Propos
recueillis par Joan Tilouine -
Le
Monde.fr,
25.03.2015, 09h57
Jean-Jacques Demafouth, conseiller à la présidence en charge de la sécurité et des relations avec Sangaris et la Minusca. Crédits : AFP
À
Bangui, les autorités centrafricaines de la transition ont le regard porté vers
la tenue, encore incertaine, de l’élection présidentielle prévue à la fin de
cette année. Une soixantaine de candidats sont en lice pour cette échéance qui
mettra un terme à cette transition menée par la présidente Catherine
Samba-Panza.
D’ici
là, nombreux sont les défis à relever et tout est à faire ou presque, selon
Jean-Jacques Demafouth, le conseiller à la présidence en charge de la sécurité
et des relations avec Sangaris et la Minusca (Mission des Nations Unies en
République centrafricaine). À commencer par la réconciliation. C’est ainsi que
le Forum de Bangui réunira, courant avril, des représentants de la société
civile, des groupes armés, des religieux, et des partis politiques pour débattre
de l’avenir du pays.
De
passage à Paris, Jean-Jacques Demafouth a plaidé auprès des autorités françaises
le maintien de l’opération Sangaris qui a prévu une réduction de ses effectifs,
et un soutien renforcé de la France. Entretien.
Pourquoi
souhaitez-vous le maintien de l’opération
Sangaris ?
Nous
sommes bien conscients que l’opération Sangaris lancée le 5 décembre 2013
ne devait durer que six mois. Or, cela fait plus d’un an que les militaires
français de Sangaris sont en République centrafricaine (RCA). Nous avions espéré
que Sangaris puisse résoudre les maux du pays, mais la crise se révèle plus
profonde.
Lire
aussi : En Centrafrique, retrait à risques pour la
France
Si
aujourd’hui nous traversons une accalmie que je comparerai à de la braise sous
de la cendre, le pays est exsangue et nous avons toujours plus besoin de
sécurité pour mener à bien cette transition. Le président François Hollande a
indiqué que Sangaris restera en RCA jusqu’à l’automne. Ce que nous saluons, mais
nous souhaitons un retrait progressif, à un rythme
d’escargot.
Quelle
autre forme d’aide réclamez-vous à la
France ?
Nous
avons besoin d’un soutien financier clair de la France. Nous voulons que Paris
soutienne le budget de la RCA et incite d’autres bailleurs à faire de même. Nous
avons encore besoin de prés de 10 milliards de FCFA pour boucler notre
budget. Et ce, sans compter l’organisation de l’élection présidentielle ainsi
que le Forum de Bangui. L’Union européenne qui nous aide financièrement compte
d’ailleurs la France parmi ses contributeurs, toutefois cela n’est
malheureusement pas suffisant. J’ai demandé aux autorités françaises une aide
supplémentaire modeste pour l’organisation du Forum de Bangui ainsi que pour le
processus électoral.
Le 24 janvier 2014 au nord de Bangui. Un commerçant chrétien se tourne vers des soldats de Sangaris. Crédits : AFP
Où
en sont les préparatifs du Forum de Bangui ?
Nous
avons fini le 11 mars la phase des « consultations populaires ».
Celles-ci se sont déroulées, depuis le 19 janvier, dans tout le pays et ont
réuni toutes les composantes de la société centrafricaine, y compris des groupes
politico-militaires, pour dialoguer, échanger. Une première dans le pays !
Chaque région a ainsi pu exprimer ses besoins, ses craintes, ses préoccupations.
De la sécurité à la scolarité des jeunes, en passant par la sécurité, nous avons
tout noté et nous sommes actuellement en train d’analyser ces comptes rendus
pour en dégager des grands thèmes qui seront abordés lors du Forum de Bangui
prévu en avril.
Près de
500 délégués sont attendus, à raison d’une quinzaine par région, mais aussi des
leaders de la diaspora et de partis politiques ainsi que des dignitaires
religieux. Là encore, les forces françaises nous ont aidés à organiser ces
consultations notamment dans des zones reculées. Et nous avons un besoin patent
de Sangaris pour sécuriser ce Forum que d’aucuns veulent
empêcher.
Cette
étape de la réconciliation précède la tenue de l’élection présidentielle. En
l’état, la Centrafrique est-elle capable d’organiser des
élections ?
À la
suite du Forum de Bangui, nous allons démarrer la phase de préparation
électorale. Selon l’Agence nationale des élections, trois mois au minimum sont
nécessaires pour faire ce recensement en vue de la constitution du fichier
électoral.
Alors
oui, en effet, nous ne contrôlons pas tout le territoire et cette élection sera
sans doute partielle. Mais dans chacune des grandes villes des seize
préfectures, il y aura des bureaux de vote sécurisés. S’il faut attendre que
tout le pays soit apaisé et sous contrôle, nous ne ferons jamais d’élection.
Notre devoir, c’est que tous les candidats – une soixantaine actuellement –
puissent faire campagne dans la paix. Nous tenons à ce que cette élection se
déroule vite, si possible avant décembre, pour que la transition s’achève et
qu’on transmette le pouvoir à un président élu, donc
légitime.
