Centrafrique : Chroniques
douces-amères – 24
« Sans la liberté de blâmer, il
n’y a point d’éloges flatteurs »
(Beaumarchais)
L’hydre à trois têtes de l’ex-Séléka poursuit sa
mue.
Djono Ahaba, ancien ministre d’Etat et neveu du
président démissionnaire de l’ex-alliance Séléka, Michel Djotodia, semble
prendre ses distances avec son ancien tuteur. Il s’est ainsi inscrit dans la
dynamique du « général » Joseph Zoundeko. Djono Ahaba aurait pris part
et financé la création du Rassemblement patriotique pour la renaissance de la
Centrafrique (RPRC), la troisième entité surgie de l’éclatement de l’ex-Séléka,
au côté de l’UPC de Daras et du FPRC de Nourredine Adam.
L’intéressé s’était astreint au silence mais voyageait
beaucoup, en particulier dans les pays supposés influencer les autorités de la
transition, le Tchad d’abord, puis la France où il dispose de quelques
avoirs.
L’ambitieux, qui aspirait à devenir le
premier-ministre de l’après Djotodia, tient-il donc sa revanche ? Rien
n’est moins sûr. Le serpent s’affaiblit toujours quand il fait sa
mue.
Les satrapes et aigrefins tiennent à leurs strapontins
politiques.
Dans l’optique du Forum de Bangui censé jeter les
bases de la réconciliation nationale,
les anti-Balaka veulent devenir des acteurs politiques. L’une des
composantes de ces milices s’est transformée en parti politique ce samedi 30
novembre 2014, le Parti centrafricain pour l’unité et le développement (PCUD),
en élisant à sa tête l’ex-coordinateur national du mouvement, Edouard Patrice
Ngaïssona. Dans la foulée, elle prétend déposer les armes : « A partir
d’aujourd’hui, aucun membre des anti-Balaka ne doit faire usage de ses armes,
pour quelque raison que ce soit. Nos armes doivent toutes être enterrées »,
a déclaré le nouvel élu devant un parterre de diplomates et de représentants du
gouvernement de transition.
Une promesse qu’il faut prendre au conditionnel ;
enterrer les armes ne veut point dire les remettre aux autorités de la
transition.
Il y a un an, jour pour jour, le 5 décembre 2013, des
milliers de personnes ont péri dans les violences quand les anti-Balaka ont pris
les armes en septembre 2013, après les tueries, les viols et les vols commis par
les forces rebelles de la Séléka alors au pouvoir.
L’état-major des ex-Séléka tranféré à Bria, la France
tient sa partition.
La décision de transférer l’état-major de l’ex-Séléka,
actuellement installé à Bambari dans le cadre des mesures de confiance, aurait
été prise lors de l’assemblée générale organisée par le « général »
Joseph Zoundeko et qui a abouti à la création du RPRC : « C’est lors
des assises que les participants ont estimé nécessaire de rassembler tous les
hommes dans la ville de Bria parce que l’essentiel des combattants sont de la
région », aurait indiqué un membre du commandement de cette
rébellion.
En réalité, c’est depuis des mois déjà que, sur
l’initiative de l’ambassade de France en RCA, il était prévu de regrouper tous
les combattants de l’ex-Séléka à Bria, où la Minusca a établi sa troisième tête
de pont. Une caserne a été réhabilitée pour les accueillir, et l’ambassadeur de
France ainsi que le « général » Moussa Dhaffane s’étaient rendus dans
la localité pour la réception des travaux.
La France tient ainsi une partition de fait du pays
qui garantit ses intérêts, en particulier les réserves pétrolières et les mines
des diamants du nord du pays, placées sous le contrôle des forces rebelles
bénéficiaires des mesures dites de confiance.
Le proconsul Malinas ne peut plus jouer longtemps son
Ponce-Pilate.
La révolte des « godillots » du CNT bloque
l’adoption du code électoral.
Le Conseil national de transition ne cesse de renvoyer
le débat sur la relecture du code électoral, dont le projet a été transmis par
le gouvernement au président du CNT, après avis de la Cour constitutionnelle de
transition. Par deux fois, le débat programmé a été reporté, la première fois
pour absence du quorum requis, la seconde fois pour défaut de
concertation.
