Par Pierre Pinto - RFI, le 24-03-2015
En Centrafrique, les consultations
à la base sont terminées. Elles doivent nourrir le Forum de Bangui prévu fin
avril, mais dont l'organisation a déjà pris beaucoup de retard. Ces retards
hypothèquent la tenue des élections dans les délais espérés, c'est-à-dire avant
le mois d'août. Le calendrier est-il tenable ? Que ressort-il des consultations
? Comment réorganiser l'armée centrafricaine moribonde ? Interrogée par Pierre
Pinto et Bertrand Haeckler, la présidente de transition Catherine Samba-Panza
répond à toutes ces questions.
RFI : Les consultations populaires
à la base se sont achevées. Que retenez-vous des doléances que les
Centrafricains ont exprimées ?
Catherine Samba-Panza
: Ce
processus de
consultation
populaire, à la base, est une véritable
innovation, car j’ai voulu sortir des sentiers battus en me disant que le
processus de réconciliation ne concerne pas que l’élite et qu’il fallait, pour
une fois, obtenir leur ressenti de la situation véritable, leurs préoccupations
et surtout leurs solutions de sortie de crise.
Cela a été un véritable succès,
car toute la
population a adhéré. Et dans les 16 préfectures, ce
qu’il en est ressorti concerne vraiment leur vécu. C'est-à-dire les problèmes de
sécurité, les problèmes humanitaires, les problèmes de justice, de
développement, de pauvreté et surtout les problèmes de réconciliation. Cela est
très important parce que c’est en fait la base nourricière de ce qui va être dit
au Forum national de Bangui.
Tout le monde attend ici, en
Centrafrique, ce Forum, mais dans l’esprit de beaucoup c’est assez flou. Comment
concevez-vous ce Forum ?
D’abord, le Forum ne sera pas une
occasion pour remettre en cause les institutions de la transition. Au cours de
ce Forum, les Centrafricains vont ensemble regarder derrière eux pour savoir
comment ils ont fait pour arriver à cette difficile cohabitation, mais surtout
avoir une vision pour l’avenir. Qu’est-ce que nous voulons faire de notre pays ?
Comment voyons-nous notre pays dans les 20-25 ans qui vont venir ? Comment
allons-nous faire pour réapprendre à vivre ensemble ? Comment éviter les erreurs
du passé en terme de gouvernance et en terme politique ?
Les Centrafricains
attendent beaucoup de ce Forum parce que ce sera l’occasion,
pour eux, de se dire la vérité, de donner des explications de ce qui les a
amenés où ils sont arrivés aujourd’hui, les raisons qui les ont poussés à
commettre des exactions. Mais par-dessus tout, il sera question de la justice et
de la réparation pour pouvoir faire le deuil de tout ce qui s’est
passé.
Le groupe international de contact
(GIC) s’est réuni la semaine dernière et a donné globalement un « satisfecit » à
la transition, mais il a aussi plaidé pour une accélération de la feuille de
route.
Le groupe de contact a raison.
Effectivement, beaucoup reste encore à faire. Ensemble, nous avons surtout
relevé qu’il était important d’accélérer le rythme de mise en œuvre de la
transition, notamment en ce qui concerne le Forum de Bangui qui aurait dû se
tenir déjà depuis fin janvier, début février. Cela a pris du retard. Ensuite, il
y a avait les élections qui devaient être organisées, au plus tard, au mois de
février puisque la fin de la transition était prévue pour le 15 février
2015.
Nous avons eu la possibilité
d’obtenir une prolongation de six mois de cette transition avec un chronogramme
précis. Il nous faut absolument tenir ce chronogramme. Le groupe international
de contact a fort opportunément attiré notre attention sur l’obligation de tenir
le pari des élections en juin et juillet et surtout la fin de la transition au
mois d’août 2015. Est-ce que ce chronogramme est tenable ? Pour le moment, nous
avons l’obligation de tout faire et de tout mettre en œuvre. C’est un pari. Il
nous faut absolument tenir ce pari.
Et si le pari
n’est pas tenu, une nouvelle prorogation de la
transition est-elle envisageable ?
Il nous faut, ensemble, voir avec
les partenaires techniques et financiers, la communauté internationale et les
forces vives de la nation, quelles solutions envisager.
Parmi les grands chantiers de la
transition, il y a la restauration de l’autorité de l’Etat et notamment sur le
plan sécuritaire, ce qui passe par la montée en puissance des forces de sécurité
intérieure (police et gendarmerie) et par la réhabilitation des forces armées
centrafricaines (FACA). Sur ce point des FACA, dans quelle mesure la communauté
internationale vous soutient-elle ?