Comment
faire un recensement alors que certaines zones du pays échappent au contrôle de
l’Etat ?
Je
pense que si nous sommes parvenus à mener à bien les « consultations
populaires », nous pouvons faire un recensement. Il est vrai que de
nombreux Centrafricains sont des déplacés et qu’il sera complexe de tous les
identifier. Mais nous avons déjà commencé. Et nous ferons ce que nous pouvons
pour qu’ils puissent avoir leur carte d’électeur.
Pour ce
qui est du fichier électoral, nous partons de zéro ou presque. Nous comptons
récupérer l’ancien fichier électoral qui servira de base. C’est indéniablement
un défi. Mais il faut le relever, et avancer quitte à faire une élection
imparfaite. C’est l’élection de la dernière chance.
Des soldats de l'armée centrafricaine, le 13 mars 2015 à Bangui. Crédits : REUTERS
Dans
quel état se trouvent les forces armées
centrafricaines ?
Nous
n’avons ni armée, ni gendarmerie, ni police. Nous disposons d’environ 3 500
gendarmes et 2 800 policiers à Bangui. Mais le problème, c’est qu’ils ne
sont pas armés. Tous les stocks d’armes laissés par l’ancien régime ont été
pillés par les groups armés. Donc nous hommes en uniforme utilisent parfois des
armes récupérées sur les marchés locaux. J’ai plaidé auprès des autorités
françaises pour que l’armement saisi par les troupes internationales soit remis
à nos forces armées en reconstitution. Et nous souhaitons une levée de l’embargo
au moins sur les formations afin de pouvoir entraîner nos militaires et
policiers.
Redoutez-vous
une montée de l’islamisme et de l’influence de Boko Haram en
Centrafrique ?
Nous ne
savons rien ou si peu de ce qui se passe à nos frontières avec le Soudan et le
Tchad sous contrôle de l’ex-Séléka. Boko Haram peut opérer dans ces zones, ce
qui nous préoccupe d’autant plus que nous savons que des liens
existent.
Le
numéro 2 de l’ex-Séléka, Noureddine Adam, est ou a été en contact avec des
éléments de Boko Haram et d’Al-Qaida. Nous constatons actuellement l’arrivée
en Centrafrique de prédicateurs radicaux venus de pays voisins. La jeunesse
désœuvrée centrafricaine constitue une proie facile pour les mouvements
djihadistes. Autant d’éléments d’inquiétude.
C’est
pour cela que nous sommes allés en février au sommet de la Communauté économique
des Etats de l’Afrique centrale (CEEAC), pour lancer un appel afin que la RCA ne
soit pas oubliée dans la lutte contre Boko Haram.
Quid
du rôle de François Bozizé, actuellement à Kampala, et de la déstabilisation
orchestrée par certains de ses fils ?
Bozizé,
c’est le mal de la politique centrafricaine. Je l’ai bien connu, d’abord comme
officier général puis comme chef d’Etat major lorsque j’étais ministre de la
défense. Sa gestion du pouvoir a été honteuse, et il doit des excuses aux
Centrafricains. Il ne faut pas oublier que lorsque les rebelles de la Séléka se
sont emparés de Bangui en mars 2013, Bozizé a abandonné son pays qu’il a
confié, par un décret, à la France.
Sa
manipulation des groupes armés tels que les milices anti-balaka ont aggravé le
désordre et ont précipité le pays dans le chaos. Il ose ensuite se rendre en
février à Nairobi pour négocier la paix avec son tombeur et successeur, Michel
Djotodia. Les autorités de transition présidées par Catherine Samba-Panza
soutiennent la Cour pénale internationale et collaborent avec le bureau du
procureur pour que les enquêtes aboutissent vite.
Cette
rencontre à Nairobi entre Bozizé et Djotodia a été orchestrée par le président
congolais Denis Sassou Nguesso, comment percevez-vous l’évolution de sa
médiation ?
Nous
avons été surpris de ne pas avoir été ni associé ni informé de cette rencontre à
Nairobi. Or, nous aurions souhaité être présents. D’autant que le processus de
Brazzaville, où a été signé en juillet un accord de cessation des hostilités, a
été salué par la communauté internationale qui a par ailleurs condamné cette
rencontre de Nairobi entre Bozizé et Djotodia.
Nous
sommes reconnaissants au président Denis Sassou Nguesso, médiateur de la crise
centrafricaine, pour son implication et ses efforts pour parvenir à une
réconciliation. Mais il est important que ce travail de dialogue implique le
gouvernement.
La
neutralité du président Denis Sassou Nguesso, dont la proximité avec l’ancien
ministre centrafricain Karim Méckassoua est publique, n’est-elle pas
contestable ?
Il a
probablement un penchant pour un candidat. Personnellement, je n’ai jamais
entendu le président congolais faire état d’un soutien affiché. On sait bien, en
effet, que Karim Méckassoua fait les va-et-vient entre Bangui et Brazzaville.
Entre proximité et soutien politique, il y a un pas qui, je l’espère, ne sera
pas franchi.
Lien
lemonde.fr -
http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/03/25/centrafrique-l-election-de-la-derniere-chance_4600603_3212.html#xtor=AL-32280515