En réalité, les Conseillers nationaux ne veulent plus
jouer les « godillots » d’une chambre d’enregistrement :
« Nous ne voulons plus qu’on nous mette devant des faits accomplis ou que
nous validons des décisions qui au lieu d’être prises ici sont prises ailleurs
et même pas en Centrafrique ». Que ne l’ont-ils dit plus
tôt ?
Rappelons que les élections générales doivent se tenir
avant août 2015 ; et sans code électoral, point
d’élections !
Le CNT est comme un âne qui hésite devant un pont de
singes, il faut lui bander les yeux.
Nourredine Adam hôte du Médiateur de la crise
centrafricaine.
L’ancien numéro deux de l’ex-alliance Séléka,
aujourd’hui premier vice-président du FDPC, l’un des trois groupuscules issus de
l’éclatement du mouvement de Michel Djotodia, a été aperçu dans la capitale de
la République du Congo. Il aurait été invité par le président Denis Sassou
Nguesso pour parler du Forum de Bangui en préparation.
Après Abdoulaye Miskine, récemment libéré des geôles
du Cameroun après la libération des otages de son mouvement, c’est donc au tour
Nourredine Adam. Bien que menacé de sanctions par l’Onu, ce dernier était la
semaine dernière au Tchad, ce lundi 2 décembre 2014, il est dans la capitale
congolaise. Brazzaville n’est plus la capitale de la France Libre, mais la
plaque tournante - comme on dit d’un vulgaire marché de dope - d’une
Centrafrique moribonde.
A croire que la paix en République centrafricaine
repose essentiellement sur un matelas de pétrodollars.
Ouverture d’une enquête envisagée en RCA par Mme Fatou
Bensouda.
Le procureur de la Cour pénale internationale (CPI),
Mme Fatou Bensouda, a rendu mardi 3 décembre 2014, son rapport annuel sur les
activités menées en matière d’examens préliminaires, couvrant la période du
1er novembre 2013 au 31 octobre 2014.
Sur les onze (11) situations examinées, l’ouverture
d’une enquête est envisagée en République centrafricaine.
Le rapport 2014, quatrième du genre depuis 2011, vise
à mieux faire comprendre auprès de l’opinion publique le processus des examens
préliminaires du bureau du procureur, lequel constitue la première étape pour
l’ouverture d’une enquête : le procureur doit examiner la question de la
compétence, de la recevabilité (gravité) et des intérêts de la justice, afin de
déterminer s’il existe une « base raisonnable » pour ouvrir une
enquête. Actuellement, huit enquêtes sont en cours en Afrique : Ouganda, RD
Congo, Darfour (Soudan), RCA, Kenya, Libye, Côte d’Ivoire et
Mali.
Un match pour le 56ème anniversaire de la
proclamation de la République centrafricaine.
Pour célébrer le 56ème anniversaire de la
proclamation de la République, ce 1er décembre 2014, ni grand défilé
– il n’y a plus d’armée – ni grande kermesse ; les Banguissois et
Banguissoises se sont contentés d’un match de football. Deux équipes ont été
constituées : les 22 joueurs ainsi que leurs remplaçants ont été
sélectionnés parmi les musulmans, les chrétiens, les éléments des forces
française Sangaris, de la Minusca et d’Eufor-Rca (la force européenne). Le match
qui s’est déroulé sans incident s’est soldé par un score de 3 buts à 2, sans que
le nom des vainqueurs ne soit connu. Ce qui fait dire à l’un des initiateurs du
projet, Sébastien Wénézoui, naguère idéologue des anti-Balaka, « Les
valeurs olympiques ont joué un rôle capital » !
Encore un qui ne va plus au cinéma à Bangui, depuis la
fermeture du Rex : sous la Rome antique déjà, on organisait des jeux du
cirque où les gladiateurs jouaient avec les têtes de leurs victimes, en les
faisant rouler aux pieds, au grand plaisir de César et du
public.
L’escorte du président du CNT attaquée à Bambari, un
mort.
Un élément de l’escorte du président du Conseil
national de la transition, Alexandre Ferdinand Guendet, a été abattu et un autre
grièvement blessé par des éléments de l’ex-Séléka de Bambari. Les éléments de
l’escorte du président, dépêchés dans cette localité pour préparer son arrivée
en vue de la fête du 1er décembre qu’il comptait y organiser, ont été
attaqués alors qu’ils réparaient leur véhicule immobilisé par une
crevaison.
