Anders Kompass réintégré dans les services des Nations-Unies. Pourquoi a-t-il révélé le rapport sur les viols supposés en Centrafrique ?

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Soldats accusé de viols en Centrafrique: Le lanceur d’alerte a été réintégré aux Nations unies

20minutes.fr – A.Ch. avec AFP - 06.05.2015 à 17:34

 

Anders Kompass a retrouvé son poste aux Nations unies. Un tribunal interne à l’organisation internationale a ordonné la réintégration de ce travailleur humanitaire suédois qui avait été suspendu après avoir transmis à la France le rapport révélant des accusations de viols d'enfants par des soldats français en Centrafrique en 2014.

«Soldats-violeurs» en Centrafrique: Pourquoi ces pratiques perdurent dans l’armée?

 

Prié de démissionner

En accord avec le jugement du Tribunal du contentieux administratif des Nations unies rendu ce mardi, Anders Kompass «a donc repris du service», a confirmé mercredi une porte-parole du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'Homme. Le Suédois continue malgré tout de faire l'objet d'une enquête interne pour avoir transmis un document confidentiel, sans même avoir pris la précaution d'enlever les noms des victimes présumées, et d'avoir court-circuité ses supérieurs. Malgré cette accusation, le Tribunal du contentieux administratif des Nations unies a estimé que la réintégration d’Anders Kompass à son poste ne nuirait pas à l’enquête.

D'après le jugement du Tribunal du contentieux administratif des Nations unies, Anders Kompass dit avoir reçu à la mi-juillet une copie du rapport des Nations unies et dit en avoir parlé le 23 juillet avec un représentant de la mission française auprès des Nations unies à Genève. Les accusations de viols sur des enfants en Centrafrique ont justifié l'ouverture d'une enquête préliminaire en juillet 2014 à Paris, restée secrète jusqu'à ce qu'un article du quotidien britannique The Guardian révèle l'affaire fin avril.

 

Désaccords sur les dates

Anders Kompass affirme en avoir informé peu après le Bureau du Haut-Commissariat aux droits de l'Homme à Genève et avoir transmis une copie du rapport aux autorités françaises le 7 août. Mais les Nations unies réfutent cette version des faits. D'après le jugement, le Haut-Commissariat aux droits de l'Homme assure que ce n'est que le 6 mars 2015 qu'il a été informé que Anders Kompass avait fait fuiter le rapport. Une chose semble sûre: le 12 mars, le Suédois a été prié de démissionner. Ce à quoi il s'est opposé. Le 17 avril, il a été suspendu, et le 29 avril il a demandé l'annulation de cette suspension.

Anders Kompass, directeur des opérations du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'Homme, avait été placé en congé administratif le 17 avril dernier pour avoir transmis à l'été 2014 ce rapport confidentiel à la France. Les témoignages des enfants ont été recueillis par des personnels des Nations unies déployés en Centrafrique. Ils «retracent des faits qui auraient été commis sur une dizaine d'enfants, sur le site de l'aéroport de M'Poko (à Bangui), entre décembre 2013 et juin 2014», selon le ministère de la Défense français.

 

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Pourquoi a-t-il révélé le rapport sur les viols supposés en Centrafrique ?

Le Monde.fr Le 30.04.2015 à 12h13 • Mis à jour le 30.04.2015 à 17h45

L'essentiel

Il est l'homme par qui le scandale est arrivé. Anders Kompass est directeur des opérations de terrain au Haut-Commissariat des Nations unies (ONU) pour les droits humains, à l'origine de la fuite qui fait trembler l'armée française. 

Mercredi 29 avril, The Guardian a révélé l'existence d'un rapport confidentiel de l'ONU intitulé « Abus sexuels sur des enfants par les forces armées internationales ». A l'intérieur : des témoignages – recueillis sur place par des enquêteurs de l'ONU – de jeunes garçons accusant des soldats français de les avoir violés et d'avoir abusé d'eux en échange de nourriture ou d'argent.

Selon les estimations et les recoupements de chacun, 14 soldats français et 5 militaires étrangers sont mis en cause. Les faits se seraient déroulés entre décembre 2013 et juin 2014, alors que l'armée française était déployée en République centrafricaine (RCA) dans le cadre de l'opération « Sangaris ».

Lire la synthèse : Soupçons de viols en Centrafrique : ce que l'on sait de l'affaire qui vise l'armée française

L'ONU confirme avoir lancé une telle enquête au printemps 2014, mais elle ne cite jamais le nom du responsable de la fuite, contrairement au Guardian.

