Centrafrique : Chroniques douces-amères – 27

« Sans la liberté de blâmer, il n’y a point d’éloges flatteurs »

(Beaumarchais)

 

 

Les putschistes et comploteurs se réunissent à Naïrobi.

 

Une concertation se tient depuis le week-end du 27 au 28 décembre 2014 dernier à Naïrobi, capitale du Kenya, et regrouperait plusieurs personnalités centrafricaines, dont les présidents déchu et démissionnaire François Bozizé et Michel Djotodia, le « général » rebelle Nourredine Adam ainsi que quelques représentants des milices anti-Balaka comme le nommé Joachim Kokaté, conseiller du premier-ministre centrafricain pour le programme DDR (Désarmement, démobilisation et réinsertion). Interrogé sur la nature de cette rencontre, le premier-ministre Mahamat Kamoun donne sa langue au chat : « Par rapport à ce qui se passe à Naïrobi, le gouvernement n’est pas au courant. Les autorités de la transition à savoir la présidente de la République, le président du parlement provisoire, nous ne sommes pas au courant ». Le conseiller à la Primature se balade donc sans en référer.

Pour le ministre de l’administration du territoire et porte-parole du gouvernement, l’imam Modibo Bachir Walidou, alias « l’homme qui ne sait rien », « il n’est pas question de voir une quelconque initiative au Kenya sans consultation préalable des autorités de Bangui » ! Apparemment, lui non plus n’a pas été informé que les responsables des différents groupes armés invités à cette réunion, placée sous l’égide de l’Union africaine, ont été transportés de Bangui à Brazzaville, puis conduits à Naïrobi dans un hôtel de la capitale kenyane, à « l’insu du plein gré des autorités de la transition » !

 

Ils doivent sans doute voyager sans passeport, Monsieur le ministre ?

 

Les Peulhs se rassemblent à Bambari.

 

A Bambari, préfecture située à 485 kilomètres au centre-est du pays, plus de 300 Peulhs se seraient infiltrés dans la ville au lendemain des violents affrontements qui ont opposé les milices anti-Balaka et les peulhs de l’ex-rébellion Séléka du lundi 22 au mardi 23 décembre 2014. Les nouveaux venus se sont installés sur les sites contrôlés par le « général » Ali Daras, comme le confirme le « capitaine » Ibrahim Ahmat Nedjad, porte-parole de l’ex-coalition : « Ils sont là pour la sécurité de la population civile. Ce sont des militaires qui appartiennent au mouvement de l’Unité pour la paix en Centrafrique. Ces derniers temps, les anti-Balaka débordent avec les exactions vis-à-vis de la population civile ».

 

Décidément, les « mesures de confiance » mises en place par les Sangaris ont du plomb dans l’aile et la logique de la partition tombe le masque.

 

La Minusca atteindra 10 000 hommes en mars 2015.

 

La mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation en Centrafrique (Minusca), atteindra presque sa pleine capacité opérationnelle, totalisant 10 000 hommes, au cours du premier trimestre de 2015, a indiqué le chef d’état-major de la Minusca, Frédéric Hingray. Dans ce sens, « Les perspectives sécuritaires pour 2015 seraient encourageantes à condition que les responsables hiérarchiques des groupes armés engagent leurs combattants sur la voie de la paix ». « A Kaga-Bandoro, il y a des gens qui ne comprennent pas que la marche vers la paix suit son cours. D’où la nécessité de les maîtriser », a-t-il ajouté.

 

Ils le comprennent bien et s’y opposent, Mon général ! D’où l’obligation de les neutraliser et de rapporter les dites « mesures de confiance ».

 

La présidente de la transition exhorte l’esprit de Brazzaville en conclave à Bangui…

 

Catherine Samba-Panza a, le samedi dernier 27 décembre 2014, appelé les groupes armés signataires des Acoords de Brazzaville à « regrouper leurs hommes sur le terrain, sensibiliser leurs bases, cesser les violences contre les innocentes populations, libérer les axes de circulation, cesser le pillage des ressources nationales et cesser de mettre à rude épreuve l’autorité de l’Etat ». (sic) Du déjà entendu !

 

Les conseillers du chef de l’Etat de la transition écrivent sans doute les discours de leur patronne à l’encre sympathique : elle se répète et ânonne, comme une leçon apprise par cœur et pérorée sans conviction.

 

Et invite les groupes armés à se transformer en associations !

