Centrafrique: un an de Sangaris,
les massacres ont cessé, le pays ruiné
Par Christian PANIKA à BANGUI et
Michel CARIOU à LIBREVILLE | AFP
04/12/2014.
AFP/AFP - Des soldats français de l'opération Sangaris
s'apprêtent à faire exploser des stocks d'armes, le 4 décembre 2014 à Bangui
(Centrafrique)
Au matin du 5 décembre 2013,
une explosion de haine embrase Bangui: des centaines de cadavres jonchent les
rues. Quelques heures plus tard, l'opération militaire française Sangaris est
lancée. Un an après, les massacres ont cessé en Centrafrique, mais le pays est
ruiné et déchiré.
"Les habitants proches de la
morgue de l'hôpital communautaire ne pouvaient pas respirer l'air nauséabond de
la putréfaction des cadavres. C'était en réalité l'enfer", se remémore Euloge
Kendzia, informaticien, à l'évocation de ce terrible décembre
2013.
Après le feu vert de l'ONU, la
France - ancienne puissance coloniale - a lancé l'opération Sangaris (2.000
hommes) pour tenter de casser la spirale de violences intercommunautaires, née
du renversement du régime de François Bozizé en mars 2013 par une coalition
rebelle à dominante musulmane, la Séléka, dirigée par Michel
Djotodia.
Les exactions sans fin de
combattants Séléka contre la population très majoritairement chrétienne du pays
avaient abouti à la formation de milices d'auto-défense (pour l'essentiel
formées de chrétiens), les anti-balaka, qui à leur tour ont attaqué les civils
musulmans, contraints de fuir des régions entières.
Ces violences ont fait au moins
plusieurs milliers de morts et plongé ce pays de 4,8 millions d'habitants dans
une crise humanitaire sans précédent.
- 'Zorro'
-
Un an plus tard, trois forces
internationales sont présentes en Centrafrique: Sangaris, Minusca (ONU) et
Eufor-RCA (Union européenne).
Les tueries ont cessé à Bangui.
Mais la criminalité reste très élevée du fait de la profusion des armes et de la
misère. En province, des bandes armées continuent de sévir dans un pays où
l'Etat a disparu de vastes régions, après des décennies de troubles et
d'incurie.
"C'est la force Sangaris qui a
abattu le gros du travail sécuritaire (...) Il reste que dans tout ce qui se
fait par Sangaris et les autres forces internationales, les forces de défense
nationales sont inexistantes", relève un officier des forces armées
centrafricaines (FACA) sous couvert d'anonymat.
"Sangaris, pour moi, c'est
Zorro", affirme Suzanne Nguéléndo, commerçante. "Nous étions en train de mourir
comme des mouches. Nous étions massacrés par les
ex-Séléka".
Dans Bangui, "ce sont les
soldats français de Sangaris, ajoutés à ceux de la force européenne, qui ont
man?uvré pour que le "PK-5" renoue progressivement avec les activités
commerciales et une paix progressive", abonde Ahmed Boro Adam, un commerçant de
ce quartier où s'étaient retranchés les musulmans de la
capitale.
Jeudi à Bangui, le commandant
de Sangaris, le général Eric Bellot des Minières, a estimé qu'"une normalisation
est en marche", même si "les pics d'insécurité existent
encore".
Quid de la suite? "Une fois que
la Minusca (qui doit atteindre quelque 12.000 hommes, ndlr) sera pleinement
opérationnelle, nous réorganiserons notre dispositif avec une force peut-être
plus ramassée, en réserve sans doute à partir de Bangui" mais qui restera
pleinement coordonnée avec les forces internationales, a-t-il
indiqué.
Paris voulait à l'origine une
intervention brève, mais a dû revoir ses plans et souhaite se désengager, en
raison à la fois du coût de l'opération et des besoins en hommes sur d'autres
théâtres, notamment au Sahel pour lutter contre les groupes
jihadistes.
- 'Semblant' de situation
acceptable -
Mais, même si les Banguissois
apprécient d'avoir retrouvé "un semblant de retour à une situation acceptable",
selon l'expression de l'ancien Premier ministre Enoch Dérant-Lakoué, le bilan de
Sangaris ne fait pas l'unanimité.
"Les forces françaises n'ont
malheureusement pas réussi à ramener
la paix en Centrafrique. (...) Le problème reste entier, les armes circulent,
font des morts chaque jour. Cela nécessite une prise en compte de la dimension
politique de la crise", déplore l'opposant Joseph Bendounga, président du
Mouvement démocratique pour l'évolution et la renaissance de Centrafrique
(MDREC).
Le régime de transition dirigé
par Catherine Samba Panza - désormais contestée, alors qu'elle faisait
l'unanimité lorsqu'elle a remplacé Michel Djotodia, contraint à la démission en
janvier - ne peut s'appuyer sur une administration en ruines. Il doit s'en
remettre à la communauté internationale pour reconstruire un Etat et organiser
en théorie des élections (d'abord prévues en février) d'ici
mi-2015.
"Tant qu'il n'y a pas un
minimum de sécurité, le processus politique va rester bloqué. Si on veut changer
le rapport de forces, il faut arrêter les gens, signaler qu'on ne tolère plus
l'impunité, ne pas négocier avec des criminels", souligne Thierry Vircoulon,
d'International Crisis Group (ICG).
Or, ajoute-t-il, "il n'y a pas
eu de désarmement à Bangui, alors que c'était le mandat premier de Sangaris. Le
gouvernement est toujours sous la pression des groupes
armés".