Centrafrique : Chroniques douces-amères – 19

« Sans la liberté de blâmer, il n’y a point d’éloges flatteurs »

(Beaumarchais)

 

 

Pourquoi tue t’on au nom de Dieu ?

 

Qui se souvient ? Il y a quelques années, le défunt président Ange-Félix Patassé débutait ses conférences de presse par une prière. De même, alors qu’il était interpellé par une population centrafricaine affamée, le président déchu François Bozizé, tout au faîte de son pouvoir, invitait ses compatriotes à prier le Seigneur pour leur pain quotidien. L’empereur Jean-Bedel Bokassa lui-même s’était refugié dans la prière à la fin de sa vie, après dix années de réclusion criminelle. Le recours au spirituel ne date donc pas d’aujourd’hui.

Certes, il ne s’agit pas d’une profession de foi mais d’une fuite en avant ; on interpelle Dieu pour des circonstances temporelles auxquelles il n’a pas prêté la main. On abuse le peuple dans un acte de contrition sans portée réelle afin de dégager par avance sa responsabilité.

Les miliciens anti-Balaka et les rebelles de l’ex-Séléka qui tuent aujourd’hui au nom de l’islam ou de la chrétienté ne font pas autre chose : ils ont perdu le sens de l’humain c’est-à-dire « la sympathie de chaque homme pour la souffrance des autres hommes », révélée grâce à la découverte des « neurones miroirs » par le biologiste Giacomo Rizzolatti en 1996. Ils accèdent à ce que Jacques Sémelin appelle, dans son livre Purifier et détruire (Seuil, 2005), « les vertiges de l’impunité » où « la guerre sans règle devient une sorte de fête, d’ivresse de puissance », une barbarie.

Qu’ils ne viennent pas demain nous dire qu’ils étaient victimes de « l’effet Lucifer » et ne savaient rien : eux et ceux qui les arment, les financent et les endoctrinent, rendront compte le moment venu.

 

Le proverbe africain dit : « On n’écrase pas deux fois les testicules d’un aveugle ».

 

Le conflit armé en Centrafrique devient source d’inspiration.

 

La rébellion introduite par l’ex-coalition Séléka en mars 2013 n’est pas seulement la plus meurtrière que la RCA ait connue, elle façonne dorénavant la sensibilité et l’inspiration des musiciens et artistes locaux. La circulation des armes et la banalisation des violences relèguent désormais les thèmes de l’amour, du travail et de la famille au second plan, au profit de l’appel à la tolérance, à la paix et à l’unité.

Pendant ce temps, les enfants des rues ont délaissé les cerceaux de bicyclette, ainsi que les voitures en bambou aux roues en forme de capsules de bière, pour les différents types d’armement en circulation. Au moment des jeux, ils se poursuivent armés de bouts de bois, chacun sachant imiter parfaitement la tonalité de son arme.

Qui a dit que la télévision et le cinéma étaient les vecteurs de la violence auprès des enfants ? Les adultes, parents et enseignants, pour se défiler de leur responsabilité !

 

Le proverbe africain dit : « Lentement se courbe la banane ».

 

Le mandat de l’Eufor-RCA prolongé.

 

La force européenne en République Centrafrique, Eufor-RCA, dont le mandat initial arrivait à échéance au 15 décembre 2014 prochain, a vu celui-ci prolongé de 3 mois par le Conseil de sécurité des Nations Unies et devra courir jusqu’au mois de mars 2015. Cette résolution, adoptée le mardi 21 octobre 2014, s’appuie sur l’analyse de la situation sur le terrain où un regain de violences et des affrontements a fait des dizaines de victimes : « la situation en République centrafricaine continue de constituer une menace contre la paix et la sécurité internationale », n’ont pas craint de souligner les membres du Conseil de sécurité dans leur résolution.

L’invocation de la sécurité internationale ouvre droit au CPI d’enquêter également sur les évènements des quinze derniers jours.

 

Le proverbe africain dit : « C’est en remuant l’herbe que l’on prend des grillons ».

 

On a fumé le calumet de la paix au Kilomètre 5 !

 

L’ambassadeur de France en Centrafrique, Charles Malinas, a appelé la communauté musulmane et les éléments de la force Sangaris à vivre en paix et à se faire mutuellement confiance, au cours d’une réunion de réconciliation entre les forces de l’opération Sangaris et les musulmans du KM5, le mercredi 22 octobre 2014 dernier : « Je comprends vos frustrations. Je comprends le ressentiment que vous pouvez avoir parce qu’il y a des situations où vous pensez que les forces internationales auraient dû faire quelque chose et elles ne l’ont pas fait. Et si elles ne l’ont pas fait peut-être qu’elles n’étaient pas en situation de le faire ». En la circonstance, Son Excellence joue les Ponce-Pilate en se lavant les mains.