Pour le quotidien britannique, qui reprend des sources proches de l'enquête, c'est bien Anders Kompass qui a transmis le rapport à la justice française, en juillet 2014, après avoir constaté que l'ONU tardait à agir. Toujours selon le Guardian, l'un de ses supérieurs avait même été mis au courant de l'entreprise menée par M. Kompass et n'aurait soulevé aucune objection. Mais en mars 2015 le Suédois a été accusé d'avoir divulgué le rapport confidentiel en court-circuitant sa hiérarchie.

Sous couvert de l'anonymat, une source à l'ONU a expliqué à l'Agence France-Presse que le responsable avait fait fuiter le rapport une semaine seulement après qu'il a été fourni par les enquêteurs, et que son action ne pouvait donc pas s'expliquer par une frustration devant un manque de réactivité de l'ONU.

Un haut responsable de l'ONU, joint par Le Monde, a également affirmé que si M. Kompass avait voulu accélérer le processus, il aurait pu envoyer le rapport au Guardian dès le mois de juillet. Cadre de l'ONU depuis trente ans, M. Kompass connaît les procédures, a poursuivi ce haut responsable, notamment la nécessaire édition des rapports pour protéger les victimes.

Et c'est bien ce que l'ONU affirme reprocher à M. Kompass. Le porte-parole adjoint du secrétaire général, Farhan Haq, a ainsi expliqué que le rapport avait été transmis officieusement à Paris, d'une part sans en référer à sa hiérarchie mais aussi sans être expurgé des noms des victimes, des témoins et des enquêteurs, ce qui pouvait « mettre en danger » ceux-ci.

M. Haq a donc confirmé mardi que le responsable de la fuite avait été placé « en congé administratif avec plein salaire », en attendant les conclusions d'une enquête interne sur « ce grave manquement aux procédures » en vigueur. Une suspension qui est intervenue il y a une semaine, selon le Guardian.

Toujours par la voix de son porte-parole, l'ONU refuse d'accorder à M. Kompass le statut de lanceur d'alerte :

« Notre conclusion préliminaire est qu'une telle conduite ne peut pas être considérée comme celle d'un lanceur d'alerte. »

Mais Bea Edwards, membre d'une association internationale qui soutient les lanceurs d'alerte, accuse dans le Guardian et l'ONU de « chasse aux sorcières ».

« En dépit de la rhétorique officielle, il y a très peu d'engagement à la tête de l'organisation [des Nations unies] pour protéger les lanceurs d'alerte et une forte tendance à politiser toutes les questions, peu importe le degré d'urgence. »

Lire aussi (édition abonnés) : Les casques bleus régulièrement mis en cause pour des abus sexuels

L'ambassadeur de Suède auprès des Nations unies a également mis en garde les Nations unies, affirme le Guardian, prévenant que « ce ne serait pas une bonne chose si le haut-commissaire pour les droits de l'homme poussait » M. Kompass à la démission.

Directeur des opérations de terrain au Haut-Commissariat de l'ONU pour les droits humains, Anders Kompass avait déjà été soumis à une enquête de l'ONU. Des câbles révélés par WikiLeaks avaient mis en lumière un conflit d'intérêt sur la question du Sahara occidental. Il était alors soupçonné d'avoir informé les Marocains sur la question, et d'avoir empêché des enquêtes sur la question des droits de l'homme sur place. Convoqué, M. Kompass avait nié. Son ordinateur de travail avait été saisi mais n'avait rien révélé.

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Accusations de viols en Centrafrique : retour sur neuf mois d'enquête

Par Soren Seelow et Cyril Bensimon

Le Monde.fr Le 30.04.2015 à 12h19 • Mis à jour le 01.05.2015 à 13h53

L'essentiel


Des troupes françaises de la mission « Sangaris » en décembre 2014 en République centrafricaine
Des troupes françaises de la mission « Sangaris » en décembre 2014 en République centrafricaine. Crédits : AFP

Des militaires déployés en République centrafricaine (RCA) dans le cadre de l'opération « Sangaris » sont soupçonnés d'avoir abusé sexuellement d'enfants lors de leur mission à Bangui. Des informations révélées, mercredi 29 avril, par le quotidien britannique The Guardian, qui a eu accès à un rapport interne de l'Organisation des Nations unies (ONU).

Les faits incriminés se seraient déroulés entre décembre 2013 et mai-juin 2014, lors des premiers mois de l'opération « Sangaris ». D'après les informations du Monde, quatre garçons, âgés de 9 à 13 ans, ont déclaré à une employée de l'ONU avoir été victimes de viols commis par des soldats français. Deux autres enfants ont affirmé avoir été témoins de ces abus sexuels.

