Centrafrique : Chroniques douces-amères – 22

                            « Sans la liberté de blâmer, il n’y a point d’éloges flatteurs »

                                                             (Beaumarchais)

 

 

La Minusca prend le contrôle de l’aéroport Bangui-M’Poko.

 

La sécurisation de l’aéroport Bangui-M’Poko, assurée jusqu’à présent par les forces européennes de l’Eufor-RCA, est placée désormais sous le contrôle de la Minusca, la mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation de la République centrafricaine. Le transfert de responsabilité entre les deux unités internationales a eu lieu le lundi 17 novembre 2014, au cours d’une cérémonie de passage de témoin.

On se rappelle que le 1er novembre dernier, l’aéroport de la capitale centrafricaine, alors sous le contrôle de l’Eufor-RCA, a été le théâtre d’une saisie record de 152 kilogrammes de diamants bruts et d’une somme en liquide de 40 millions de francs CFA.

 

Espérons que les forces de la Minusca, placées sous le commandement du général camerounais Martin Chomu Tumenta, l’ancien commandant des forces africaines de la Misca, puissent continuer à lutter avec autant d’efficacité contre tous les trafics clandestins de pierres précieuses.

 

Le Centrafricain Pacôme Pabandji récompensé.

 

Le centrafricain Pacôme Pabandji, reporter de la société de presse AFP TV a remporté mercredi 19 novembre 2014 le prestigieux prix Rory Peck, une distinction qui récompense chaque année les meilleurs journalistes reporters d’images (JRI) pigistes.

Selon le jury, Pacôme Pabandji « a relevé l’un des défis les plus exigeants du métier de journaliste : être l’observateur impartial d’une guerre civile. Certains journalistes viennent couvrir un conflit puis repartent. Pacôme a eu la conviction qu’il fallait rester pour témoigner, et ceci est admirable ». Pour sa part, le reporter d’images de 23 ans, qui a dédié sa récompense à sa consoeur Camille Lepage, tuée en mai en Centrafrique, a expliqué avoir « travaillé dans le seul objectif que la Centrafrique ne soit pas oubliée ». Pari réussi !

 

On serait tenté d’écrire : « le malheur des uns fait le bonheur des autres », et on aurait tort. En la circonstance, un seul mot suffit : Pabandji, Oyé !

 

Une nouvelle mission pour l’Eufor-RCA.

 

Les 28 ministres de la Défense de l’Union européenne ont donné mardi 18 novembre 2014 leur accord à la planification d’une nouvelle mission européenne en Centrafrique (PDSC), destinée à prendre le relais de l’opération de stabilisation de la paix à Bangui, laquelle était jusqu’alors centrée sur la sécurisation de l’aéroport de Bangui-M’Poko et de la capitale centrafricaine.

Cette nouvelle mission, sans mandat exécutif, c’est-à-dire sans recours à la force, et de taille plus limitée, sera concentrée autour de la réforme du secteur de la sécurité. Elle vise à remettre sur pied les forces armées centrafricaines (FACA), avec une mission de conseil stratégique et des formations : « il faut les réorganiser, diminuer le nombre, mettre à la retraite, sanctionner ceux qui doivent l’être, reconstituer des unités ».

 

Espérons que les forces européennes seront aussi efficace dans cette nouvelle mission qu’à l’aéroport Bangui-M’Poko ; avec les FACA, le pari est loin d’être gagné !

 

 

 

Human Right Watch se mobilise pour la création d’une cour criminelle spéciale à Bangui.

 

Partant du constat que les juges centrafricains vivent dans la crainte permanente de représailles, l’organisation non gouvernementale HRW propose la création d’une Cour spéciale criminelle à Bangui, au sein de laquelle des experts et conseillers internationaux viendraient appuyer les magistrats locaux. Cette cour spéciale serait chargée d’examiner, à l’échelle du pays, les affaires les plus graves de violation des droits de l’homme.

C’est oublier que ce pays, la République centrafricaine, a été capable de juger sereinement et de condamner l’ex-empereur Jean-Bedel Bokassa, sans tutelle extérieure.

 

L’insécurité n’explique pas tout. La lenteur mise depuis septembre 2014 à créer ce tribunal spécial que nous appelons de nos vœux depuis plus de six mois, traduit un réel manque de volonté politique.