 

S’exprimant à l’ouverture de la journée de concertation des forces vives de la nation sur le processus politique axé sur le dialogue et la réconciliation nationale, ce même samedi 27 décembre 2014, le chef de l’Etat de la transition a affirmé que : « l’Etat ne prendra plus le risque de discuter ou traiter avec des individus isolés. Il est temps que les groupes armés et autres qui veulent discuter avec l’Etat, déclarent leur groupe sous la forme d’une association ou d’une structure juridique ».

A défaut de ne point être renseignée par son ministre de l’administration du territoire, l’imam Modibo Bachir Walidou, alias « l’homme qui ne sait rien », le chef de l’Etat de la transition ignorerait-elle que la RCA compte plus de 60 partis politiques et que tous les groupes armés ont désormais leurs branches politiques respectives : Union pour la paix en Centrafrique, Front démocratique pour la renaissance de Centrafrique, etc ?

L’ancienne présidente de l’association des femmes juristes de Centrafrique (AFJC) devrait le savoir : des braqueurs et autres bandits de grands chemins qui se constituent en association, cela a un nom : le syndicat… du crime !

 

Gageons que le procureur de la République de Bangui a dû s’étrangler en l’écoutant.

 

La feuille de route de la transition réactualisée une troisième fois.

 

Le président du Conseil national de transition, Alexandre Ferdinand Nguendet a enterriné la nouvelle version de la feuille de route présentée par le gouvernement du premier-ministre Mahamat Kamoun. Cette troisième version réactualisée du document de travail des autorités de la transition priorise aujourd’hui les élections : « Les impératifs du moment et les attentes aussi bien de la communauté nationale qu’internationale, au moment où je prenais mes fonctions, ont conduit mon gouvernement à proposer un recadrage de la feuille de route en mettant un accent particulier sur l’organisation des élections comme solution de sortie de crise ».

La version réactualisée de la feuille de route précise donc l’agenda de la transition : le forum intercentrafricain d’ici février 2015, le référendum sur la nouvelle constitution en mai 2015, le premier tour des élections en juillet 2015 et le second tour au mois d’août 2015. Le chef de l’Etat de la transition s’en tient, elle, à juin et juillet de la même année pour les deux tours des scrutins !

 

C’est plutôt mal parti : sur un sujet aussi délicat, le premier-ministre et le chef de l’Etat de la transition tirent à hue et à dia, au lieu d’ accorder leurs violons.

 

Le président du CNT repart en croisade.

 

On se souvient de la tentative avortée du président du Conseil de transition, Alexandre Ferdinand Ngendet, de dérouler le tapis rouge à Bambari le 1er décembre 2014 dernier, à l’occasion de l’anniversaire de la proclamation de la République, initiative qui fit au moins un mort parmi sa garde rapprochée. Le matamore de Bambari repart en guerre cette fois contre le gouvernement : « Il est plus qu’urgent pour le gouvernement de compter plus sur ses propres moyens, c’est-à-dire sur les forces armées centrafricaines à travers une réorganisation rapide des effectifs, leur dotation en armes et leur redéploiement sur l’ensemble du territoire national », a-t-il soutenu lundi dernier 29 décembre 2014 lors de la clôture des travaux de la 2ème session ordinaire du CNT. Alexandre Ferdinand Ngendet a appelé à des mesures plus appropriées pour éradiquer l’insécurité qui prévaut dans le pays. Soit, mais à lire la troisième version de la feuille de route validée par ce même CNT, le premier pilier de la politique du 3ème gouvernement de transtion est : politique et gouvernance.

 

Comme dirait Fernand Raynaud dans un sketch resté célèbre : « Y’a comme un défaut » !

 

L’archevêque de Bangui rend visite aux ex-Séléka à l’occasion de l’avènement du Christ.

 

L’archevêque de Bangui, Monseigneur Dieudonné Nzapalainga, s’est rendu auprès des centaines d’anciens rebelles de l’ex-coalition Séléka toujours cantonnés dans trois sites de casernement situés à Bangui. Du savon, du riz, des vêtements pour les enfants…L’archevêque de Bangui a tenu à faire un geste envers les ex-Séléka en cette fin d’année de fêtes de Noël, après être allé à la rencontre des miliciens anti-Balaka ; l’occasion pour lui d’ouvrir le dialogue entre les ex-rebelles et les membres de la communauté chrétienne : « Entre les deux, je mène un grand débat sur la cohésion sociale », a-t-il expliqué.

 

Il semble bien être le seul !

 

Le Tchad réclame l’extradition de Baba Laddé.

