Centrafrique : Chroniques douces-amères – 26

                              « Sans la liberté de blâmer, il n’y a point d’éloges flatteurs »

                                                             (Beaumarchais)

 

 

 

Un match totalement nul.

 

Le dimanche 14 décembre 2014 dernier, sans doute préoccupés par la situation sécuritaire qui prévaut dans le pays, les responsables des milices anti-Balaka et des rebelles de l’ex-Séléka, Sébastien Wénézoui et Abdel Kader Khalil, se sont donné le bon rôle, en organisant une rencontre de football dite de réconciliation, sous le vernis officiel du ministre de la Réconciliation nationale, Jeannette Détoua, et son collègue de la Jeunesse et des sports, l’ancien militaire déserteur des FACA et ex-dirigeant de la milice Révolution et justice, le nommé Armel Sayo. Pour les besoins de la cause, les deux ministères ont versé la somme de 80000 francs CFA (120 €) pour l’acquisition des équipements sportifs. Le match nul permit de ménager la susceptibilité de chacun.

Naguère, le fauteur de trouble par lequel une guerre était déclenchée entre communautés, eût été occis et les membres des deux camps se badigeonnaient le corps de son sang afin d’expier le mauvais sort. Faute de coupable identifié, on sacrifiait un bœuf ou un bouc dans les mêmes conditions. Autre temps, autres mœurs, aujourd’hui on s’excite vainement autour d’un ballon rond.

 

Hier, l’ex-premier ministre André Nzapayéké comptait sur la coupe du monde au Brésil pour conjurer les exactions meurtrières, avec le succès que l’on sait. Ses successeurs se montrent encore moins inventifs.

 

Fuir à tout prix : l’exode interdit des peuls de Yaloké.

 

La ville de Yaloké est située à 200 kilomètres au nord-ouest de Bangui. Là, 140 familles d’éleveurs peulhs attendent des camions pour fuir au Cameroun voisin, mais les autorités de la transition, sans doute échaudées par les accusations de nettoyage confessionnel ayant accompagné les précédentes évacuations, refusent de les laisser partir, malgré les conditions sanitaires exécrables qui sont les leur : « Depuis que nous sommes arrivés à Yaloké, il y a sept mois, 41 des nôtres sont morts », affirme un membre du groupe. Le haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés s’émeut de la situation : « Une aide humanitaire d’urgence est nécessaire, de même qu’une assistance afin de procéder à la relocalisation dans des lieux plus sûrs, à l’intérieur de la République centrafricaine ou dans les pays voisins ».

 

Au lieu d’encourager la Minusca à faire application des résolutions du Conseil de sécurité, un organisme officiel des Nations Unies préfère déplacer les problèmes au lieu de les résoudre !

 

Le conseiller militaire de Révolution et justice en prison.

 

C’est le conseiller militaire du mouvement rebelle « Révolution et Justice », le mercenaire belge nommé François Toussaint ou encore David Ngoy, alias Kalonda Omanyama, qui serait à l’origine de la mutinerie de la prison centrale de Ngaragba où il est actuellement détenu. C’est François Toussaint qui, en qualité de bras droit du capitaine Armel Sayo, aurait mis au point la stratégie militaire de Révolution-Justice, et permis à ce mouvement rebelle de prendre le contrôle de plusieurs localités du nord de la RCA. La procédure d’extradition de ce dernier vers la Belgique, son pays d’origine, serait en bonne voie mais l’intéressé, qui conteste cette procédure judiciaire,  a créé cette situation pour tenter de s’évader.

 

Le signe de l’impunité en RCA ? Armel Sayo est au gouvernement, et son conseiller militaire en geôle !

 

Le désengagement militaire de la France sonne-t-il le glas de la transition ?

 

Le ministre français de la défense, Jean-Yves Le Drian a annoncé récemment le retrait progressif des forces militaires françaises en RCA. Forte actuellement de 1950 hommes, l’opération Sangaris ne comprendra plus qu’un bataillon à la mi-mars 2015, soit 450 soldats en tout et pour tout.