 

L’escorte du directeur général de la sécurité présidentielle se rebiffe.

 

Dans la soirée du mercredi 12 novembre 2014, la force française de l’opération Sangaris aurait tenté de désarmer les éléments de l’escorte du directeur général de la sécurité présidentielle, le colonel Jules Kogbia, en plein centre-ville, alors que ladite escorte revenait de la résidence du chef de l’Etat de la transition. Selon des passants témoins de l’incident, les éléments de l’escorte présidentielle étaient prêts à en découdre avec les Sangaris. D’ordinaire ils détalent devant les ex-Séléka ou les anti-Balaka ? Logique : les premiers parlementent là où les seconds tirent sans sommation. Le courage tient à peu de chose.

 

On se demande pourquoi, hors la présence du chef de l’Etat de la transition, son escorte se balade armée au lieu d’être casernée ; le DG de la SP se prendrait-il pour Iznogoud et aurait besoin, lui aussi, d’une protection ?

 

Quand la Chine s’éveillera !…

 

Cette prédiction de l’ancien ministre gaulliste Alain Peyrefitte est en train de prendre corps en Afrique subsaharienne. Celle-ci est devenue la première destination des investissements directs chinois à l’étranger, si l’on en croit un rapport publié par American Enterprise Institute et la Heritage Foundation. L’Afrique sub-saharienne aurait attiré 17% des investissements chinois à l’étranger.

Les entreprises chinoises ont ainsi investi au total 150,4 milliards de dollars en Afrique subsaharienne entre janvier 2006 et juillet 2014.

La Chine est par ailleurs devenue le premier partenaire commercial de l’Afrique !

 

Qui a parlé du « Péril jaune » ?

 

La Turquie tente de mettre un pied à Bangui.

 

Le parlement turc aurait donné son accord pour la participation de son armée au sein du contingent de l’Eufor-RCA, déployé en République centrafricaine jusqu’au mois de mars 2015. Certes, la Turquie avait déjà été sollicitée par l’ancien premier-ministre André Nzapayéké pour aider à la modernisation de la chaîne pénale du pays. La tentative avait échouée : le droit pénal centrafricain n’a rien à voir avec la charia, même si en son temps l’ « empereur » Jean-Bedel Bokassa s’était converti à l’islam et a tenté d’imposer, et la polygamie et les châtiments corporels publics.

La participation de la Turquie à l’Eufor-RCA étonne de prime abord : le pays, quoique membre de l’Otan, n’est pas encore membre de l’Union européenne. Alors ?

 

La Turquie finance déjà deux établissements scolaires de grande valeur à Bangui et fait par ailleurs des offres de financement pour le développement en Centrafrique. Elle défend donc ses intérêts. Business as usual !

 

 

François Bozizé se prend toujours pour le sésame de la crise centrafricaine.

 

Le président déchu, François Bozizé, s’estime toujours indispensable et incontournable dans la résolution de la crise en Centrafrique. L’exilé de Kampala se plaint « d’être enterré vivant à ciel ouvert » alors qu’il se croit le sésame de la sortie de crise centrafricaine et demande à être confronté à Michel Djotodia, celui par qui le malheur est arrivé selon lui, lors du prochain Forum de Bangui !

Certes, l’homme n’a pas la réputation d’un intellectuel visionnaire et prend sans doute ses rêves pour la réalité, sauf si le chef de l’Etat de la transition ne le ramène dans le jeu politique par pusillanimité.

 

Quant à la confrontation avec son successeur, nul besoin d’un détour par Bangui ; il lui suffit d’affréter un avion pour Cotonou.

 

L’Angola de plus en plus impliquée en Centrafrique.

 

Après moult hésitations, le président angolais Eduardo Dos Santos a validé l’envoi de troupes angolaises en RCA, au premier trimestre 2015, répondant à une demande l’Onu. Selon le ministre de la Défense de ce pays, ces troupes comprendront : un bataillon d’infanterie motorisée, une compagnie de forces spéciales, ainsi qu’un hôpital de campagne.

Les pourparlers sont en cours entre l’Angola et l’organisation des Nations unies pour finaliser les mesures d’accompagnement.

