Seconde lettre ouverte aux hommes et femmes politiques centrafricains

 

à

 

Madame Marie-Reine Hassen,

Messieurs Jean-Jacques Démafouth, Anicet-Georges Doléguélé, Armel Doubane, Elie Doté, Désiré Kolingba, Karim Meckassoua, Henri Pouzère, Martin Ziguélé et consorts…

 

Chers compatriotes,

 

Je vous fais cette lettre pour vous dire que le moment est grave pour notre pays. La République centrafricaine est à un tournant. Les barbares sont dans la ville – « les loups sont rentrés dans Bangui », comme l'aurait chanté Serge Reggiani, chanteur-interprète français. Vous ne pouvez plus vous dérober.

 

Emportée par l'élan de son impuissance et de son incurie, le chef de l'Etat de la transition voit désormais des complots partout, n'hésitant pas à crier au « coup d'Etat institutionnel ». Son premier-ministre, incapable de faire face à la représentation du Conseil national de transition, notre parlement actuel, entonne le même slogan que son devancier : des millions en petites coupures auraient été distribuées aux jeunes pour ériger et tenir des barricades ! C'est la théorie du « grand complot » qui est une fois de plus en marche.

Tout ce fatras n'a qu'un seul but. Soupçonné de détournements de fonds publics, l'entourage du chef de l'Etat de la transition ne perçoit aucune autre porte de sortie et tente de détourner l’attention.

Le moment est venu de prendre vos responsabilités.

 

En effet, vous avez dirigé ce pays à un moment donné ou à un autre, dans des conditions parfois hasardeuses, souvent iconoclastes. Vous aspirez néanmoins à le gouverner directement à l'avenir. Il vous faut pour cela faire la démonstration de vos compétences et de votre engagement au service de l'intérêt général.

Le moment, difficile que nous vivons, vous oblige à agir pour défendre la République.

 

Je le sais, vous êtes tous candidats et candidate aux prochaines élections présidentielles qui viendront clôturer la présente transition. Mais vous ne serez pas élus ; trop d’incertitudes sur vos comportements et attitudes passés  entachent encore votre réputation. Pis, votre silence pendant ces deux années de périls, pour stratégique qu'il soit, ne vous aura pas servi auprès du peuple ni à ses yeux. Comme le pêcheur, pour avancer dans la lumière, il vous faut assumer vos fautes et obtenir l'absolution populaire. Voilà pourquoi, aux termes des consultations actuelles avec le chef de l'Etat de la transition, vous devez tous rentrer dans le gouvernement. Pour la raison qu'il vous faut d'abord sauver la République et la démocratie, avant de penser à vous-même et à vos desseins propres.

Ne vous cachez plus derrière quelques courtisans et d'habiles prête-noms.

 

Certes, en allant aujourd'hui au gouvernement, vous ne pourriez plus être candidats et candidate en février 2015. Vous devez en cela respecter l'article de la Charte constitutionnelle de la transition, que vous avez peu ou prou, contribué à élaborer en désignant Nicolas Tiangaye pour diriger le premier gouvernement de la transition de Michel Djotodia. Qu'importe !

 

Vous êtes tous encore jeunes, la cinquantaine, si vos biographes disent vrai. En 2020, année des prochaines présidentielles si tout se passe comme prévu, vous aurez entre 60 et 65 ans, le bel âge pour des femmes et des hommes d'expérience. Vous aurez accumulé assez de connaissances et de compétences au gouvernement pour mieux administrer le pays au plus haut niveau. Vous serez enfin assez libres, matériellement et psychologiquement, pour penser aux autres et au bien commun. Vous ne subirez point les assauts ou tourments de la crise du milieu de la vie, lesquels acculent bien souvent les personnes moins aguerries à céder aux tentations de la vie facile, synonymes de détournements de fonds publics, d'abus de biens sociaux et autres malversations.

 

En nommant un homme de cour au poste de premier-ministre, le chef de l'Etat de la transition n'a pas fait preuve d'un choix consensuel. Cet écueil sera contourné à l'issue des consultations qu'elle vient d'engager avec toutes « les forces vives » de la Nation. Il lui faudra remanier son gouvernement et ne manquera pas de vous faire appel. Vous ne pouvez décliner cette main enfin tendue, si la présidente de la transition en vient à la résipiscence. Il faut la sauver contre elle-même, pour réussir la transition en cours et la conduire à un terme plus favorable en février 2015.

 

Dans ma précédente lettre ouverte du 26 septembre 2013, je vous enjoignais « de rassembler tous les Centrafricaines et Centrafricains de bonne volonté autour d'un projet collectif commun ». Pour y parvenir, j'indiquais que « seul un grand parti politique populaire, fondé sur un fort mouvement de masse, implanté partout en Centrafrique, peut mettre fin à (nos) errements ». Ce moment est aussi venu. Voici pourquoi.

 

En février 2014, j'écrivais ceci : « la vérité est plus simple. La violence prolifère encore parce que les autorités chargées de la juguler atermoient. Il faut désarmer toutes les bandes et incarcérer les donneurs d'ordre responsables de ces tueries. Ils sont actuellement peinards, à Bangui, en France ou à l'étranger. Les nommer au gouvernement n'arrange rien et crée un appel d'air pour d'autres postulants tout aussi aigris ». J'ai eu tort d'avoir raison trop tôt ?

 

Je disais cela à l'époque, suite à l'assassinat, en plein jour et devant chez lui, du Conseiller national Jean-Emmanuel N'Djaraoua. Il est mort le dimanche 9 février 2014.

 

Aujourd'hui, au moment où le Conseil national de transition (CNT) interpelle le gouvernement sur la destination donnée à un don de 10 millions de dollars accordé à la RCA par le président angolais, il m'apparaît utile de rappeler ces faits afin que rien de fâcheux ne vienne menacer la vie de nos parlementaires. Je pense en particulier au conseiller Sonny M’Pokomandji.

Voilà le gouvernement, la Minusca et Sangaris prévenus.

 

Quant à la prolifération de l'insécurité, les évènements des dernières semaines à Bangui, où un officier de la Minusca a été délibérément tué au cours d'une embuscade, nous donnent encore raison et confortent notre thèse. Hélas ! Avoir amené au gouvernement de la Nation et dans les cabinets ministériels des tueurs et des aigrefins notoires, ne fait qu'alimenter la crise.

 

Il est dangereux pour la République, pour notre République, et pour la démocratie de persévérer dans cette voie.

 

A l'issue des consultations politiques en cours, le chef de l'Etat de la transition a tout intérêt à revêtir sa tunique de chef suprême des armées. Il lui faut désormais parler clairement et fermement, en joignant les actes aux paroles. Il lui faut négocier avec ce qui reste des chefs de partis « démocratiques », en les invitant à composer un gouvernement de salut public, tel que défini ci-dessus. Vous devez y être.

 

Toute autre stratégie que celle que je viens d’indiquer conduira la RCA aux enfers de la mort. Et vous en serez comptables, à jamais.

 

Vous voilà prévenus.

 

 

 

Paris le 16 octobre 2014

 

Prosper INDO