Il n’empêche, à la fin de la réunion, les graffitis et autres inscriptions hostiles à la France ont été effacés des murs ainsi que sur le monument du Lieutenant Koudoukou, héros de la guerre 39-45.

Au moins une opération de communication menée à bien, par les Sangaris.

 

Le proverbe africain dit : « Quand ça domine ça, le monde devient ça ».

 

Scission au sein de l’ex-alliance Séléka.

 

Des représentants de l’ex-alliance Séléka ont annoncé ce dimanche 26 octobre 2014 la création de leur propre mouvement, l’Union pour la paix en Centrafrique (UPC). L’UPC sera dirigé par une coordination politique présidée par Habib Awal, alors que le « général » Ali Darass, déjà gouverneur militaire de la Ouaka sous la transition de Michel Djotodia, commandera « l’aile militaire » du mouvement, selon les déclarations du « capitaine » Ahmad Nedjad, spécialisé désormais dans le porte-parole, hier du côté de Joseph Zoundeko et aujourd’hui après de l’UPC.

On aurait tort de se réjouir trop précipitamment de cette annonce.

Telle une bombe à fragmentation qui explose, la segmentation de l’UPC d’avec le FPRC (front populaire pour la renaissance de Centrafrique de Michel Djotodia et Nourredine Adam), n’en finira pas de faire des dégâts collatéraux, sauf à neutraliser tous leurs leaders. Hier, tous ensemble, ils réclamaient le rattachement de la RCA au Tchad et au Soudan ou sa partition.

 

Le proverbe dit : « L’enfer est pavé de bonnes intentions ».

 

Le président du CNT demande au gouvernement de ramener la paix et la sécurité.

 

Le président du Conseil national de transition, Alexandre-Ferdinand Nguendet, a appelé ce dimanche 26 octobre 2014 les forces internationales et le gouvernement à agir pour protéger les populations. Il a rappelé que la dernière attaque contre celles-ci, perpétrée entre le mardi 22 et le mercredi 23 octobre 2014, a fait au moins une trentaine de morts et des dizaines de blessés dans la localité de Yamalé, près de Bambari. D’autres attaques des peuls armés auraient fait autant de morts dans les localités de Tchimanguéré et Gbakomalékpa, à 30 kilomètres du chef-lieu de la région, Bambari.

Le président du CNT, qui a oublié de comptabiliser les tueries de Kouango toujours dans la Ouaka, à mieux à faire que dénoncer ; en sa qualité d’ancien député de la Ouaka, il doit se rendre à Kouango, Bakala, Grimari et exhorter le peuple à la résistance, au lieu de distribuer de petites enveloppes.

 

Philip Zimbardo dit « Les actifs l’emportent toujours sur les indécis ».

 

L’insécurité, ennemi public numéro 1.

 

Il aura fallu 9 mois et demi au chef de l’Etat de la transition pour se rendre compte d’une évidence qui sautait aux yeux de tout le monde. Pourquoi pas, après tout ? Pour résoudre cette énigme, elle a annoncé la création d’une « unité d’intervention rapide » capable de sécuriser efficacement la population contre les attaques meurtrières récurrentes.

Nous appelions une telle décision de nos vœux depuis trop longtemps pour faire la fine bouche. Encore faut-il  donner à cette force les moyens d’agir, en matériels adaptés, en hommes disciplinés, en haut commandement expérimenté et, surtout, en doctrine républicaine : histoire de ne pas reconstituer une garde présidentielle prétorienne.

L’unité d’intervention rapide ne doit être, ni les Tontons Macoutes, ni les Escadrons de la mort !

 

Le proverbe africain dit : « Quand on a qu’une lance, on ne doit pas s’en servir contre un léopard ».

 

La présidente de la transition délivre ses ordonnances.

 

Après une semaine de consultations des « Forces vives de la Nation », le chef de l’Etat de la transition s’est présentée devant le CNT pour faire un bilan  de ces rencontres et marquer ses positions. Le bilan ? Un soutien global à l’accord de Brazzaville de cessation des hostilités ainsi qu’une exaspération générale face aux violences récurrentes. Le diagnostic ? Une coalition de forces négatives a tenté de mener un « coup d’Etat institutionnel » afin d’installer une troisième transition ! Sa prescription ? Une potion magique : « Certains d’entre nous pressent le pas pour aller à l’élection, il faut passer directement à l’étape 3 du forum national qui se veut un dialogue politique consensuel et représentatif. « L’autorité nationale des élections (ANE) pourra sans tarder soumettre un chronogramme détaillé à l’ensemble des parties prenantes »…

Il y a deux semaines la présidente disait exactement l’inverse.

 

Le philosophe dit : « Souvent femme varie ». Nous souscrivons !

 

Le chef de l’Etat de la transition « siffle la fin de l’impunité ».

