C’est mal
parti !
Contre toute attente, le chef de
l’Etat de la transition en République centrafricaine a rapporté les trois
décrets relatifs à l’organisation du futur Forum national de Bangui, incriminés
par le Conseil national de la transition. Ce rétropédalage aurait pu être évité
si l’exécutif ne confondait pas vitesse et précipitation, au nom du principe
d’efficacité.
Seul le président du collectif
« Sauvons la Centrafrique »,
Serge Singa, voit dans cette reculade un acte qui fait « honneur à
la République, honneur aux femmes centrafricaines, de rectifier, de réajuster ce
qui n’a pas été bien fait ». En somme, les rapaces se précipitent déjà
autour de la table. La preuve : le sieur Serge Singa est nommé
1er Rapporteur adjoint au sein du Présidium, au titre de la société
civile.
1 – Plus que l’honneur, un coup de balai
salutaire.
De notre point de vue, Catherine
Samba-Panza ferait honneur à la République et à la femme centrafricaine, si elle
venait à limoger la palanquée de ministres conseillers qui l’ont induite en
erreur dans une affaire aussi mal ficelée. Ce serait un coup de balai
salutaire : le nombre ne fait pas la qualité. Se déjuger de cette manière si peu élégante enlève
le peu de crédit que le gouvernement de transition avait dans l’opinion et
devant la communauté internationale.
Dans un autre registre, le chef de l’Etat de transition
s’honorerait davantage encore, en exigeant la démission du ministre de la
sécurité publique, le nommé Samedi Nicaise Karnou, frère du Premier-ministre et beau-frère
du ministre des sports, lequel s’est invité dans le cours d’une affaire encore à
l’instruction. Le ministre se serait en effet rendu en pleine nuit auprès d’un
gardé à vue pour le couvrir de menaces. Auparavant, il avait déjà vicié la
procédure judiciaire engagée contre le nommé Michel Amine, en procédant
personnellement à l’interrogatoire
de l’intéressé, au mépris du principe de la séparation des
pouvoirs.
En agissant de la sorte, le ministre
s’arroge des prérogatives qui n’avaient cours qu’au 16ème siècle,
celles de « la lettre de cachet », voire à la cour de l’ex-empereur
Jean-Bedel Bokassa. Résultat de cette pantalonnade virée nocturne : le mis
en examen a été libéré sous caution et placé sous contrôle judiciaire. On
comprend que les magistrats soient excédés par tant
d’intrusion.
Le paradoxe de cette situation tient
à un constat : pendant que le ministre de la sécurité publique s’invente un
rôle d’enquêteur vedette, ses policiers sont en
grève !
Il y a un an, le 24 mars 2014 très
exactement, dans le cadre d’un article intitulé « La dictature de
l’amateurisme », je mettais déjà en garde les autorités de la transition en
Centrafrique en écrivant : « on aimerait aider la transition à réussir
mais, à ce degré d’amateurisme, le challenge s’annonce perdu d’avance ».
Nous y voilà !
2 – L’assassin revient toujours sur les lieux de son
crime.
C’est dans ce climat de désordre et
d’amateurisme que les anciens présidents déchu ou démissionnaire, François
Bozizé et Michel Djotodia, s’invitent eux aussi dans le processus de sortie de
crise en cours. Réunis à Nairobi sous l’égide du président kényan, ils ont
paraphé l’engagement :
-
de reconnaître les autorités de la transition en place à
Bangui,
-
de s’inscrire dans le cadre du Forum national de
Bangui,
-
de ne point contrarier les élections présidentielles et
législatives à venir.
Les termes précis de ces engagements
n’ayant pas été rendus publics, on nous permettra de rester sur la réserve. Ce
ne sera pas la première fois que ces deux-là se dédieraient d’un engagement
scellé à cor et à cri.