Selon The Guardian, les soldats sont soupçonnés d'avoir abusé de ces jeunes garçons « affamés et sans abri » en échange « de nourriture ou d'argent ».

Selon les informations du Monde, le « document de travail » de l'ONU qui a fuité évoque des « fellations ». Les enfants situent ces abus sexuels dans un « abri » aux abords de la barrière d'accès à l'aéroport de Bangui, gardé par des soldats français. Un petit abri fait de sacs de sable existe bien près de cette barrière, qui jouxte le centre pour déplacés où vivent les enfants.

Les accusations ne donnent aucun nom. Selon les recoupements des enquêteurs, quatorze soldats français sont soupçonnés d'être impliqués. Parmi ces militaires, « très peu » ont été identifiés, indique une source judiciaire, sans en dévoiler le chiffre précis.

Selon une source proche du dossier, les accusations visent aussi cinq militaires étrangers. Il s'agit de trois soldats tchadiens et de deux équato-guinéens, a précisé la codirectrice de l'ONG américaine Aids-Free World, Paula Donovan, qui a consulté le rapport de l'ONU et l'a communiqué au Guardian. Un des deux enfants témoins dit avoir assisté à une sodomie pratiquée par un de ces soldats étrangers. Ces faits ne sont pas visés par l'enquête française.

Selon une source judiciaire, le ministère a reçu cette information le 29 juillet 2014 sous la forme d'un document de travail de l'ONU, qu'il a aussitôt transmis à la justice française. Le parquet de Paris a ouvert une enquête préliminaire le 31 juillet pour « viols sur mineurs de 15 ans » sur la base de l'article 40 du Code de procédure pénale, après « dénonciation » du ministère de la défense.

La section de recherches (SR) de Paris et la SR de la gendarmerie prévôtale – une formation dont la mission principale est d'enquêter auprès des forces armées françaises stationnées hors du territoire français – ont été saisies.

Les gendarmes de la prévôté ont été envoyés dès août 2014 dans le camp de déplacés pour effectuer des vérifications, mais n'ont pu interroger les enfants, faute de cadre légal. S'il ne remet nullement en cause les déclarations « très précises » des enfants sur les actes sexuels évoqués, le compte rendu des gendarmes soulève quelques questions à éclaircir sur le déroulement précis des faits, au regard notamment de la topographie des lieux présumés des faits, explique une source proche du dossier.

En septembre, le parquet de Paris a envoyé une demande d'entraide à l'ONU pour obtenir la levée de l'immunité de l'employée onusienne qui avait recueilli le témoignage des enfants, une condition nécessaire pour l'auditionner même en qualité de simple témoin. Une demande refusée par l'ONU, qui a en revanche accepté de lui transmettre un questionnaire écrit. Les réponses à ce questionnaire ne sont parvenues au parquet de Paris que sept mois plus tard, le 29 avril, soit la veille de la révélation du scandale, ce qui a considérablement ralenti l'enquête, explique encore une source proche du dossier.


Anders Kompass, directeur des opérations de terrain au Haut-Commissariat 
de l'ONU pour les droits humains, en 2006.
Anders Kompass, directeur des opérations de terrain au Haut-Commissariat de l'ONU pour les droits humains, en 2006. Crédits : AFP/ORLANDO SIERRA

L'ONU a pourtant confirmé avoir enquêté dès le printemps 2014 sur des « accusations graves d'exploitation sexuelle et d'abus commis sur des enfants par des militaires français » en République centrafricaine. Le porte-parole adjoint de l'ONU, Farhan Haq, a également confirmé qu'Anders Kompass, un haut fonctionnaire de l'ONU, qui a transmis en 2014 les résultats de cette enquête aux autorités françaises au mépris des procédures avait été suspendu. « Notre conclusion préliminaire est qu'une telle conduite ne peut pas être considérée comme celle d'un lanceur d'alerte », a souligné le porte-parole.

M. Kompass a transmis le rapport aux autorités françaises après avoir constaté que l'ONU tardait à agir, affirme le Guardian. Une version contredite par une source onusienne, qui affirme, sous couvert de l'anonymat à l'Agence France-Presse, que le responsable avait fait fuiter le rapport une semaine seulement après qu'il eut été fourni par les enquêteurs, et que son action ne pouvait donc pas s'expliquer par une frustration devant un manque de réactivité de l'ONU.

Un porte-parole du Haut-Commissariat de l'ONU aux droits de l'homme a jugé « offensant » d'être accusé d'avoir étouffé ces accusations. Le parquet de Paris a par ailleurs demandé mercredi 29 avril la déclassification d'une enquête de commandement diligentée en interne. Autant d'éléments qui pourraient conduire prochainement à l'ouverture d'une information judiciaire.