La transition en
Centrafrique :
Une fin de règne
délétère !
Le Forum national
de Bangui, commencé le 4 mai
Dans un discours
sans relief, le chef de l’Etat de la transition a décliné les trois
recommandations, importantes à ses yeux, prises à l’issue de ce conclave d’une
semaine :
·
Signature d’un
engagement de désarmement, démobilisation et réinsertion entre le gouvernement
de transition et les groupes armés ;
·
La prolongation de
la transition pour une nouvelle période de six mois à partir du 17 août
2015 ;
·
L’organisation
d’élections présidentielles et législatives, libres et transparentes d’ici à la
fin décembre 2015.
Elle s’est engagée
en outre à mettre rapidement en place un Comité de Suivi des Actes du Forum
National de Bangui (CSA – FNB).
Deux évènements
marquent à notre sens les limites de cet exercice
d’autosatisfaction.
Le premier
évènement est l’absence du président congolais Denis Sassou Nguesso. Ayant
présidé l’ouverture du Forum national de Bangui, le parallélisme des formes
aurait voulu qu’il en clôture les travaux. Etant absent, les accords paraphés ne
portent pas sa signature. Ils ne l’engagent donc
point.
Le second
évènement est de même nature et s’attache à l’autre absent du jour, le président
tchadien Idriss Déby Itno, président en exercice de la communauté économique des
Etats de l’Afrique centrale (CEEAC), l’organisation régionale qui soutient
financièrement les autorités de la transition et qui sera appelée à valider ou
non le projet de prolongation de celles-ci.
Ces deux absences
notables limitent singulièrement la portée des décisions prises à Bangui,
lesquelles semblent en retrait par rapport aux accords de Libreville du 11
janvier 2013 instituant les organes de la transition en Centrafrique, et aux
accords de cessation des hostilités signés à Brazzaville en juillet
2014.
Les chefs d’Etat de la CEEAC se réuniront
ce lundi 25 mai 2015 pour se concerter. Espérons que le Saint Esprit leur
insufflera les bonnes décisions.
1 – Les limites de
l’autosatisfaction.
-
Le contrat de
désarmement, démobilisation et réinsertion signé entre le gouvernement de
transition et les groupes armés liés aux rebelles de l’ex-Séléka et les milices
des anti-Balaka, n’emporte pas l’adhésion totale des parties prenantes à la
crise centrafricaine. En l’absence des principaux protagonistes de cette crise,
François Bozizé et Michel Djotodia, les factions qui leur sont respectivement
liées se sont désistées. Du côté des ex-Séléka, le DDR ne comporte pas la
signature des groupes politico-militaires animés par Nourredine Adam, Abdoulaye
Miskine ou Sabone. Du côté des anti-Balaka, l’accord se restreint à la seule
signature du nommé Patrice N’Gaïssonat, dont on sait désormais qu’il ne
représente que lui-même.
-
La prolongation de
l’actuelle transition au-delà de l’échéance du mois d’août 2015, voulue
semble-t-il par la classe politique centrafricaine unanime, n’est pas acquise.
Cette proposition doit en effet être entérinée au préalable par les Chefs d’Etat
de la CEEAC. On voit mal ces derniers accorder un nouveau mandat de 6 mois à Mme
Samba-Panza, c’est-à-dire prolonger la transition jusqu’en février 2016, sans
garantie, alors que la feuille de route de la transition n’a pas été respectée,
malgré les recommandations et injonctions réitérées du Groupe international de
contact sur la RCA. Sans attendre la consultation des chefs d’Etat de la CEEAC,
le président du Conseil national de la transition (CNT) a déjà fait connaître
ses réserves. Il ne se ralliera au principe d’une nouvelle prolongation de bail
qu’à la condition d’un chronogramme précis du processus électoral présenté par
l’Autorité nationale des élections !
-
L’organisation des
élections libres et transparentes est la mesure emblématique de la feuille de
route du gouvernement de transition depuis janvier 2014. Or l’ANE est loin de garantir la
lisibilité de cette procédure, sa visibilité et sa viabilité, arguant sans cesse
d’un manque de moyens financiers. Cet argumentaire vient d’être battu en brèche
par le directeur général de l’office national de l’informatique (ONI) qui, dans
une correspondance rendue publique ce lundi 18 mai 2015 par le journal Le
Confident, estime que les prétentions financières mises en avant par le
président de l’ANE sont exagérées. On voit d’ailleurs mal l’autorité nationale
des élections organiser des scrutins présidentiel et législatif d’ici quatre
mois, alors qu’elle a été en incapacité de le faire depuis son installation en
juin 2014. Sauf à se résoudre à l’organisation successivement d’élections
présidentielles et législatives au suffrage universel indirect, la
recommandation liée à l’organisation des élections d’ici la fin d’année ne
pourra pas être tenue.
2 – En finir une
fois pour toutes avec la transition.
La prolongation de
la transition jusqu’en février 2016, n’aura aucun impact positif sur le cours
des évènements en Centrafrique. Nous l’avions déjà signalé en juillet dernier et
les faits nous donnent raison. En conséquence de quoi, la demande de
renouvellement du mandat de Catherine Samba-Panza relève de l’autopromotion.
En effet, la bonne
tenue du Forum national de Bangui relève d’un simple succès d’estime, la
communauté internationale n’ayant pas intérêt à perdre la face. Car, tout bien
considéré, le bilan politique de la mandature de madame Catherine Samba-Panza
depuis son élection en janvier 2014 par le Conseil national de la transition
(CNT) est globalement négatif.