En fait, quand on regarde les
diverses résolutions
des Nations
unies, tout l’accent est mis sur la police et la gendarmerie.
Quand on voit les mesures de confiance signées avec Sangaris, il
faut absolument appuyer et renforcer la police et la gendarmerie. Pourquoi cela
? Simplement parce qu’on a estimé que les FACA ne
répondaient pas aux standards professionnels, que c’était une armée très
ethnicisée qui ne répondait pas aux critères de compétence, qu’elle n’était pas
républicaine, qu’elle a vécu beaucoup de chocs et qu’il fallait la restructurer.
Seulement, nous avons
7 500 hommes, en attendant, qui sont là, qui ne sont pas utilisés et qui
sont prêts à apporter leur contribution à la pacification du pays.
Nous avons ensemble convenu, avec
la communauté internationale, qu’il ne fallait peut-être pas réhabiliter ces
FACA avec ses insuffisances, qu’il fallait, certes restructurer dorénavant une
nouvelle armée républicaine professionnelle, mais en attendant, utiliser quand
même ces hommes qui sont payés et qui ne demandent qu’à travailler.
La population
centrafricaine a fortement demandé le retour des FACA mais nous, nous avons
des engagements. Nous sommes tenus par les résolutions des Nations unies. Alors,
nous avons demandé de commencer progressivement à reconstituer une nouvelle
armée. Nous sommes arrivés à ce qu’on a appelé un Bataillon d’intervention
territoriale (450 éléments) en attendant qu’au Forum de Bangui, on définisse la
vision, le format que nous voulons de notre armée et les critères pour le
recrutement dans la nouvelle armée.
Vous plaidez, régulièrement, pour
la levée de l’embargo sur les armes qui pèse sur la Centrafrique. Que vous ont
dit les ambassadeurs du Conseil de sécurité qui sont venus vous rendre visite,
il y a quinze jours ?
Je me suis tout d’abord réjouie
que vingt-cinq
ambassadeurs du Conseil de sécurité soient venus en République
centrafricaine. Pour nous, cela a été un honneur parce que d’abord cela a attiré
l’attention du monde. Cela veut dire qu’il y a un intérêt manifesté par la
communauté internationale pour ce pays-là. Cela a été l’occasion pour nous,
d’expliquer les avancées et les efforts déployés. Nous avons également profité
de leur séjour pour attirer leur attention sur nos attentes et notamment sur
l’embargo.
Il n’y a pas que l’embargo sur les
armes, il y a l’embargo économique, il y a également le processus de Kimberley
(les
diamants)
qui nous crée quelques préoccupations. Et sans une levée, au moins partielle, de
l’embargo sur ce processus, nous avons des ressources qui seraient difficilement
mobilisables pour nous permettre de faire face à nos obligations
régaliennes.
S’agissant de l’embargo sur
les armes,
nous avons expliqué qu’il est inadmissible de renforcer nos forces de défense et
de sécurité intérieure sans leur donner un armement. En les envoyant ainsi sans
armes, ils constituent, en fait, de la chair à canon. Nous pensons qu’il n’est
pas indiqué, si nous voulons restaurer l’autorité de l’Etat sur le terrain, de
les envoyer sans armement. Je pense que la dernière résolution
Parmi les défis de la transition,
il y a également la lutte contre l’impunité et l’arme choisie notamment, c’est
une Cour pénale spéciale, une juridiction mixte composée de juges internationaux
et centrafricains. Pourquoi avoir choisi cette formule ?
C’est une formule qui vient
seulement après. Notre volonté de lutter contre l’impunité s’est manifestée
d’abord par la
réhabilitation des commissariats, des brigades de
gendarmerie,
des prisons, des palais de justice... C’était très important, car pour respecter
la loi, il faut commencer par avoir peur du gendarme. Ainsi, avec l’appui de la
communauté internationale, nous avons vraiment équipé la police et la
gendarmerie en moyens de travail, en moyens mobiles pour leur permettre d’être
davantage présents sur le terrain pour lutter efficacement contre le banditisme.
Cela dit, nous avons également des
crimes graves commis à grande échelle et qui relèvent du droit international
humanitaire. Dans le cadre des accords avec les Nations unies, nous avions signé
un mémorandum pour que, en cas d’insuffisance des capacités des autorités
centrafricaines à faire face à la lutte contre l’impunité, la communauté
internationale devait être à ses côtés, en appui. Nous avons pensé que la mise
en place d’une structure pénale mixte était importante pour connaître les crimes
les plus graves qui se commettraient en République centrafricaine puisque la
mise en place d’un tribunal pénal
spécial pour la République centrafricaine était
compliquée.