Les témoignages recueillis accusent les peulhs armés
contrôlés par le « général » Ali Daras de l’ex-Séléka, malgré les
dénégations du porte-parole de ce dernier. Pour sa part, le président du CNT a
« maintenu la cérémonie parce que ce geste est un défi pour lui et pour les
autorités. Il faut confondre ces fauteurs de trouble » a-t-on indiqué dans
son entourage. Aux dernières nouvelles, la fête n’a pas eu lieu. Il n’appartient
pas au président du CNT d’organiser les cérémonies officielles dans sa ville
natale ; c’est le rôle du préfet de la Ouaka, sur instruction du
gouvernement.
En l’occurrence, l’amateurisme, la confusion des rôles
et le non-respect des règles élémentaires du protocole et de la hiérarchie
administrative tuent aussi sûrement que la violence en bandes
organisées.
La partition s’affirme dans les préfectures du nord de
la RCA.
Les éléments des ex-Séléka refusent à ce que l’Etat
puisse déployer ses représentants dans les zones sous leur contrôle, en
particulier dans le Bamingui-Bangoran et la Nana-Gribizi.
A N’délé, chef-lieu du Bamingui-Bangoran, ils se sont
farouchement opposés à l’installation des préfet et sous-préfet, se comportant
en terroristes : le préfet du Bamingui Bangoran a été blessé par balle
ainsi qu’un certain nombre de cadres administratifs et techniques qui devaient
être installés ce 1er décembre 2014. Le ministre de la sécurité
publique, ministre résident, qui conduisait la délégation a failli être pris en
otage. A Kaga-Bandoro, les ex-Séléka n’ont pas fait usage de leurs armes mais
ont empêché l’installation du préfet de région.
Le « général » Alkhatim, qui dirige les
ex-Séléka dans cette zone est catégorique : « Qui ici va là-bas à
Bangui pour commander ? Personne, alors pourquoi ils doivent nous amener
des autorités ici ? Nous n’acceptons pas pour le moment ». Les actes
posés à Ndélé et Kaga-Bandoro sont donc un signal fort envoyé aux autorités de
la transition. Il s’agit d’enraciner l’idée de la partition de la
RCA.
A vouloir jouer à la Mère supérieure d’un couvent de
sœurs angéliques, le chef de l’Etat de la transition risque de se voir dicter
les faits par les réalités du terrain.
Deux anciens cadres de l’ex-Séléka frappés par une
mesure d’épuration tardive.
Eric Néris Massi et Moustapha Saboune, respectivement
directeur général de l’Autorité nationale de l’aviation civile (ANAC) et
directeur général de l’Agence de régulation des télécommunications (ART) ont été
relevés de leurs fonctions par décret du chef de l’Etat de la transition. Ils
avaient été nommés à ces postes par Michel Djotodia, à titre de services rendus
à la rébellion, l’un comme porte-parole de l’ex-alliance, l’autre comme
partenaire du président démissionnaire dans l’exploitation
diamantifère.
La corruption et les malversations financières à la
tête de ces deux agences motiveraient cette mesure
tardive.
Seul le profil de leurs remplaçants respectifs pourra
dire s’il s’agit d’une décision juste ou bien une mise à l’écart arbitraire pour
placer des familiers de la présidence.
La RCA s’enfonce dans les abysses de la
corruption.
L’ONG
Transparency International a rendu public ce mercredi 3 décembre 2014, le
classement mondial de l’indice de perception de la corruption. La RCA qui
figurait en 144è position en 2013, sur 174 pays étudiés, chute désormais à la
150ème place en 2014, avec une note de 24/100.
Dans ce classement, les pays qui ont une note
inférieure à 50 ont un secteur public perçu comme extrêmement corrompu, et ceux
qui ont une note proche de 100 ont un secteur public considéré vertueux
(extrêmement intègre). L’indice de la perception de la corruption 2014 dénonce
« les abus de pouvoir des responsables politiques et des hauts
fonctionnaires », et une mauvaise note dénote un recours systématique à des
pots-de-vin, l’absence de sanction en cas de corruption et une inéquation entre
les activités de l’administration et les besoins de la population. En Afrique,
le Botswana enlève la palme d’honneur avec une note de 63/100 (31ème
rang). En Afrique centrale, c’est le Gabon (37/100).