-
Sur le plan de la
sécurité et de l’ordre public, le calme relatif actuel n’est que temporaire et
doit beaucoup à la présence effective sur le terrain des forces internationales.
Déjà des velléités de résurgence d’actes de banditisme ont fait jour dans la
région de Kaga-Bandoro, dans le nord-est du pays, où les rebelles n’ont pas
encore désarmé. Ainsi, huit personnes ont encore été tuées dans la nuit de
vendredi 15 au samedi 16 mai 2015, et plusieurs autres blessées dans trois
localités de cette région. Il est à craindre que le désarmement des différentes
factions réserve encore quelques surprises, malgré la signature d’un accord de
« pré-DDR » !
-
Sur le plan
strictement politique, les nouvelles ne sont pas rassurantes non plus.
L’unanimisme de la classe politique traditionnelle pour une prolongation de la
transition en cours est un cache-misère. Les partis politiques en présence sont
tenaillés par la peur du vide, n’ayant aucun projet d’envergure à proposer pour
sortir de la crise par le haut, sauf à invoquer la présence tutélaire des
bailleurs de fonds internationaux. Conscient de cette fragilité, déjà le pouvoir
en place se radicalise et réunit les conditions matérielles et juridiques de sa
dérive totalitaire. En avril dernier, le ministre de la sécurité publique
faisait interpeller, à l’aéroport de Bangui-M’Poko, le candidat déclaré à la
présidentielle Michel Amine, pour détention et usage de faux passeports. On
apprend aujourd’hui que le même ministre a interdit la sortie de territoire et retiré leurs
passeports à MM. Karim Meckassoua, ancien ministre du président François Bozizé,
Joseph Kokaté, ministre conseiller à la Primature, Mahamat Ousmane Mahamat, un
ancien membre du cabinet de Michel Djotodia, tous accrédités pour participer au
Forum national de Bangui. En ce qui concerne le capitaine Eugène Ngaïkosset,
jusqu’alors incarcéré à Brazzaville et livré aux autorités de Bangui le mardi 12
mai dernier, il aurait réussi à s’évader des locaux de la SERD où il était
détenu. Voire ! L’ancien homme de main du président François Bozizé
s’est-il réellement évadé ou bien a-t-il été enlevé et connaîtra-t-il le même
sort qu’un certain Charles Massi ? Le dernier aspect de cette
radicalisation est plus insolite. le ministère de la sécurité publique aurait
commandé en février 2015, auprès de la société française COFREXPORT,
l’acquisition de matériels d’écoute et de surveillance à distance pour un
montant minimum de 20 millions d’euros, soit près de 14 milliards de francs CFA,
dont 40 % payables à la commande ! Au regard de cette somme, il convient de
noter que la masse salariale mensuelle de la fonction publique centrafricaine
s’élève à 2,7 milliards de francs CFA. Excusez du peu ! Ce contrat de gré à
gré, conclu en dehors de toute procédure de consultation et d’appel d’offres des
marchés publics, lierait l’Etat centrafricain jusqu’en 2018 ! Pourquoi
faire et pour surveiller qui ?
-
Sur le plan
budgétaire, la pratique ci-dessus traduit la désinvolture avec laquelle le
gouvernement de transition gère les maigres ressources financières mises à sa
disposition par « les pays frères » et la communauté internationale.
Indépendamment du milliard évaporé du don angolais, qui fit couler tant d’encre
et de salive il y a quelques mois, un autre scandale se profile à
l’horizon : 600 millions destinés à l’organisation du Forum national de
Bangui auraient été distraits! Ce ne peut-être qu’une fâcheuse rumeur, le
gestionnaire comptable du comité technique d’organisation du forum étant le
directeur général du Trésor public centrafricain. Nous avions déjà dénoncé cette
confusion des genres à la veille du Forum. En effet, cet ancien ministre délégué
à la présidence chargé de la Bonne gouvernance sous François Bozizé, avait
naguère été impliqué, avec un autre membre du gouvernement d’alors, dans un
détournement d’un prêt indien de 16 milliards de francs CFA, obtenu par le
gouvernement centrafricain en 2010, fonds destiné à la création de la société
centrafricaine des transports urbains de Bangui (SONATU) ainsi qu’à la création
de la première cimenterie du pays. En somme, un homme au-dessus de tout
soupçon !
En face de ces
trois considérations, prolonger le mandat de Mme Catherine Samba-Panza dans ces
conditions serait faire preuve de cynisme, à moins de courir le risque d’une
accusation pour complicité objective de détournement de fonds, d’abus de bien
social et de non-assistance à population en danger.
C’est pourquoi, au
lieu d’un comité de suivi des recommandations du Forum de Bangui, destiné à
caser les amis du pouvoir, nous aurions préféré un véritable Comité de pilotage
de 5 à 7 personnes, dit Comité de Salut Public, ayant la haute main sur les
domaines régaliens de l’Etat.
Au plan
diplomatique, un signe ne trompe pas : l’absence de l’ensemble des chefs
d’Etat de la communauté économique et monétaire en Afrique centrale (CEMAC) à la
clôture du Forum national de Bangui et, inversement, la non présence du chef de
l’Etat de la transition à la 12èsession ordinaire des chefs d’Etat de la CEMAC
le 6 mai 2015 à Libreville (Gabon).
Le divorce semble
être consommé entre Catherine Samba-Panza et ses pairs de la CEMAC.
La France aurait tort de continuer à lui témoigner sa
confiance.
Paris, le 21 mai
2015
Prosper
INDO
Haut-commissaire
du CNR