Centrafrique : "Les enfants ont identifié 16 soldats violeurs". Enquête en cours, Paris promet des sanctions exemplaires

 

 

Propos recueillis par Olivier Pérou Le Point -- – http://www.lepoint.fr/monde/centrafrique-les-enfants-ont-identifie-16-soldats-violeurs-30-04-2015-1925263_24.php#xtor=CS3-190

 

À la tête de l'ONG AIDS-Free World, Paula Donovan s'est procuré le rapport confidentiel et l'a transmis au "Guardian". Interview.

Paula Donovan - © Alexis MacDonald AIDS-Free WorldBranle-bas de combat aux Nations unies et à l'état-major français. Un rapport confidentiel de l'ONU fait état de viols sur des enfants commis par des soldats français engagés dans le maintien de la paix en Centrafrique. Un document que l'ONU aurait préféré garder secret.

L'ONG AIDS-Free World, qui travaille sur les cas de viols et d'abus sexuels commis lors des missions de maintien de la paix, a pu se procurer le rapport et l'a étudié. La directrice de l'organisme, Paula Donovan, a décidé de transmettre le rapport au quotidien britannique The Guardian.

Le Point.fr : Que dit le rapport au sujet des soldats français?

Paula Donovan : Ce n'est pas uniquement un rapport, mais plus une série de témoignages. Le document contient les interviews de six enfants. Certains ont subi des sévices sexuels, certains des viols et d'autres racontent qu'ils ont été témoins de viols commis sur leurs camarades. On peut dénombrer une dizaine d'enfants victimes de ces actes. Les enfants ont identifié seize soldats violeurs. Ils expliquent avec détail les circonstances des faits, ce qui rend les propos très crédibles. Ils parlent de leur vie d'orphelins. La plupart vivaient dans la rue et étaient affamés. Quand ils ont vu les soldats français, ils sont allés à leur rencontre pour leur demander à manger et à boire. Les militaires leur disaient : "Tu auras à manger contre du sexe."

Quand avez-vous reçu le document et qu'avez-vous fait ensuite ?

J'ai reçu le document en avril. On a lu le rapport et on a travaillé dessus. Les gens devaient savoir ce qui se déroulait en Centrafrique. J'ai contacté The Guardian et je leur ai transmis le rapport. Je savais qu'une exposition médiatique des faits capterait l'attention de l'ONU.

L'ONU a suspendu Anders Kompass, le whistleblower qui a fait fuiter le rapport confidentiel. Qu'en pensez-vous ?

Ce qui m'inquiète le plus, c'est le sort de ces enfants en Centrafrique. Actuellement, on ne sait pas si les hommes qui ont commis ces crimes sexuels sont encore sur place. On ne sait pas quand ils seront appréhendés, et surtout s'ils le seront. Malheureusement, les Nations unies n'ont pas l'air de se préoccuper de ces questions-là. Leurs inquiétudes se portent sur cet homme qui a divulgué ce rapport accablant.

Qu'espérez-vous du gouvernement français ?

Je ne sais pas trop. Il faut attendre et voir. J'espère que les dirigeants français vont enquêter jusqu'au bout et que les responsables de ces viols seront amenés devant la justice.

Est-ce le premier rapport de ce genre ? D'autres cas d'abus sexuels sur des enfants ont-ils eu lieu lors de missions de maintien de la paix ?

Chaque année, le secrétaire général publie un document listant toutes les allégations d'abus sexuels. Il y a de nombreux cas, mais l'ONU ne fait rien, ou si peu. Cette situation dure depuis une vingtaine d'années. Les dirigeants des Nations unies adorent parler de leur politique de tolérance zéro sur ces questions. On voit des programmes de sensibilisation pour les Casques bleus, mais rien de plus. Cette histoire montre encore une fois qu'aucune réponse n'est donnée aux victimes. Et dans les pays d'où sont originaires les soldats des missions de maintien de la paix, le silence est roi. L'ONU n'est jamais informée des suites des procédures et personne ne sait ce que les coupables deviennent.

 

________________________________________________________________

 

 

Enquête en Centrafrique: Paris promet des sanctions exemplaires

 

PARIS (Reuters), 30 avril 2015 12h 43 - François Hollande a promis jeudi des sanctions "exemplaires" si les accusations d'abus sexuels visant des militaires français déployés en Centrafrique, qui font l'objet d'une enquête depuis juillet, étaient avérées.

Une enquête préliminaire a été ouverte l'été dernier sur la base d'un document des Nations unies faisant état d'abus sexuels présumés sur une dizaine d'enfants entre décembre 2013 et juin 2014 dans le camp de réfugiés de l'aéroport de M'Poko, à Bangui.

Quatorze militaires français seraient concernés, a-t-on indiqué à Reuters de source judiciaire.

Le ministère de la Défense a pour sa part ouvert une enquête interne, dite "de commandement".

Invité à réagir en marge d'un déplacement à Brest, François Hollande s'est voulu très prudent mais a promis d'être "implacable" si les enquêtes concluaient à une culpabilité.

"Si ces informations sont confirmées par les enquêtes judiciaires et par l'enquête de commandement, alors, à ce moment-là, et par la justice et par l'autorité militaire, il y aura des sanctions qui seront à proportion des faits qui seront constatés, et si c'est grave, les sanctions seront graves", a-t-il dit à la presse. "Elles devront être exemplaires."

"Que des militaires, dans le cadre d'une opération de l'Onu puissent éventuellement, si c'est confirmé, se comporter en prébendiers puisque c'est de cela qu'il s'agit, il y aurait là forcément des décisions très graves", a-t-il ajouté.

Le chef de l'Etat a souligné qu'il ne voulait pas voir l'image des armées françaises souffrir de possibles abus.

"Vous savez la confiance que je porte aux armées, le rôle que les militaires français jouent dans le monde (...) Aucune tache ne doit écorner leur uniforme", a-t-il dit. "Je suis fier de nos armées et donc implacable à l'égard de ceux qui se sont mal comportés, si c'est le cas en Centrafrique."

L'armée française est déployée depuis décembre 2013 en Centrafrique dans le cadre de l'opération Sangaris, en appui de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique (Misca).

Lors d'un point presse, l'armée s'est défendue d'avoir gardé le silence sur l'enquête ouverte le 31 juillet 2014.

"Depuis neuf mois la justice a donc été saisie (...). Les armées n'ont pas rendu publics ces événements tout simplement parce que dès lors que la justice est saisie, une prise de parole serait faire entrave à son travail", a dit son porte-parole, le colonel Gilles Jaron.

"C'est pour ça que nous gardons le silence et que nous laissons le temps à la justice de dire ce qu'il en est réellement. Bien évidemment, si ces faits étaient avérés, ils vont totalement à l'encontre de nos valeurs."

"Si ces faits étaient avérés, les sanctions les plus fermes seraient prononcées à l'égard des responsables."

(Gregory Blachier, avec Emmanuel Jarry et pool à Brest, édité par Sophie Louet)