La transition se prolonge et
s’incruste.
Lors de son intervention à la
Conférence des bailleurs de fonds réunis à Bruxelles, la capitale belge, les 26
et 27 mai 2015, le chef de l’Etat de la transition en République centrafricaine
s’est longuement appesantie sur le processus électoral dans notre pays : « Nous comptons sur les
bonnes volontés pour donner les financements nécessaires pour l’organisation des
élections ».
Selon ses calculs, « 17 millions
de dollars manquent pour l’organisation des élections ». A ce titre, les
élections auront lieu d’ici la fin d’année 2015 si ces fonds étaient
obtenus.
Comment dire pudiquement que les
élections ne sont pas la priorité du moment ?
1 - L’esprit de La Baule.
C’est en 1986, à l’occasion de la
rencontre France-Afrique de La Baule que le président français François
Mitterrand a lié l’aide publique au développement (APD) à l’exigence de la démocratie en Afrique
noire francophone.
Les Etats africains du pré-carré
rivaliseront de zèle pour élaborer des constitutions fixant les règles de
l’alternance au pouvoir, adopteront des mécanismes de consultations populaires
en instaurant des commissions électorales indépendantes sensées extraire les
élections de l’arbitraire des régimes au pouvoir, afin d’assurer transparence et
équité.
A lui seul, le livre de l’ancien
ministre socialiste Koffi Yamgnane, « Afrique : la démocratie
introuvable », a démontré l’extravagante prétention de cette démarche.
Entre corruption et tribalisme, clientélisme et intimidation, le système
électoral africain a été totalement dévoyé : urnes bourrées, listes
électorales fantaisistes, fraudes massives permettent à tous les autocrates et
putschistes d’accaparer le pouvoir et de perdurer.
En Afrique noire francophone, les
scrutins électoraux sont donc considérés comme un caprice, une danseuse du
ventre choyée par les Occidentaux.
Ces derniers doivent donc en payer le prix. Dès lors, tous les
subterfuges sont mis en œuvre pour que les bailleurs de fonds internationaux
supportent le coût de ces scrutins. En l’occurrence, le proverbe africain est
formel : « Qui dit bonjour madame, dit au revoir
l’argent ».
2 – Une fuite en avant éperdue.
C’est ainsi qu’en 2010, le président
François Bozizé fit les pires difficultés pour organiser les élections
présidentielles et législatives. A l’époque, celui-ci évoquait déjà le manque d’argent pour
l’organisation des scrutins. La France et l’organisation internationale de la
francophonie (OIF) apportèrent leurs concours logistiques et financiers.
François Bozizé fut réélu et réussi à envoyer 25 membres de sa propre famille à
l’Assemblée nationale, les fraudes massives aidant.
La durée de la mandature étant de 5
ans, conformément aux dispositions de la constitution élaborée et promulguée par
ses soins en décembre 2004, François Bozizé et ses séides savaient qu’il leur
appartiendrait d’organiser des consultations générales en … mars 2016, au plus
tard. Ils devaient donc se préparer à cette échéance, et, en conséquence,
prévoir le budget de cette consultation.
N’est-ce point l’une des missions d’un ministère de l’Intérieur ou de
l’administration du territoire ?
Il n’en fut rien puisque le président
sortant tenta fin 2012, par le biais d’un projet de réforme de la constitution
par la voie parlementaire, de conditionner l’organisation de ces élections à la
validation de sa propre candidature pour briguer un 3ème
mandat ; ce que lui interdisait « sa » constitution. Cette
propension à contourner les procédures fut la raison du coup de force des
rebelles de l’ex-Séléka. Ils prirent d’assaut Bangui le 15 mars 2013 et Michel
Djotodia s’autoproclama président !
En arrivant au pouvoir en janvier
2014, Catherine Samba-Panza savait qu’elle était tenue d’organiser ces mêmes
élections, la feuille de route de la transition étant très explicite à cet
égard.
On invoqua d’abord l’insécurité
généralisée, puis l’absence de listes électorales fiables, la destruction des
registres d’état-civil, ensuite le manque de moyens logistiques, voire le
difficile recensement des déplacés et réfugiés, avant d’évoquer finalement
l’obstacle financier. Même la saison des pluies était perçue comme un obstacle
insurmontable à l’organisation des élections générales, dans un pays où toutes
les ONG et les troupes de l’ONU roulent en 4 X 4 ! L’Angola n’a-t-il pas
offert récemment 150 pick-up à la RCA, après l’obole de 20 milliards de dollars
de crédits ? L’UNICEF ne vient-elle pas d’offrir 100 motos tout terrain à
l’Etat centrafricain ? On se demande pourquoi, alors que la problématique
de cette organisation est l’assistance et la protection de l’Enfance.
Nous avons toujours présent à l’esprit la
démarche entreprise par l’un des conseillers du chef de l’Etat de la transition
auprès de l’émir d’un pays du golfe arabique, réclamant les moyens d’acquérir
150 moto-cross ! Les autorités de la transition semblent demeurer dans la
même logique, comme si elles préparaient un mauvais
coup.