Cette réduction des effectifs sonne le glas de la transition : déjà, les « généraux » de l’ex-Séléka se raidissent et regagnent des marges de manœuvre comme en témoignent les hostilités récentes à Kabo ou Bambari. De son côté, le clan de François Bozizé, le président déchu, reprend espoir au point d’envisager sa candidature aux prochaines élections présidentielles…

 

A tout le moins, le prochain forum intercentrafricain de Bangui, prévu au début de l’année 2015, est mort-né et sonne le glas de la transition.

 

François Bozizé candidat ? Seul les naïfs s’en étonnent.

 

Dans un communiqué rendu public le mercredi 10 décembre 2014 dernier, les proches du président déchu ont annoncé son retour en politique et sa désignation comme candidat du KNK (Kwa na kawa) au prochain scrutin présidentiel : « Le président Bozizé n’a pas perdu ses droits civiques ni politiques. Il est le président fondateur et le mieux placé au sein du KNK pour être notre représentant pour les futures présidentielles », a argumenté son fidèle Ndoungourou.

L’homme a de la ressource : en mars 2003, il parvenait au pouvoir par la force, s’engageant à ne pas se présenter aux présidentielles au terme d’une transition de 2 ans, paroles d’officier général ! Il se présenta. Deux mandats plus tard, soit dix ans passés à la tête de l’Etat centrafricain, il manigança pour modifier la constitution et briguer un troisième quinquennat. Le coup de force de la Séléka l’en empêcha. Le voici de retour, comme en septembre 1982, lorsqu’il tenta de renverser le général André Kolingba avec la complicité d’Ange-Félix Patassé.

 

Les cancres ont un point commun avec les tiques : ils ne connaissent pas leurs limites.

 

Martin Ziguélé oppose un niet à la participation de Djotodia et Bozizé au Forum de Bangui.

 

Le président du mouvement de libération du peuple centrafricain (MLPC) et candidat désigné de son parti aux prochaines élections présidentielles, le nommé Martin Ziguélé, a réaffirmé son opposition à la participation de François Bozizé et Michel Djotodia, respectivement président déchu et président démissionnaire de la RCA, aux prochain Forum intercentrafricain prévu le mois de janvier 2015 à Bangui : « J’estime que lorsqu’on a du sang sur les mains, il faut en rendre compte. Le dialogue n’est pas un prétexte pour consacrer l’impunité ».

Martin Ziguélé parle d’or : en qualité d’ancien premier-ministre d’Ange Félix Patassé, responsable des exactions commises par les rebelles du MLC de Jean-Pierre Bemba, actuellement en procès à la Haye, il devrait s’appliquer les propres préceptes et renoncer. Il en va de même des responsables des anti-Balaka et l’ex-Séléka qui se travestissent aujourd’hui en chefs politiques ; ils doivent donner l’exemple : aller devant la justice. On y verrait plus clair.

 

Comme en toute chose, charité bien ordonnée commence par soi-même.

 

Les déplacés de l’aéroport Bangui-M’poko dérangent.

 

Le gouvernement de transition et la Minusca sont au moins d’accord sur un point en Centrafrique : ils viennent de demander aux organisations humanitaires non gouvernementales de trouver une solution de rechange pour les quelques 20.000 déplacés internes qui continuent de squatter la proximité de l’aéroport international de Bangui-M’poko. En ce qui la concerne, la Minusca presse au délogement des sinistrés afin de construire un parking aéroportuaire destiné à accueillir ses gros porteurs. Pour sa part, l’agence française de développement (AFD) prévoit la construction d’un mur tout autour de l’aérodrome pour contenir le va et vient incessant des sinistrés à travers les pistes d’atterrissage. Le sort des sinistrés importe peu, seul compte la sécurité logistique et le confort des forces internationales.

 

La « Planète des singes » version onusienne est en marche en Centrafrique.

 

A M’Brès, la partition du pays est en marche.

 

La bataille de M’brès, localité située à une centaine de kilomètres de Kaga-Bandoro, le chef-lieu de la Kemo-Gribizi, est un fait de guerre important. Au-delà des 28 victimes recensées, elle traduit la volonté de partition inébranlable des leaders de l’ex-Séléka, quoi qu’ils disent. De même, cette vague d’exactions répétées témoigne de l’échec des dites « mesures de confiance » instituées par les Sangaris et la Misca au début du mois d’avril 2014. Le fait de cantonner les rebelles de l’ex-Séléka, tout en les autorisant à conserver leur armement et d’assurer leur liberté de circulation était un choix délibéré : la partition du pays est désormais en marche selon une ligne de front qui court de Bouar à Bria, en passant par M’brès, malgré les dénégations timides des uns et des autres, en particulier des forces internationales. Il faut y faire face désormais, c’est-à-dire par la force ou par le suffrage universel.