 

L’intervention de la présidente de la transition devant le Conseil national du même nom, la deuxième au cours de ce mois d’octobre, rentrera dans le bestiaire du langage. En effet, suite à une semaine de consultations menées tambour battant auprès des partis politiques, organisations religieuses, associations de la société civile et autres acteurs de la vie économique et sociale, et après avoir reconnu que l’insécurité était l’ennemi public n°1 en Centrafrique, le chef de l’Etat de la transition a usé d’une métaphore pour mobiliser les magistrats du pays : « Je me suis engagée à siffler la fin de l’impunité en RCA. C’est ni plus ni moins ce que demande la communauté internationale ». On la prend au mot, en espérant qu’elle ne fera plus opposition aux mandats d’amener délivrés par le Procureur de la République près le TGI de Bangui. Suivez mon regard !

Encore faudrait-il prendre les mesures nécessaires pour protéger les hommes de loi, sécuriser les tribunaux et offrir des conditions de travail adaptées aux exigences du moment.

 

Le proverbe Ngbaka dit : « On ne bat pas le tambour dans l’eau ».

 

L’Etat centrafricain se déploie à Boda.

 

Le ministre de l’administration du territoire et de la décentralisation, accompagné d’une équipe de ressortissants de la ville de Boda, s’est rendu dans cette sous-préfecture du centre-ouest du pays à la rencontre de la population. A cette occasion, le ministre a procédé au redéploiement de l’autorité de l’Etat en installant le nouveau sous-préfet, quelques agents de santé, ainsi que des gendarmes et des policiers. Jean Willibiro Sacko, enfant de Boda ayant participé à ce déplacement : « nous avons retrouvé Boda dans une situation catastrophique. Les communautés n’ont pas retrouvé l’ambiance qui caractérisait leurs relations par le passé. Les armes continuent de circuler dans la ville. Alors redéployer les agents de l’Etat est un besoin d’urgence ».

Pour ceux qui n’auraient pas compris, rappelons que Jean Willibiro Sacko, candidat putatif aux prochaines élections présidentielles, est ancien ambassadeur de Centrafrique à Paris, ancien ministre de l’administration du territoire et de la décentralisation sous le président déchu François Bozizé et ancien ministre de l’éducation nationale sous le régime du président démissionnaire Michel Djotodia. Le natif de Boda était donc ignorant de la situation de sa ville.

 

Le proverbe africain est cruel, « Le serpent dit : je grimpe sur un arbre et je n’ai pas de bras ».

 

Les chasseurs de cachetons reçus à Bangui par le CNT.

 

Une délégation de l’organisation non gouvernementale helvétique « Interpeace Initiative », a été reçue en audience par Alexandre-Ferdinand Nguendet et les membres du bureau du Conseil national de la transition : « On est venu écouter les autorités de transition et nous informer sur les questions de la réconciliation, de la cohésion sociale, le processus de reconstruction et en même temps écouter les acteurs travaillant sur la paix pour en faire une cartographie, a déclaré le coordonnateur de l’ONG, Bernard Aravelo. Cette visite de terrain permettra de faire une cartographie des initiatives des acteurs qui travaillent sur la paix et de formuler des recommandations aux acteurs nationaux et internationaux pour faire avancer le processus de la réconciliation. Une manière comme une autre de recueillir des subventions auprès des instances internationales et garnir sa cagnotte.

 

Le proverbe africain dit : « La route ne donne pas de renseignements au voyageur ».

 

Denis Sassou Nguesso, bouc-émissaire commode.

 

Après la visite du ministre congolais des affaires étrangères, Basile Ikwébé, à Bangui, et à la suite de sa déclaration selon laquelle il ne peut y avoir une troisième transition en Centrafrique, d’aucuns se sont effarouchés, faisant de Denis Sassou Nguesso, le président congolais et médiateur de la crise centrafricaine, le bouc-émissaire commode des turpitudes des autorités de la transition. Ils lui reprochent de se prendre pour Dieu et d’imposer son impérium à travers des élections précipitées qui seront bâclées. Autant le dire, ces perfectionnistes de la démocratie sont en politique ce que les théoriciens libéraux sont à l’économie de marché de concurrence pure et parfaite, où les consommateurs sont des êtres rationnels et sans émotion, où les producteurs travaillent au coût marginal pour offrir le prix le plus bas ! Ils oublient les sacrifices que s’impose le Congo depuis mars 2013 pour aider la RCA.

Ils ont tort, le monde idéal n’existe pas et le vote au scrutin universel indirect d’un collège de grands électeurs – chefs de terre, chefs de village et chefs de quartier - sera toujours plus démocratique que la décision d’un parlement croupion, le CNT.

 

Le proverbe africain dit : « La main de celui qui demande est toujours en dessous de celle de celui à qui il demande ».

 

 

Paris, le 28 octobre 2014

 

Prosper INDO