D’autant que, le 7 avril dernier, les
représentants de ces deux personnalités ont paraphé, toujours à Nairobi, un
texte similaire à celui rejeté par la communauté internationale et les autorités
de Bangui, dans lequel ils réclamaient :
-
une nouvelle transition dans le cadre d’un nouveau gouvernement
d’union nationale,
-
une amnistie générale pour les personnes et les parties engagées ou
impliquées dans les combats durant le conflit en
Centrafrique.
En décidant de s’inviter à Bangui,
les signataires de Nairobi cherchent
plutôt à torpiller le Forum.
3 – Les consultations à la base livrent leurs
secrets.
Le rapport des consultations
populaires à la base (CPB), rendu public par le gouvernement de transition,
égrène un long chapelet de préoccupations et de recommandations pour le Forum
national de Bangui, qui fait penser à un inventaire à la
Prévert.
Sous la conduite de 28 facilitateurs,
experts internationaux, accompagné chacun par une équipe de 10 à 15
personnalités représentant « les forces vives de la Nation »,
c’est-à-dire les partis politiques et les groupes armés, ces CPB ont touché
quelques 12 000 personnes environ. C’est un panel satisfaisant, vu le
contexte local très différent d’une région à une
autre.
Au terme de cette consultation
générale, deux perspectives se dégagent
nettement :
·
13 préfectures sur 16 ont centré leurs préoccupations et
recommandations sur la problématique de la paix et de la réconciliation
nationale, se montrant très pragmatiques quant aux solutions à apporter à la
crise, soit le retour de l’autorité de l’Etat à travers ses services publics, en
particulier la justice ;
·
3 autres préfectures se sont distinguées en invoquant des préoccupations très
spécifiques,
-
La Kémo stigmatise la responsabilité historique de la France
ainsi que l’hégémonie militaro-politique du Tchad dans les crises qui se sont
produites en Centrafrique,
-
La Vakaga réaffirme sa position en faveur de la partition de la RCA
et recommande la création d’un axe routier reliant Bambari à Amndafock
(Soudan),
-
Le Haut-Mbomou dénonce l’usage de la monnaie du Soudan du sud dans
toutes les transactions commerciales dans la localité centrafricaine de
Bambouti, située à l’extrême frontière orientale du
pays.
Pour répondre à toutes ces
préoccupations, souvent spécifiquement locales, et faire face aux
recommandations qui en découlent, le comité d’organisation du Forum de Bangui ne
peut se permettre le moindre procès en amateurisme. Il y faudra une organisation
sans faille, une procédure et des modalités de fonctionnement rigoureuses, des
thématiques en nombre limité mais objectivement spécifiées.
En désignant la ministre de la santé,
Mme Marguerite Samba-Maliavo, coordonnatrice générale du comité technique
d’organisation du Forum national, en lieu et place de son ministre conseiller
Jean-Jacques Démafouth ; le chargé de mission à la Primature, Daniel Nzèwè,
comme Rapporteur général ; et le directeur général du Trésor public, Siméon
Zoukota, comme gestionnaire comptable du Forum, le chef de l’Etat de la
transition entend sans doute garder la haute main sur le processus et son
financement.
Toutefois, la nomination du directeur
général du Trésor public comme gestionnaire comptable du forum est une faute.
Cette accréditation entretient inutilement un conflit
d’intérêt.
On fera donc confiance au président
du Présidium, le professeur Abdoulaye Bathily, médiateur de l’Onu pour l’Afrique
centrale, pour assoir un vernis de rigueur et
d’objectivité.
La période à venir est trop sensible
pour laisser place au doute, à la légèreté et à la
suffisance !
C’est pourquoi, pour restaurer ce qui
reste de l’Etat centrafricain et notre crédit auprès de la communauté
internationale, j’appelle à mettre fin à cette équipe de transition qui
déshonore notre République, et en appelle à la désignation d’un Comité des Sages
qui sera chargé, à partir du 16 août 2015, d’organiser l’élection du Président
de la République en se basant sur la Charte constitutionnelle de la
transition.
Paris, le 16 avril
2015.
Prosper
INDO
Haut-Commissaire du
CNR