 

L’objectif ? Faire que la RCA, qui se vit aujourd’hui comme un espace-frontière de circulations, parcouru par les hordes barbares et sanguinaires, devienne un Etat-frontière entre le nord islamique et le sud animiste et chrétien.

 

Tu ne m’appelleras plus jamais mon frère !

 

A les voir se saluer front contre front, à la manière de deux béliers qui testent la force de leur encolure, en se donnat du « mon frère » à chaque phrase, on ne reconnait pas les bourreaux du peuple centrafricain derrière ces visages affables et souriants. Il faut bien en convenir, ils se connaissent tous et se reconnaissent d’emblée, s’étant longuement croisés dans les différents gouvernements des régimes alternatifs des présidents Ange Félix Patassé, François Bozizé et Michel Djotodia, voire encore sous Catherine Samba-Panza. Pourtant, derrière ces masques de cérémonies, se cache une frénésie du pouvoir qui n’a d’égale que leur capacité de nuisance sociale et de prédation économique.

A les voir s’embrasser lors des veillées mortuaires, lieux de prédilection où il leur faut paraître et montrer leur compassion même feinte, les hommes politiques centrafricains donnent froid dans le dos, par tant de haine et de cynisme affichés.

On a plus que l’envie de leur crier : « Ne m’appelle plus jamais mon frère » !

 

L’aide de camp de Baba Laddé arrêté lui aussi en Centrafrique.

 

Selon la porte-parole de la Minusca, « Les forces de la Minusca ont mis la main sur l’aide de camp de Baba Laddé, un certain Adam Moussa. Il a été ensuite transféré à Bangui et maintenu dans un lieu sûr ». L’opération s’est déroulée le 9 décembre 2014 à Kabo. Un jour après l’arrestation de son chef, Baba Laddé, c’est en tentant de retraverser la frontière et de rebrousser chemin en direction du Tchad que Adam Moussa aurait été appréhendé sur une barrière érigée à la sortie de la ville de Kabo par les forces internationales de la Minusca.

 

Le Tchad n’aurait pas fermé sa frontière d’avec la République centrafricaine ?

 

Les maires francophones ont fait le voyage de Bangui.

L’association internationale des maires francophones s’est finalement réunie ce lundi 15 décembre 2014 à Bangui, pour échanger sur la situation de la République centrafricaine. En procédant à l’ouverture des travaux,  le chef de l’Etat de la transition s’est épanché de la manière timorée et surréaliste qui est désormais sa marque de fabrique, sur le rôle que doivent jouer les autorités administratives dans le retour à la paix en Centrafrique : « Les préfets et les délégations spéciales ont un rôle extrêmement important à jouer dans ce processus. Il y a bien entendu les autorités religieuses et traditionnelles ». Or tout le monde sait qu’il n’y a plus ni préfets ni délégations spéciales en province. Dieu merci, le maire de Dakar a remis les pendules à l’heure et de l’ordre dans les idées. Kalifha Sall l’a rappelé : « Les autorités locales sont les premières autorités légitimes dans nos Etats », a-t-il insisté.

 

Espérons que la voix de l’étranger sera entendue ; voilà bien un an que nous répétons qu’il faut remobiliser les chefs de terres et chefs de village pour le besoin de la paix en Centrafrique.

 

Reims et la parabole de la pêche miraculeuse.

 

Une récente prise de position du compatriote Gbandi Anatole a tenté de mettre en valeur la ville de Reims et ses deux associations centrafricaines, Le Groupe de Reims et Amis de Centrafrique. L’une portée vers les grands débats d’idées qui semblent dépassés au dire de l’auteur du billet. L’autre fondée en 2008 par une ancienne ministre des Eaux et forêts et spécialisée dans l’organisation évènementielle : collecte de vêtements ou autres, défilés de mode et autres soirées de gala, qui emporte son adhésion. Le choix est d’importance cornélienne.

