INTERVENTION DE M.
EMMANUEL OLIVIER GABIRAULT, PRESIDENT DE LA COORDINATION GENERALE DES
CENTRAFRICAINS DE FRANCE A L’OCCASION DE LA SEMAINE CULTURELLE CENTRAFRICAINE
ORGANISEEPAR L’ASSOCIATION
FRATERNITE BOGANDA
A TOULOUSE
(29 MAI
2015)
THEME :
BARHELEMY BOGANDA ET DEVOIR DE MEMOIRE
Distingués invités,
Chers compatriotes,
Nous sommes réunis ce soir
à l’occasion d’un grand moment consacré à l’illustre Président Fondateur
de notre chère et jeune nation la République
Centrafricaine.
Au nom de la Coordination Générale des Centrafricains de France
(COGECF), je remercie l’Association Fraternité BOGANDA pour son invitation dans
le cadre de cet important évènement.
En effet, il est fondamental que de telles rencontres se
multiplient afin de permettre à la nation et particulièrement à la jeunesse de
mieux connaître le Président fondateur Barthélémy BOGANDA et ses
idées.
Les idées de l’illustre Président Fondateur de la République
Centrafricaine, résumées essentiellement en cinq verbes tirés des Ecritures Saintes, à savoir : NOURRIR, VÊTIR,
GUERIR, INSTRUIRE, LOGER, constituaient
les fondements d’un programme complet qui aurait fait le bonheur de notre
pays.
Les gouvernements successifs de la RCA ont malheureusement
instrumentalisé le nom du Président Fondateur Barthélémy BOGANDA par des slogans
politiques sans appliquer ses idées.
Si les centrafricains adultes ont été lassés par ces slogans et
propagandes, les jeunes quant à eux ont une méconnaissance totale des valeurs
qu’il a défendues, et du grand rôle qu’il a joué en son temps pour l’actuelle
République Centrafricaine.
Avant de parler des
valeurs et du grand rôle joué par
le Président Fondateur Barthélémy BOGANDA,
il me semble utile de rappeler
brièvement le contexte historique de la création de la colonie de
l’OUBANGUI, ensuite de la République Centrafricaine, au sein desquels il a mené
des actions de premier plan.
En effet, historiquement, les puissances coloniales, après
avoir terminé la conquête des côtes africaines, se sont lancées dans une course
pour celle de l’intérieur du continent, à la suite de la conférence de Berlin
tenue de novembre 1884 à février 1885, consacrée au partage et à la division de
l’Afrique.
La France qui cherchait dans ce cadre à atteindre le Nil avant les
Anglais pour gagner le plus de territoires possibles, a remonté le fleuve
Oubangui jusqu’au niveau des rapides(en face de ZONGO), mais que le bateau
transportant sa mission n’a pas pu franchir.
Celle-ci a été obligée d’y planter le drapeau français en signe de
possession du lieu, ce qui a abouti par la suite à la création en 1889 d’un
poste appelé Bangui.
CREATION DE L’ETAT OU COLONIE FRANCAISE DU HAUT
OUBANGUI
Toujours dans le cadre de cette conquête coloniale face à
l’Angleterre et la Belgique, la France a établi la frontière orientale du
Haut Oubangui (actuel Centrafrique) à la ligne de partage des eaux entre le
bassin de l’Oubangui et du Nil jusqu’au 11ème parallèle, ensuite à la
frontière qui sépare les Etats du
WADAI et du DARFOUR.
Elle a créé ainsi le 13 juillet 1894 une colonie sous le nom de
Haut Oubangui ayant pour capitale « A-BIRAS », situé à proximité du
confluent OUELE-MBOMOU, précisément à l’emplacement de l’actuelle localité BEMA
(identifiable sur la carte sous l’appellation
« KEMBA »).
Ce territoire a été contesté par le Sultan d’Egypte et la France
n’y a établi une administration coloniale qu’après la défaite des forces
égyptiennes en 1903.
CREATION DU TERRITOIRE OUBANGUI
CHARI
Peu de temps après, un
décret du 29 décembre
CREATION DU TERRITOIRE OUBANGUI-CHARI-TCHAD
Trois ans après, un décret du 11 février 1906 portant
réorganisation des possessions du Congo Français et Dépendances a uni le
territoire de l’Oubangui-Chari au
territoire militaire du Tchad avec pour Chef-lieu
Fort-Possel.