Même la France, à travers son
ambassade à Bangui, y est allée de sa participation. Elle a doté les préfectures
et sous-préfectures d’une centaine de Smartphones, afin de renforcer la capacité
de communication des autorités locales avec les autorités centrales et les
forces multinationales.
Pour conjurer le mauvais sort, la
Minusca va plus loin. Elle vient de créer une « cellule spéciale »
pour sécuriser les élections. Tout cela serait
vain ?
3 – Le monde inverti de Christopher
Priest.
C’est qu’à chacune des étapes
énumérées ci-dessus, les bailleurs de fonds ont « craché au
bassinet », pour employer une litote vulgaire. Rien n’y fait, l’écart entre
les fonds récoltés et le budget espéré ne fait qu’accroître. A ce jour, il
manquerait donc environ 20 millions
de dollars pour résorber le gap.
Il faut se rendre à l’évidence, ces
exigences folles sont exagérées. Le directeur de l’Office national de
l’informatique vient de vendre la mèche, en dénonçant le système opaque mis en
place par l’Autorité nationale des élections (ANE). Dans cette affaire, l’ANE se
conduit véritablement comme un âne. Au lieu de regarder l’autre bout du pont à
franchir, elle regarde le fond du ravin et pile.
Au royaume des corrompus, la capacité
d’absorption du système a ainsi atteint ses limites. Comme une éponge qui
sature, il y a refoulement.
Les autorités de la transition, dont
le mandat vient de faire l’objet d’une mesure « technique » de
prolongation, n’ont plus d’alternative. Il leur faut conduire le pays aux
élections d’ici au 17 décembre 2015 : soit organiser un scrutin
présidentiel crédible au suffrage universel indirect en faisant voter les
quelques 10.000 Grands Electeurs, soit risquer des élections générales au
suffrage universel direct contestables.
Compte-tenu des retards déjà
accumulés, d’aucuns pronostiquent désormais mars 2016 comme date d’une élection
générale souhaitable. Il s’agit sans doute des nostalgiques de la présidence de
François Bozizé, qui aimeraient boucler la boucle. Certains commencent en effet
à lier le sort des élections à la mise en œuvre du programme DDR : les
milices anti-Balaka, qui se divisent de plus en plus, n’hésitent pas à faire le
feu contre les forces internationales. D’autres conditionnent ces élections au
déploiement des anciennes forces armées centrafricaines (FACA). Ils ont tort.
Ces conditionnalités sont une fuite éperdue dans le temps, à l’exemple du train
parcourant « le Monde inverti » de Christopher Priest. A l’approche de
l’horizon, ce qu’on prenait pour une montagne se révèle n’être qu’un vallon!
C’est une illusion, un mirage.
4 – Entre vitesse et
précipitation.
Pris dans la tourmente, le
gouvernement de transition cède à la tentation de vouloir tout faire très vite,
et tire plus vite que son ombre.
Il s’est ainsi précipité pour faire
publier le décret de nomination des 24 membres du Comité de suivi des
recommandations du Forum national de Bangui.
Patatras !
Par manque de chance ou défaut de
compétences, le décret n° 15202, signé de la main du chef de l’Etat de la
transition, ne comporte que 21 noms sur 24. Il y manque le nom des deux
représentants de la communauté internationale ainsi que celui du représentant de
la diaspora centrafricaine ! Il faudra donc, le moment venu, édicté un
additif.
L’exemple du décret rapporté, fixant
la composition de la Coordination technique de préparation du Forum, n’aura pas
servi. C’est ballot !
Tout aussi consternant est l’annonce
de la création, au sein de ce comité de suivi déjà incomplet, d’une instance
restreinte de cinq personnalités capable de décider rapidement. Cette structure
ne fait pas partie des instances négociées ab initio. Cette annonce provoquera
d’inutiles frustrations et crispations. On se doute bien qu’il s’agit de placer
des comparses à la maneouvre.
Autre illusion, mais portée celle-là
par l’atelier thématique sur la gouvernance, la création dans le cadre du projet
de la prochaine constitution, d’une Haute Autorité de la bonne gouvernance.
Cette dernière instance aurait pour rôle d’être « la sentinelle du respect,
par les différents dirigeants et les différentes institutions et grands services
de l’Etat, des principes de la bonne gouvernance », à lire l’ancien
ambassadeur et ancien ministre de François Bozizé, Jean
Willybiro-Sako.
C’est oublier bien vite qu’un
empilement de briques ne constitue pas un
gratte-ciel.
Il existe déjà un Contrôle général de
l’Etat dont c’est la mission, et qui ne sert à rien en l’espèce. La Haute
Autorité de la bonne gouvernance sera un nouveau comité Théodule qui aura une
existence tout aussi virtuelle.
Comme il est dit en France :
pour enterrer un problème, il suffit de créer une
commission !
Paris, le 4 juin
2015
Prosper
INDO