Le classement 2014 de la RCA est sans doute l’effet
collatéral du milliard de francs CFA évaporé du don angolais de 10 millions de
dollars. Le chef de l’Etat de la transition ne doit pas être très fière, elle
fait moins bien que ses prédécesseurs !
La violence indifférenciée continue à faire des morts
à Kabo.
Les peulhs armés, communément appelés Mbararas (ou
Mbororos) multiplient les exactions meurtrières et enchaînent les expéditions
punitives dans l’arrière-pays, en particulier dans la localité de Kabo Au total
sept personnes auraient été tuées en une semaine : quatre personnes qui
étaient en train de pêcher en toute quiétude ont été abattues le vendredi 28
novembre 2014. Le lendemain, 29 novembre 2014, une autre personne isolée a été
tuée par balle, dans des conditions similaires. Enfin, le mardi 2 décembre 2014,
deux cultivateurs ont également été exécutés par les peulhs armés alors qu’ils
étaient dans leurs champs.
Les attaques des peulhs armés deviennent un phénomène
récurrent dans le nord du pays. Ces exactions se concentrent ces derniers temps
autour de la ville de Kabo : « Les peulhs Mbararas savent que
maintenant les gens vivent sur les sites et que pendant la journée ils sont au
champs. C’est donc dans la brousse qu’ils tuent les gens et commettent
impunément leurs exactions », explique-t-on sur
place.
Les peulhs, longtemps victimes des preneurs d’otages
et voleurs de bétail, seraient-ils déterminés à déterrer la hache de guerre
entre éleveurs et agriculteurs ?
La malédiction des femmes nues du
Haut-M’Bomou.
Zémio, localité située à l’extrême sud est de la
République centrafricaine, dans la préfecture du Haut-M’bomou, et peuplée
d’environ 10 000 âmes, vient d’être le théâtre d’une manifestation symbolique
forte, insolite et inhabituelle. Le samedi 22 novembre 2014, jour traditionnel
de marché, les femmes de Zémio ont à leur manière fait entendre leur voix pour
exiger la paix, « E yé siriri » : elles se sont dévêtues et mises
nues en place publique ! Geste théâtrale et extraordinaire en Afrique
noire, tant la nudité de la femme est sacrée. Son exposition volontaire est un
acte de colère et de désespoir qui appelle la malédiction sur les personnes
l’ayant provoqué par leur comportement insensé.
Depuis 2008, Zémio et toutes les villes du
Haut-Oubangui payent un lourd tribut aux exactions des rebelles ougandais de
l’Armée de Résistance du Seigneur (LRA) de Joseph Kony : meutres, razzias,
pillages, incendies, viols… Les voici désormais exposées aux violences
intercommunautaires entre musulmans et chrétiens, entre Centrafricains.
En enlevant leur voile de pudeur, les femmes de Zémio
lancent un avertissement aux hommes politiques de tous bords ; les voici
maudits !
Ils sont déjà quarante-et-un, comme dans le conte
d’Ali Baba.
L’institut d’études de sécurité (ISS) vient de rendre
public son dernier rapport sur l’Afrique centrale consacré à la course à la
présidentielle en République centrafricaine. D’après cette étude, le nombre de
candidats potentiels s’élève à 42, dont au moins « huit (8) personnes ont
déjà annoncé leur candidature, se sont enregistrés auprès de la Commission
électorale et payé les frais requis de 5 millions de francs requis », quand
bien même ni le Code électoral ni les listes n’ont été publiées. Les portraits
dressés de ces candidats putatifs les distinguent en trois catégories : les
chefs de partis, les indépendants et les aventuriers. Cette distinction est
factice. Ils ont tous en commun, à deux ou trois cas près, d’avoir été ministres
dans les derniers régimes politiques qui ont gouverné le
pays.
A voir le résultat, ils n’ont aucune
chance !
L’institut le dit plus poliment : « La liste
des candidats potentiels serait plus courte si tous ceux qui ont été impliqués
dans des activités criminelles étaient tenus responsables de leurs actes ».
Sic transit !
Paris, le 05 décembre 2014
Prosper INDO