 

Cinquante-cinq ans après la disparition de Barthélémy Boganda, son rêve d’une fédération des Etats-Unis d’Afrique centrale d’inspiration latine, associant aux Etats de l’AEF, la République démocratique du Congo, le Rwanda, le Burundi et l’Angola, prend corps par hasard, en dehors de toute volonté politique.

 

Don de 36 véhicules à la RCA : l’Angola encore !

 

En mal de déplacements, le chef de l’Etat de la transition inaugure les comices agricoles d’un nouveau genre : elle a présidé le mardi dernier, 18 novembre 2015, à la répartition entre les services de l’Etat centrafricain, d’un don de 36 véhicules automobiles offerts par … l’Angola. Il s’agit d’un lot de 12 bus et 24 pick-up, destinés « au renforcement des capacités de la présidence, du gouvernement et de quelques unes des institutions de la transition », comme au bon vieux temps du milliard de francs CFA évaporés d’un don angolais de 10 millions de dollars!

Quant aux autres institutions non retenues, la présidente intérimaire les invite à « prendre leur mal en patience » ; elles seront comblées « au fur et à mesure des généreux dons que d’autres pays amis pourront faire ».

 

Les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent.

 

Black-out sur les otages du FDPC.

 

Le sort des douze otages enlevés par les éléments de front démocratique du peuple centrafricain (FDPC) commencent à inquiéter sérieusement leurs parents et alliés, sans nouvelles de ces derniers. Les parents et amis de ces derniers accusent les autorités de la transition en Centrafrique de ne pas les informer ou de ne le faire qu’à compte-gouttes, alors même qu’ils semble que les différentes négociations sont actuellement bloquées.

Seul le cas du prêtre polonais ferait l’objet d’une situation susceptible d’évolution positive.

Les rebelles du FDPC exigeant toujours la libération de leur leader incarcéré au Cameroun, le nommé « général » Abdoulaye Miskine, alias Martin Koumtamadji.

 

L’attente risque d’être longue.

 

Le RPRC, le troisième élément de l’ex-alliance Séléka.

 

L’ancien ministre de Michel Djotodia, le nommé Hervé Gontran Djono Habba et neveu du président démissionnaire, a été désigné ce vendredi 21 novembre 2014 à la tête du Rassemblement patriotique pour la reconstruction de la Centrafrique (RPRC), le troisième élément de la nébuleuse ex-Séléka. Pour le nouvel impétrant, qui ambitionne de rallier à sa cause les deux autres mouvements issus de l’éclatement de l’ex-alliance, l’UPC d’Ali Daras et le FPRC de Nourredine Adam et Michel Djotodia, l’objectif est « de présenter un front uni en vue du Forum de réconciliation nationale de Bangui, prévue en janvier 2015 ».

Si le porte-parole du nouveau regroupement prétend qu’ils ont choisi « une appellation pour montrer notre volonté d’aller vers la paix », il convient de rappeler que les branches militaires subsistent et n’ont toujours pas désarmé.

 

En réalité, les ex-Séléka jouent profil bas, pour l’heure, afin d’échapper au Tribunal pénal international.

 

Manuel Valls s’initie à la politique africaine.

 

La crise centrafricaine sera à l’ordre du jour du sommet de la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (CEEAC) organisée à partir de ce lundi 24 novembre 2014 à N’Djaména, capitale du Tchad. Le premier-ministre français, Manuel Valls, qui n’a montré jusqu’alors aucune appétence pour les affaires africaines, sera de la partie accompagné par son ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, bon connaisseur du dossier centrafricain. Les deux hommes politiques sont en déplacement auprès des troupes françaises positionnées dans la région.

Bien évidemment, le chef de l’Etat de la transition en Centrafrique est également conviée à cette réunion, dans l’espoir sans doute d’effacer l’humiliation subie au précédent sommet que la CEEAC avait convoqué à Malabo (Guinée Equatoriale) en juillet 2014.

 

C’est notre vœu le plus cher, en ce 25 novembre 2014, jour de la Sainte Catherine !

 

Le MLPC réunit son Conseil national politique.

