers jours, ne tient plus après neuf mois et demi de présence à la tête de l’Etat.

Dans la Nubie antique, une princesse toujours stérile après 9 mois ½ d’épousailles était, soit répudiée soit enfermée au gynécée ! Il ne faut donc pas trop tirer sur la corde. Aujourd’hui, le constat d’inefficacité plaide au contraire pour un renversement d’alliances et une nouvelle politique.

 

Le proverbe africain dit : « Quand le singe voit un beau fruit dans l’arbre et qu’il ne peut s’en saisir, alors le singe dit que le fruit est pourri ».

 

 

Paris, le 14 octobre 2014

 

Prosper INDO