 

Le président tchadien Idriss Déby aurait demandé l’extradition vers le Tchad d’Abdel Kader Baba Laddé, l’ancien préfet de la région de la Grande Sido, arrêté le 8 décembre 2014 à Kabo par la Minusca et transféré à Bangui en vertu d’un mandat d’arrêt du parquet de la capitale centrafricaine. Selon un proche du dossier, « La cheffe de l’Etat a reçu la lettre mais n’a pas dit comment elle compte répondre ». La procédure d’extradition répond à des règles de droit international qui distinguent les motifs obligatoires de refus et des motifs facultatifs, parmi lequels le fait que l’infraction soit commise en tout ou partie sur le territoire du pays requis ; ce qui est le cas en la circonstance. Les précédentes extraditions ont concerné : côté tchadien, la remise à François Bozizé de l’ancien ministre centrafricain Charles Massi, dont le corps n’a jamais été retrouvé et, côté centrafricain, l’extradition vers le Tchad, par le président autoproclamé Michel Djotodia, de l’ancien ministre tchadien et opposant Ismaël Idriss, dont on est sans nouvelle depuis le 16 avril 2013. En sa qualité d’ancienne présidente de l’association des femmes juristes de Centrafrique (AFJC), le chef de l’Etat de la transition devrait s’abriter derrière le droit. Hum !

 

L’AFJC ? Pour les mauvaises langues, c’est le gang des Citroën LNA !

 

Le chef de l’Etat de la transition le promet : 2015 sera différent de 2014.

 

Saluant « la maturité de la classe politique centrafricaine et la capacité de résilience du peuple centrafricain qui a affronté avec courage la crise », le chef de l’Etat de la transition a promis, lors de ses vœux à la nation, que l’année 2015 sera différente de 2014. On ne voit pas comment. En effet, après avoir énuméré les difficultés auxquelles elle a dû faire face, elle promet ne délivrer le bilan de sa gouvernance qu’à la fin de ce mois, le 24 janvier 2015, jour anniversaire de sa désignation par le Conseil national de transition, imitant en cela ses prédécesseurs, comme hier François Bozizé célébrait chaque année, l’anniversaire de sa prise de pouvoir par la force, le 15 mars 2003. Ce qui ne lui porta pas chance, ayant été renversé par la Séléka, le 24 mars 2013.

 

Décidément, la classe politique centrafricaine n’évolue guère, la preuve !

 

Une marche féminine pour la paix en Centrafrique.

 

Parrainée par le ministère de la Réconciliation nationale, une marche en faveur de la paix sera organisée par les diverses associations des femmes du pays le 10 janvier 2015 prochain. Les délégations, qui partiront de différents quartiers de la capitale Bangui, convergeront vers la Place de la République, à quelques encablures du Palais de la Renaissance, afin de permettre à la chef de la transition de tenir meeting. Gageons que les manifestantes de Bangui n’iront pas jusqu’à dévoiler leur nudité, au risque de jeter le mauvais sort sur une transition déjà mal en point, comme hier les courageuses femmes du Haut-M’bomou. Cela dit, ce défilé téléguidé permet de savoir à quoi a servi une partie du milliard évaporé du don angolais : ce 10 janvier 2015, le chef de l’Etat de la transition ne distribuera pas que de bonnes paroles.

 

Cette marche est une manipulation qui entretient un risque ; à la fracture interconfessionnelle en cours, elle superpose la fracture du genre. Casse-cou !

 

La RCA ou la privatisation de l’Etat.

 

A entendre le chef de la mission de l’association Médecins sans frontières (MSF – France ) en Centrafrique, depuis un an le contexte est bien pire qu’avant : « On est toujours sur un cycle de violence, de groupes armés qui se fractionnent et qui augmentent finalement en nombre, et en actions de violence, qui est bien pire qu’avant ». Selon Madame Delphine Chedorge, le gouvernement de transition n’a pas permis de remettre en place les services de l’Etat, qu’il s’agisse de la santé, de la sécurité, de l’éducation, cela n’a pas pu redémarrer. Les services de santé qui fonctionnent, c’est grâce à des ONG qui font de la substitution. Les écoles qui ont ouvert, ce sont essentiellement soit des écoles privées, soit parce que les ONG y participent.

 

Les harangues d’autosatisfaction des autorités de la transition et du chef de la Minusca n’y peuvent rien : on ne peut traduire plus concrètement le concept de « privatisation de l’Etat » en Centrafrique.