Soit une mare. Sur la rive gauche, un enfant joue à faire des ricochets en lançant des cailloux plats à la surface de l’onde ; les poissons qui se précipitent, croyant avoir affaire à des vols de libellules, sont très vite lassés par ces leurres. Sur la rive droite, une ménagère récure sa vaisselle avec des poignées de grains de sable en lançant des détritus dans l’eau ; les poissons y trouvent vite leur pitance et s’impatientent.

 

Survient un pêcheur. De quel côté doit-il se mettre pour espérer une pêche miraculeuse ? Du côté de la dame, bien entendu. Raison pour laquelle les régimes autocratiques favorisent la naissance des associations de bienfaisance ; elles n’aiguisent pas la conscience des masses populaires et détournent leur regard des turpitudes du pouvoir.

 

L’autorité nationale des élections tente un timide déploiement.

 

L’autorité nationale des élections (ANE) a lancé depuis quelques semaines la création de ses comités locaux, a indiqué Bernard Kpogamba, le président de sa commission des opérations électorales.

Le président de la COE a expliqué que « les préfectures de la Nana Mambéré, Mambéré Kadéi et Sangha Mbaéré sont déjà dotées des démembrements de l’Autorité nationale des élections ». « Pour le moment, des efforts se font pour que les commissaires puissent aller implanter les démembrements dans les autres régions du pays. Bientôt nous irons dans la Lobaye, l’Ouham, l’Ouham-Pendé et la Kémo pour que les démembrements soient créés ».

 

Autrement dit, à suivre le président de la commission des opérations électorales de l’ANE dans ses pérégrinations géographiques, le déploiement de l’autorité nationale des élections ne concernent pour l’instant que les zones sous contrôle des milices anti-Balaka.

 

Des attaques menées par des Peulhs font au moins 18 tués.

 

 Selon un responsable de la préfecture de la Mambéré-Kadéi, « plusieurs dizaines de Peulhs armés auraient attaqué les localités de Gamboula et de Nola dans la matinée du dimanche 21 décembre 2014, faisant au moins 8 morts dans la première localité et 10 morts dans la deuxième ». A Gamboula, les hostilités étaient toujours en cours le mardi 23 décembre 2014, entre les assaillants et des membres des milices anti-Balaka qui seraient intervenues en représailles, à Bombo et Tanga, localités proches de Gamboula. Selon cette même source, « la plupart des habitants ont été surpris dans leur sommeil par les assaillants qui ont aussi incendié des dizaines de maisons ».

 

Selon le maire de Gamboula, qui attend l’arrivée de militaires pour sécuriser la zone, les assaillants viendraient du Cameroun voisin. On attend la réaction du HCR.

 

Le dernier voyage de Catherine Samba-Panza.

 

Le chef de l’Etat de la transition n’en finit pas de voyager … à l’étranger, malgré les finances exsangues du pays.  Ce samedi 20 décembre 2014, elle revenait d’Egypte à la suite d’une visite de travail et d’amitié de trois jours, à la tête d’une forte délégation centrafricaine. Au cours de ce déplacement, elle a visité le canal de Suez et l’université britannique du Caire où elle a été faite présidente d’honneur lors de la cérémonie d’ouverture du département Afrique de cette institution. Catherine Samba-Panza, docteur honoris causa ? Même la tortue en pleure de rire.

A son arrivée à l’aéroport de Bangui, la présidente de transition a plaidé la réouverture de l’ambassade d’Egypte en Centrafrique : « Nous avons souhaité la réouverture de l’ambassade égyptienne à Bangui et surtout la reprise de la coopération dans tous les domaines. Parce que nous avons besoin des médecins, d’enseignants et d’investisseurs ». Ce n’est plus de la mendicité d’Etat, c’est de la prostitution. On plaiderait pour que la présidente de transition reste au chevet de son peuple et confie à l’Onu, désormais installée à demeure, le soin de démarcher les bailleurs de fonds.

 

Dans la situation actuelle, un peu de dignité ne ferait pas de mal.

 

 

Paris, le 26 décembre 2014

 

Prosper INDO