Centrafrique : Chroniques
douces-amères – 29
« Sans la liberté de blâmer, il n’y a point
d’éloges flatteurs »
(Beaumarchais)
Eloge de la Sangaris.
Qu’on ne s’y méprenne point. Il
n’est pas ici question des forces internationales françaises de l’opération
Sangaris. Il s’agit de saluer la trajectoire flamboyante de Marie-Noëlle Koyara,
nouveau ministre de la Défense nationale. C’est une première, sans doute en
Afrique, point dans le monde. Après avoir été ministre de l’Agriculture, de la
Promotion de la femme, du Développement rural, puis de l’Equipement, elle aborde
un ministère de souveraineté pour la dernière ligne droite de la transition.
Elle aura été ministre sous Patassé, sous Bozizé, sous Djotodia et sous C.
Samba-Panza. Cette longévité politique est sans doute le signe d’une manière de
faire ou d’être.
En langue sango, le papillon
Sangaris se dit « Poupoulengué », littéralement, « la perle du
vent ». Tout est dit.
Eloge de
l’engagement.
Le cinquante-troisième candidat
aux prochaines élections présidentielles vient de se déclarer. Il s’agit de
l’ex-ministre Crépin Mboli-Goumba, lequel indique que sa candidature est portée
par « le constat précoce et affligeant… du terrible complexe d’infériorité
de la classe politique de notre pays et son incapacité à faire développer notre
pays ». Le constat établi perdure, malgré son passage aux gouvernements du
Premier-ministre Nicolas Tiangaye, comme ministre d’Etat et porte-parole du
gouvernement. Hic ! L’article 106 de la Charte constitutionnelle de la
transition dispose que « le Chef de l’Etat de la transition, le Premier
Ministre de transition, les membres du gouvernement de transition et les membres
du bureau du Conseil national de transition sont inéligibles aux élections
présidentielles et législatives organisées à l’issue de la transition ».
Cette disposition échappe à la révision. On ne fera pas injure à l’ex-ministre
d’ignorer les textes. Sa candidature est donc soit inutile soit
fantaisiste.
Le juriste dit : la morale
est source du droit !
Eloge de l’instabilité : un
gouvernement pour la fin.
Pour une fois, le Chef de l’Etat
de la transition aura tenu parole. Le 15 janvier 2015, Catherine Samba-Panza
exigeait un remaniement technique du gouvernement. Elle l’aura obtenu en 24
heures chrono ! Mais le résultat sent la confusion : le premier
gouvernement Mahamat Kamoun n’aura tenu que 3 mois. Le second s’enfle comme la
grenouille de la fable, passant de 26 à 31 membres. Pis, les ministères de
souveraineté (Défense nationale, Justice, Sécurité publique, Finances et Budget)
changent encore de titulaires pour la troisième fois en moins d’un an !
Résultat, l’ancien ministre Aristide Sokambi, alias « le météorite »,
aura quitté l’administration du territoire pour la défense nationale où il ne
sera resté que 3 mois ; le voilà parti pour la justice ! Idem pour Mme
Koyara qui, après l’agriculture, était hier à l’équipement et, aujourd’hui, à la
défense nationale. Le clou du spectacle ? La nomination du professeur
Bernard Simiti, nostalgique d’un passé révolu, à la tête du département de
l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique. Il pourra deviser
tranquillement sur l’empire esclavagiste du Dar-el-Kouti de Sénoussi et
rêver à la reconstitution de son « tata » !
A la fin, le prochain président
de la République ne pourra racler que les fonds de caisse.
Eloge de la
futilité.
La composition de la commission
préparatoire du Forum inter-centrafricain de Bangui a été installée le 7 janvier
2015. Outre la désignation controversée du représentant des Centrafricains de
l’étranger, cette commission révèle d’autres subtilités – pour ne pas dire
anomalies – qui ne laissent pas de surprendre. Ainsi, parmi les représentants
des groupes armés, figurent le professeur Hamat Mal Mal, théoricien de la
partition du pays et secrétaire général du Front patriotique pour la renaissance
du Centrafrique, la branche politique de l’ex-Séléka du président démissionnaire
Michel Djotodia. Autre incongruité, la désignation d’un membre du Conseil
national de transition (CNT) comme personnalité indépendante, l’institution
parlementaire étant représentée par un autre conseiller national. La dite
commission préparatoire, dont les conclusions semblent acquises d’avance, a tout
d’un comité Théodule.