 

 

Catherine Samba-Panza exige la mise en œuvre du programme DDRR.

 

Lors de ses vœux à la nation, la présidente de la transition a appelé de ses vœux la mise en œuvre du programme de désarmement, démobilisation, réinsertion et rapatriement (DDRR) : «  Le contrôle d’une partie du pays par des groupes armés non conventionnels reste une situation préoccupante majeure et constitue un frein à la libre circulation sur tout le territoire. C’est pourquoi, il est urgent de mettre en œuvre les programmes DDRR ». On se demande si ce souhait s’adresse au premier-ministre Mahamat Kamoun, dont le conseiller en charge du programme DDRR était à la réunion des putchistes et autres comploteurs de Naïrobi, ou bien à son ministre, conseiller en matière de sécurité, chargé des relations avec la Misca et Sangaris, lequel en qualité de vice-président du programme DDR, avait déjà dilapidé les fonds affectés à ce même programme sous le régime du président déchu François Bozizé.

 

Le programme DDRR, c’est la légende du Tonneau des Danaïdes en version centrafricaine.

 

Monseigneur Nzapalainga aux avants postes…

 

Mgr Dieudonné Nzapalainga, archevêque de Bangui, était ces jours derniers à la tête d’une délégation de l’association Caritas qui a organisé une mission de soutien aux habitants du village de Gbangou, dans le centre de la RCA, dont les maisons ont été incendiées par un chef anti-Balaka le 21 septembre 2014 dernier. La délégation est venue apporter des vivres et des médicaments, mais surtout une présence et un soutien spirituel et moral à ces villageois qui vivaient en brousse depuis cette date, dans des conditions effroyables : « J’ai fait ce geste parce que j’ai en face de moi des êtres humains qui sont réduits à l’état d’animal. J’étais outré, j’ai été indigné en les voyant dans la brousse depuis plus de deux mois et je ne voulais pas rester indifférent et donc, j’avais fais des annonces sur les ondes en attirant l’attention du gouvernement et de la communauté internationale. Mais j’ai comme l’impression que ces appels sont restés vains. Cette population mourrait à petit feu alors j’ai décidé de prendre mon bâton de pèlerin pour venir à la rencontre de mes frères et sœurs pour redonner la dignité à ces personnes ».

 

L’archevêque de Bangui parle d’or : la dignité, ce substantif de notre devise nationale, c’est le fonds qui manque le plus à ce pays.

 

Et le représentant de l’Onu dans sa bulle de verre.

 

Le représentant spécial du secrétaire général de l’Onu en République centrafricaine, le sénégalais Babacar Gaye, s’est déclaré plein d’espoir pour les perspectives de paix dans ce pays, mettant en avant, comme signes de progrès en matière de dialogue, les récentes consultations et conciliabules en cours ainsi que le futur Forum intercentrafricain de Bangui : « Nous avançons dans la direction indiquée par le Conseil de sécurité », a-t-il indiqué, faisant référence à la déclaration de la Présidence du Conseil de sécurité en date du 18 décembre 2014 en faveur du désarmement de toutes les parties et du dialogue comme seule voie vers une paix durable.

En matière de désarmement, le représentant spécial ne doit pas être au courant des « mesures de confiance » qui, sur le terrain, permettent jusqu’à présent aux groupes armés de garder leur armement, de se déplacer sans contrainte, de perpétrer leur cohorte d’exactions sur les populations civiles, en toute impunité.

 

En matière de sécurité et de dignité, le Palais de Verre des bords de l’East River a des vitres opaques !

 

L’heure est à la repentance chez les anti-Balaka.

 

Le dimanche 4 janvier 2015 dernier, au domicile du chef Camille Mandaba, chef du quartier Votongbo I, le chef de milice anti-Balaka Andilo, autoproclamé général, a présenté ses excuses devant les chefs et les notables du 4ème arrondissement de Bangui réunis pour l’occasion. Le « général » Andilo, auteur présumé de mille méfaits, a promis ramener le calme dans ledit arrondissement de la capitale en luttant contre les braquages de motos, de véhicules appartenant à des particuliers ou à des organismes humanitaires : « Je mets en garde toute personne qui sera prise en flagrant délit de vol ou de braquage. Elle se sera tuée elle-même ». C’était pourtant jusque-là sa spécialité. En supplétif novice de l’ordre public, le repenti Andilo n’a assurément pas encore acquis le langage du droit.

 

La repentance c’est bien, la justice c’est mieux !

 

 

Paris, le 6 janvier 2015

Prosper INDO