A la fin de la même année, un décret du 11 décembre
OUBANGUI-CHARI MEMBRE DE L’AFRIQUE EQUATORIALE
FRANCAISE
En 1910, l’Oubangui-Chari devient l’un des territoires de la
fédération de l’Afrique Equatoriale Française (AEF) comprenant le Tchad, le
moyen Congo (actuel Congo Brazzaville), et le Gabon, en tant que territoire
unifié sous le nom de
« Oubangui-Chari-Tchad ».
En 1915, l’OUBANGUI CHARI
devient membre de l’AEF, cette fois-ci comme colonie
autonome.
REPRESENTATION DES COLONIES AU PALAIS
BOURBON
En 1946, lorsque les instances métropolitaines françaises ont
décidé de la représentation des colonies au parlement dans le cadre de l’union
française, le Président BOGANDA se fait élire député au Palais Bourbon, avec le
soutien du diocèse de Bangui sous l’étiquette
MRP.
En 1949, il crée son propre parti, le MESAN (Mouvement de
l’Evolution Sociale de l’Afrique Noire), ayant pour crédo : « NOURRIR,
VÊTIR, GUERIR, INSTRUIRE, LOGER ».
En 1950, le Président Barthélémy BOGANDA rompt avec le MRP et
s’impose comme un tribun autochtone de premier
plan.
PROCESSUS D’EMANCIPATION DES
COLONIES
Dans le cadre du processus d’émancipation des colonies devenu à
l’époque inéluctable, la forte audience territoriale du MESAN fait de Barthélémy
BOGANDA un personnage-clé pour l’Oubangui.
Les colons qui jusque là étaient hostiles à lui, cofondent avec son parti le MESAN, un
groupement politique dénommé ILO (Inter groupe Libéral
Oubanguien).
En 1956, avec ce groupement politique, Barthélémy BOGANDA se lance
avec succès à la conquête de la
Mairie de Bangui.
En 1957, dans le cadre des élections territoriales, le MESAN
remporte la totalité des 50 sièges à pourvoir.
Il convient de préciser que l’enjeu de ces élections était
particulièrement important, car conformément à la Loi-cadre de Defferre, elles conduisaient à la nomination du premier
gouvernement local.
Adepte de la Coopération, Barthélémy BOGANDA déléguait beaucoup,
notamment à des métropolitains.
BOGANDA PRESIDENT DU GRAND CONSEIL ET SON PROJET DES ETATS UNIS
D’AFRIQUE
En 1957, Barthélémy BOGANDA
accède à la présidence du Grand Conseil de l’Afrique Equatoriale
Française. Ce poste honorifique lui a permet d’acquérir une certaine audience à
l’échelle régionale.
Il rallie dans ce
contexte, les thèses panafricaines et
s’érige en défenseur de l’AEF, proposée pour devenir « la République
Centrafricaine ».
Visionnaire et plus audacieux, le Président Barthélémy
BOGANDA imagine les Etats
Unis d’Afrique Latine au-delà de l’AEF, en y incluant l’Angola et le Congo Belge
(actuelle RDC).
En effet, il comptait très clairement faire de l’AEF l’embryon
d’une République Fédérale regroupant les anciens membres de cet ensemble comme
creuset d’un vaste mouvement d’émancipation sociale du peuple noir à l’échelle
de l’Afrique.
C’est ce qui traduit
son expression : « Libérer l’Afrique et les Africains de la
servitude et de la misère, telle est ma raison d’être et le sens de mon
existence ».
SYMBOLES DU PANAFRICANISME A TRAVERS LES COULEURS DU DRAPEAU
CENTRAFRICAIN
Dans la logique du panafricanisme qui animait Barthélémy BOGANDA,
chacune des couleurs de l’actuel drapeau centrafricain devrait représenter chaque Etat de la
nouvelle fédération.
Ainsi :
-Le Bleu était appelé à symboliser le Congo et l’Océan qui le
berce ;
-Le Blanc devrait symboliser le Tchad et son
coton ;
-Le Vert allait représenter le Gabon et ses
forêts ;
-Le Jaune était le symbole de
Centrafrique et ses richesses
minières ;
-Le Rouge devrait représenter le sang versé par tous les
martyrs ;
-L’Etoile devrait par son symbole guider les pas du peuple noir
vers la liberté et l’émancipation.