Lorsqu’il s’agit de faveurs,
mieux vaut arroser ses propres amis.
Eloge de la
force.
Le « général » Andjilo,
soupçonné de nombreuses atrocités et exactions à Bangui et dans plusieurs autres
localités de province, vient d’être arrêté à Bouca, dans le nord-ouest du pays,
au cours d’un combat engagé avec le bataillon camerounais de la Minusca. Le chef
anti-Balaka, Rodrigue Ngaïbona alias Andjilo – littéralement le volé – est
poursuivi pour assassinats, rébellion, détention illégale d’armes de guerre,
association de malfaiteurs, viols, pillages. Il est considéré comme l’un des
meneurs de la traque du 5 décembre 2013 lancée à la poursuite des populations
musulmanes, et sans doute aussi l’attaque du 9 octobre 2014 contre le convoi des
Casques bleus de la Minusca, causant la mort d’un soldat pakistanais. On ne
comprend donc pas l’ire de la coordination des anti-Balaka dont le porte-parole,
un certain Igor Lamaka, a dénoncé une justice à deux vitesses : « le
mouvement populaire anti-balaka, qui s’est transformé en parti politique, a
amorcé le processus des consultations à la base et de la
réconciliation ».
Il faut tout leur
expliquer : La réconciliation n’est pas la justice, laquelle tient sa
force de la loi !
Eloge de la tragédie : un
Casque bleu se suicide.
Un Casque bleu faisant partie des
éléments militaires de la République démocratique du Congo, détachés dans la
ville de Bambari, centre du pays, s’est donné la mort avec son arme de service
dans la nuit du 12 au 13 janvier 2015. La tragédie est née de la lenteur de la
procédure d’évacuation de ce militaire, victime d’une rage de dent depuis
plusieurs jours déjà. On a beau être un fier militaire, on n’en demeure pas
moins homme, de chair et de sang comme dirait l’autre, et donc sensible à la
douleur et à la souffrance. Mourir d’une rage de dent, ceux qui en ont souffert
savent qu’on peut se cogner la tête à mort contre le mur. Le décès d’un homme
est toujours une tragédie.
La Minusca ne peut se dédouaner
d’un tel gâchis !
Eloge de Boganda.
Afin de préparer le retour, dans
leurs quartiers du 3ème arrondissement, des déplacés de l’aéroport de
Bangui-M’Poko, les organisations humanitaires ont organisé du 13 au 16 janvier
2015 des visites guidées des sites abandonnés. Pour les ONG, « lorsque les
visites prendront fin, celui qui se sent disponible pour regagner le quartier,
il peut le faire volontairement, une aide pourrait l’accompagner si c’est
possible ».
Selon les témoignages, « les
quartiers de Ramandji, Boulata, situés dans le 3ème arrondissement
sont envahis par les hautes herbes. C’est sinistre, les murs sont démolis
jusqu’à leurs fondations. Le retour dans ces conditions est impossible à l’heure
actuelle ». Que conseiller aux uns et autres ? Lire et parcourir
l’ouvrage plein de tendresse et de générosité de l’autre Boganda, Benjamin
Bougniers-Boganda. Photos et textes restituent la candeur d’un village d’antan,
plein de charité ! Que faire ? Tracer un cadastre, dresser un plan
d’occupation des sols, délimiter un lotissement, établir des voieries, définir
un parti-pris architectural répliquable, un système constructif simple de
panneaux préfabriqués en ateliers ; avec l’aide du fonds Bêkou et le coup de
main de la population du quartier, lancer l’opération « Ramandji. Bâtissons
notre vie ! ». Il suffit d’un géomètre, d’un architecte, d’un
ingénieur et d’une entreprise générale.
Mais voilà, je ne suis pas le
gouvernement !
Eloge de la
raison.
Les enseignants des
établissements primaires, secondaires et techniques du secteur public, qui
étaient en grève d’avertissement depuis le mercredi 14 janvier 2015, ont
suspendu leur mouvement ce vendredi 16 janvier 2015. Les deux points de
revendication sont : la mauvaise gestion du département de l’Education
nationale et la persistance de la sécurité. Concernant ce dernier point, le
secrétaire général de la confédération syndicale des travailleurs centrafricains
(CFTC), Sabin Kpokolo prend à témoin : « Vous avez vu ce qui s’est
passé en France. Douze personnes sont mortes, François Hollande a mobilisé le
monde entier. Ici, nous mourrons comme des mouches et aucune autorité ne peut
mobiliser le monde entier ». Comparaison n’est pas raison,
camarade !