Est-ce que les amnisties sont
totalement à exclure ?
A chaque processus de
réconciliation, nous avons toujours commencé par
prendre des mesures d’amnistie générale. Cela fait vingt ans que le cycle de
violence ne s’est pas arrêté. Ce sont des initiatives, en fait, qui ne payent
pas, mais, par contre, qui frustrent les victimes. C’est vrai, nous voulons
aller vers le dialogue, nous voulons aller vers la réconciliation, mais pas au
prix de l’impunité.
Au sein des groupes armés,
beaucoup attendent un programme de désarmement, de démobilisation et de
réintégration (DDR) avant de déposer les armes. Quand aura-t-il lieu
?
L’ancienne stratégie DDR qui avait
été mise en place n’a pas atteint ses objectifs. Nous avons pensé qu’il fallait
repenser la nouvelle stratégie DDR qui a d’ailleurs déjà bien avancé. Nous
l’avons élaborée. Il nous appartient maintenant de voir ensemble, avec les
groupes armés et avec la communauté internationale, si la nouvelle stratégie
élaborée correspond bien aux attentes et à la nouvelle situation sécuritaire.
Vous avez raison de dire que les groupes
armés attendent cela impatiemment. Il faut leur donner des
opportunités. Il faut que ces groupes armés se rendent compte qu’il y a un
avenir, après avoir déposé les armes. Donc, je pense que dans les jours à venir,
nous allons réfléchir sur cette nouvelle stratégie DDR en amont du
Forum.
Comment la transition peut-elle
aider à relancer la machine économique ?
Pour commencer, la moitié des
salariés sont des agents et des fonctionnaires de l’Etat. Chaque agent et chaque
fonctionnaire de l’Etat nourrit à peu près dix personnes. Quand nous sommes
arrivés à la tête de la transition, notre défi était d’assurer le
paiement
régulier des salaires, pensions et bourses.
Cela dit, nous avons également du
personnel employé par le secteur privé. Ce dernier a beaucoup souffert. Beaucoup
d’entreprises ont perdu leur outil de travail. Maintenant, nous essayons
d’accompagner ces entreprises pour reconstituer leur outil de travail. Ce n’est
pas facile.
Nous essayons également de ramener
la sécurité, mais il faut reconnaître qu’il y a une très, très grande pauvreté
dans le pays. Et si nous sommes arrivés à ce niveau de crise, c’est parce qu’en
fait, la moitié de la population centrafricaine vit dans la détresse,
vit dans une
grande pauvreté parce qu’il n’y a pas suffisamment
d’emplois. Nous nous battons avec la communauté internationale pour essayer de
mettre en place des travaux à haute intensité de main
d’œuvre.
Plus de 400 000
Centrafricains vivent toujours réfugiés à l’étranger, à peu près autant de
déplacés à l’intérieur du pays. Quel message avez-vous pour eux
?
A l’occasion des consultations
populaires à la base, nous avons envoyé des équipes pour aller auprès de ces
populations et leur apporter un message de soutien, d’espoir et leur dire notre
compassion, mais aussi notre fierté de les voir résister autant face à cette
crise. Et c’est pour cela que sur le plan
humanitaire,
nous lançons souvent un appel aux humanitaires pour leur dire de dépasser le
stade de l’urgence alimentaire pour dorénavant organiser véritablement le retour
des personnes déplacées et réfugiées, mais avec un appui pour leur
réinstallation. Qu’on essaye plutôt de réfléchir à des kits pour leur permettre
de se reconstruire.
Est-ce que Michel Djotodia et
François Bozizé peuvent revenir en Centrafrique ?
Il y a eu des réactions et des
positions par rapport à cette question. Une fois qu’on aura vu quelle est la
tendance généralement exprimée pour la participation – ou pas – de ces
personnalités, nous en tirerons toutes les conséquences. Cela dit, je rappelle
simplement que la résolution 2196 et le dernier GIC ont insisté sur la nécessité
de respecter le régime des sanctions imposé par le Conseil de sécurité qui a
prévu un déplacement limité ou surveillé de certaines personnes, ainsi que la
restriction de leurs biens. Nous allons tenir compte de tout cela. Nous sommes
en train d’exploiter les résultats de ces consultations populaires qui vont
définir les critères de participation. Nous verrons, à ce moment-là, qui
participera ou qui ne participera pas au Forum de Bangui.