Sur le même drapeau, l’index d’une main était pointé sur l’étoile
du MESAN.
AUTRES SIGNIFICATIONS DONNEES AUX MÊMES
COULEURS
Il convient de noter que plusieurs significations sont données aux
différentes couleurs de ce même drapeau, la plus répandue étant que :
-Les couleurs Bleu-Blanc-Rouge représenteraient le drapeau
français, l’ancien colonisateur ;
-Les couleurs Vert-Jaune-Rouge représenteraient les couleurs
panafricaines, du fait que la République Centrafricaine avait vocation à abriter
la Capitale des Etats Unis d’Afrique.
PROCLAMATION DE LA REPUBLIQUE
CENTRAFRICAINE
Les idées panafricaines du Président Barthélémy BOGANDA n’avaient pas suscité un grand
enthousiasme de la part des autres Etats
voisins.
Il a pour cela proclamé la création de la République Centrafricaine
pour le seul territoire de l’Oubangui en espérant néanmoins pouvoir encore convaincre les
dirigeants de l’Afrique Centrale.
L’Assemblée territoriale devient constituante et législative,
Barthélémy BOGANDA accède au poste de Président du Gouvernement.
Son cabinet formé le 06 décembre 1958 est composé de :
-
Abel GOUMBA aux
Finances,
-
David DACKO à
l’Intérieur,
-
Roger GUERILLOT à l’Economie et au
Commerce.
MISE EN PLACE DES INSTITUTIONS
Le Président BOGANDA met en place les institutions nationales avec
des empreintes particulières.
1-LE DRAPEAU :
Il contribue personnellement à son élaboration, le concevant initialement pour la Grande République
Centrafricaine, c’est-à-dire sous la forme de la Fédération de l’Afrique
Centrale.
2-LA DEVISE
Il l’énonce : UNITE, DIGNITE, TRAVAIL, en y attachant le principe « ZO KWE
ZO » qui signifie « tout être humain est une personne ou encore un
homme en vaut un autre ».
3-L’HYMNE NATIONAL
Il compose l’hymne
national : « LA RENAISSANCE ».
4-LA CONSTITUTION
Il détaille dans le préambule de la constitution du 16 février
1959, toutes les libertés publiques reconnues aux
Centrafricains.
ELECTIONS LEGISLATIVES DU 05 AVRIL 1959 ET MORT DU PRESIDENT
BOGANDA EN MARS 1959
Dans le cadre de la préparation des élections législatives prévues
le 05 avril 1959, le Président Barthélémy BOGANDA a établi lui-même les
listes des candidats en prenant soin d’intégrer dans chacune d’elles un
Européen.
Un évènement tragique va supplanter ces élections quelques jours
plus tôt, car en rentrant de
Berberati où il a présidé une cérémonie de présentation des nouvelles
institutions et du drapeau,
Barthélémy BOGANDA disparait dans un accident d’avion le 29 mars
1959.
IDEES DE BOGANDA EN AFRIQUE ET EN CENTRAFRIQUE DEPUIS
1959
1-
EN AFRIQUE
Le constat très net qui peut être établi en Afrique d’une manière
générale près de 60 ans après Barthélémy BOGANDA est qu’il était très en avance non seulement sur
son temps, mais également sur ses paires de la sous-région au point où ceux-ci
ne l’ont pas compris et suivi dans
ses idées panafricaines.
Aujourd’hui, les idées du Président BOGANDA sont considérées comme
le prélude indiscutable des divers regroupements ou ensembles africains d’une
manière générale et de l’Afrique Centrale en
particulier.
C’est notamment les cas des groupements
tels :
-l’actuelle Union Africaine (précédemment
OUA) ;
-le Projet des Etats Unis d’Afrique initié par le Colonel Kadhafi il y a quelques
années ;
- l’UDEAC, actuelle CEMAC ;
- la CEE, etc.
2- ABSENCE PARADOXALE
DES IDEES DU PRESIDENT
BOGANDA EN CENTRAFRIQUE
La République
Centrafricaine a hérité après son indépendance du résultat d’un grand travail
d’unité, d’égalité mené en son sein par son défunt Président fondateur
Barthélémy BOGANDA pour consolider la notion de nation attachée jusque là à la
simple appartenance à une possession coloniale. Ce travail a malheureusement été
abandonné, sinon simplement détruit par des considérations tribales, régionales,
au point où les atouts qu’il a
créés ont progressivement disparu.