La preuve ? Le ministre de
l’Education nationale, Gisèle Bédan, a été remerciée et la grève a pris
fin.
Aux grands « mots »,
les grands moyens.
Eloge des
chiffres.
Malgré de multiples accords de
cessation des hostilités et autres tentatives visant à mettre fin au conflit, la
violence n’a pas cessé en République centrafricaine. Les chiffres avancées par
l’IRIN pour mesurer l’impact du conflit donnent le tournis. Au-delà du nombre
des tués, des réfugiés ou des personnes déplacées, un chiffre somme toute banal
donne l’ampleur des dégâts. Il s’agit du nombre des organisations non
gouvernementales, nationales et internationales, intervenant désormais en
Centrafrique : elles sont 105. Le montant demandé dans le cadre du plan de
réponse stratégique pour 2015, visant à répondre aux besoins de 2 millions de
personnes ayant besoin d’une aide humanitaire : 613 millions de
dollars !
Le monde entier n’est peut-être
pas au chevet de la RCA, mais peu s’en faut.
Eloge de la
pauvreté.
Le budget de la RCA pour
l’exercice 2015 s’élève à près de 228,5 milliards de francs CFA, soit environ
348.346.000 euros. Pour le ministre des Finances, Bounandélé Koumba, le budget
2015 vise à rétablir la sécurité, la cohésion sociale et l’autorité de
l’Etat : « La spécificité de cette loi des finances, c’est que par
rapport à l’année dernière, nous avons des charges de 228 milliards de francs
CFA, des ressources de 268 milliards de francs CFA, ce qui nous dégage un gap de
59 milliards de francs CFA ». Et d’ajouter, « Nous allons avec le
concours de nos partenaires au développement chercher les ressources extérieures
pour le financement du gap » ! Pour lui donner tort, les membres du
CNT ont proposé deux amendements visant la réduction des taxes sur l’importation
des véhicules d’occasion et des matériaux de construction, ainsi que la
réaffectation des 150 millions de francs CFA alloués au ministère du Tourisme
pour l’organisation du concours Miss Centrafrique 2015.
Le ministre Bounandélé Koumba ne
sait pas tenir son budget, raison pour laquelle il prend la direction du
ministère des Télécommunications.
Eloge de la
concertation.
Le représentant spécial des
Etats-Unis pour la République centrafricaine, W. Stuart Symington, a estimé que
la consultation à la base est une condition sine qua non pour la réussite du
Forum de Bangui. Au sortir d’une audience avec le ministre de la Réconciliation
nationale, Jeannette Déthoua, le diplomate considère que le ministre doit
s’investir pour que les Centrafricains des provinces soient écoutés avant la
tenue du Forum ; c’est une opportunité qui va permettre aux Centrafricains
de prendre la destinée de leur pays en main. Même tonalité du côté du
représentant chinois à Bangui. Les deux diplomates sont prêts à s’investir
pleinement dans la recherche d’une paix durable.
Pour une fois, Chinois et
Américains sont d’accord ; il serait bête de pas en tirer
profit.
Eloge de la
bêtise.
Une humanitaire française de 67
ans, travaillant pour l’organisation non gouvernementale catholique CODIS, a été
enlevée lundi matin 19 janvier 2015 à Bangui en compagnie d’un prêtre
centrafricain, le frère Gustave, par quatre hommes en armes. Les ravisseurs, qui
se réclament de la coordination des anti-Balaka, réclament la libération d’un de
leur chef, le nommé Rodrigue Ngaïbona, alias « général Andjilo »,
arrêté par la Minusca le samedi 17 janvier 2015 à Bouca, nord-ouest du pays. Les
anti-Balaka, qui se prétendent chrétiens, devraient pourtant savoir que leur
chef a plaidé la repentance le 4 janvier dernier devant les chefs des quartiers
du 4ème arrondissement et s’était engagé à ramener le calme !
Tout doit être fait pour tordre
le cou à la jurisprudence « Abdoulaye Miskine » : la libération
d’un assassin contre la vie d’un innocent.
Paris, le 20 janvier 2015
Prosper INDO