 

Le mouvement de libération du peuple centrafricain (MLPC) a réuni ce week-end, les 20 et 21 novembre 2014 son Conseil national politique, le parlement du parti. Au terme d’un discours dominé essentiellement par des préoccupations électoralistes, le président du mouvement, Martin Ziguélé a annoncé les prochains objectifs du CNP : la création de l’école du parti, la création de la radiodiffusion du MLPC, la création de la télévision en ligne du MLPC et la création de l’organe du parti, Kongo Wara ! Pour un mouvement qui se prétend de la social-démocratie, voilà un programme bien léniniste.

En faisant appel à la guerre du Kongo-wara, le MLPC joue la confusion : s’agit-il du mouvement indigène, encouragé par les missionnaires, de résistance passive et de désobéissance civile au travail forcé imposé par les sociétés concessionnaires ou bien fait-il référence à la cérémonie initiée par le guérisseur, féticheur et prophète Karinou, apprenant aux guerriers à transformer les « Blancs » en gorilles (afin de les tuer sans crise de conscience) et à se rendre invincibles aux balles, comme le proclament aujourd’hui les anti-Balaka ?

Pour aller à la réconciliation nationale, encore faut-il que le peuple et ses élites partagent les mêmes références, … et parlent le même langage !

 

Martin Ziguélé, premier candidat officiel aux prochaines présidentielles.

 

L’affaire était pliée d’avance, même si le Conseil national politique du Mouvement de libération du peuple centrafricain (MLPC), qui s’est réuni en fin de semaine dernière (voir ci-dessus), lui confère une onction démocratique : Martin Ziguélé a été désigné à la mode soviétique, par acclamation, pour être le candidat du parti à l’élection présidentielle qui doit se tenir avant août 2015 en République centrafricaine. Le dernier premier-ministre de 2001 à 2003 du régime du président Ange-Félix Patassé le reconnait bien volontiers : « Quand on est citoyen d’un pays et qu’on a eu en RCA des responsabilités à un niveau gouvernemental, on est quelque peu responsable de ce qui arrive dans le pays, mais être responsable ce n’est pas être coupable ! »

On reprenant cet élément de langage du parti socialiste français comme ligne de défense, Martin Ziguélé s’exonère trop facilement de ses responsabilités ; il est le premier-ministre qui a, d’une part fait rentrer pour la première fois des troupes étrangères en RCA, les rebelles du Mouvement de libération du Congo (MLC) de Jean-Pierre Bemba, actuellement jugé devant le TPI pour les crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis contre les civils centrafricains, et d’autre part lancé une traque implacable contre les populations de l’ethnie du président André Kolingba, considéré comme le commanditaire de la tentative de « coup d’Etat de la Fête des Mères » du 28 mai 2001 !

 

L’homme a déjà été candidat sans succès aux présidentielles de 2005 et 2011 ; il n’y a jamais deux sans trois.

 

Révolte et mutinerie à la prison de Bangui.

 

Les détenus de la prison centrale de Ngaragba, à Bangui, se sont révoltés le lundi 24 novembre 2014 dans la matinée. Tout aurait commencé vers six heures du matin lorsque des gardiens sont venus chercher le corps sans vie d’un prisonnier décédé dans la nuit.

Armés de grenades et de fusils kalachnikovs, les détenus ont tenus en échec les gardiens de longues heures durant. Des coups de feu claquent quand les Casques bleus, venus à la rescousse du personnel pénitentiaire, essaient de reprendre le contrôle de la détention. Les détenus lancent même des grenades à l’extérieur, par-dessus le mur d’enceinte, afin d’empêcher l’arrivée de renfort ! L’incident aura fait 4 blessés parmi les Casques bleus, dont un grave, et deux décès parmi les mutins. Ces derniers protestaient contre l’absence d’une prise en charge sanitaire satisfaisante, des conditions de détention très difficiles et la lenteur des procédures judiciaires. La prison de Ngaragba, construite en 1947 pour 400 détenus, héberge à ce jour 620 détenus pour 450 places après réhabilitation.

 

Il reste à se poser la question de l’entrée et de la présence d’armes de guerre à l’intérieur d’un établissement dit de sécurité, alors que les autorités de la transition se félicitent depuis quelques mois des travaux de réhabilitation de cette maison d’arrêt, réputée jusqu’alors pour ses nombreuses évasions en masse.

 

 

Paris, le 25 novembre 2014

Prosper INDO