Les régimes qui se sont succédé à la tête du pays n’ont pas poursuivi
les idées du défunt Président qui devraient être l’héritage de l’unité, de la dignité, du travail pour la
construction de la jeune nation centrafricaine à travers cinq verbes tirés de la
Bible, à savoir: INSTRUIRE, NOURRIR, SOIGNER, VÊTIR, LOGER, un programme tout
tracé qui aurait incontestablement fait de notre pays un « petit
paradis » grâce à sa langue nationale commune, ses valeurs morales,
intellectuelles, son éducation, ses cadres, ses forces militaires, ses immenses
richesses naturelles non encore entièrement découvertes, sa force de
production.
En recherchant malheureusement des objectifs contraires
à la cohésion de la population, à son épanouissement, en faisant recours à la
manipulation le plus souvent à des fins politiques, en utilisant le mensonge
comme moyen pour gouverner et en l’encourageant au sein de la population par la
délation sous forme de « fiches calomnieuses», les dirigeants du pays
l’ont enfermé dans un
incivisme dangereux dont la manifestation la plus visible s’est traduite par des crises récurrentes, la plus
désastreuse étant celle en cours de résolution.
Ils ont fait ainsi
preuve d’une imagination plus fertile pour détruire dans l’unique but d’accéder
et de se maintenir au pouvoir que pour
construire.
En créant consciemment
ou inconsciemment une culture d’incivisme, de division, d’exclusion, de
tribalisme, de haine gratuite, d’intrigues, de mensonge, de délation, devenue un
moyen d’ascension sociale, les dirigeants
ont fait de la République Centrafricaine un « pays de
mensonges ».
Ils ont été plus ingénieux pour nuire aux
intérêts de l’Etat, à ceux de leurs compatriotes, à les combattre le plus
souvent gratuitement par divers moyens pour les neutraliser, les anéantir
socialement, économiquement, politiquement, parfois par simple plaisir de voir
souffrir, d’effacer des noms et de se vanter d’être les seuls riches et les
seuls sur la scène politique.
Tout cela a non seulement pesé négativement sur le
développement du pays, mais créé
divers effets cumulatifs très dangereux ayant donné lieu à la crise la
plus destructrice de l’histoire du pays, objet du récent forum dont il sera
question dans un instant.
Or rien n’est plus dangereux pour une nation qui ne fait que
reculer, où les générations aussi bien présentes que futures sont dans le désespoir, car sans réelle
perspective d’avenir, où ce même désespoir se généralise au point où
certains regrettent d’en être les
enfants.
Avec
les idées de BOGANDA, notre pays s’était positionné il y a près de 60 ans pour devenir la locomotive de l’actuelle
sous-région.
Aujourd’hui, il est pratiquement un wagon tiré par des locomotives
représentant la même sous-région.
Sur le
plan économique, alors que nos ressources budgétaires étaient égales ou supérieures à celles de certains pays de
la sous-région, aujourd’hui, elles sont
lamentablement au moins 10, 20
fois plus faibles que celles de ces mêmes voisins, obligés parfois moralement de nous
assister.
Au fil
des décennies, l’unité nationale, 1er mot de notre devise, a volé en
éclats comme le témoigne aujourd’hui l’irresponsable volonté de diviser les
chrétiens des musulmans centrafricains ou à considérer ces derniers comme des Etrangers à chasser chassés du pays,
c'est-à-dire de leur pays.
La
dignité, valeur chère au Président -Fondateur Barthélémy BOGANDA s’est
envolée.
Le
travail qui aurait pu nous permettre d’être une nation forte et respectée fait
totalement défaut.
Tout
cela se situe à divers niveaux et en ce qui concerne présentement la diaspora,
notamment celle de France, ces
constats et rappels faits ici doivent créer en son sein une impérieuse prise de conscience car elle
constitue indéniablement un
recours à la fois comme ressources
humaines et financières pour éviter
au pays de sombrer totalement, de
disparaître.
Que Dieu bénisse notre
nation.
Emmanuel Olivier
GABIRAULT