Le Forum national
de Bangui doit être utile.
Le Forum national de Bangui, qui
devait se tenir du 27 avril au 2 mai 2015, est reporté d’une semaine. Le chef de
l’Etat de la transition aurait pris cette option pour permettre au Médiateur de
la crise centrafricaine, le Président congolais Denis Sassou Nguesso, d’être
présent. Les premières dates avaient donc été fixées sans consulter ce
dernier ? C’est ballot !
En mettant ses
pas dans ceux de ses prédécesseurs et en les imitant jusqu’à la caricature, le
chef de l’Etat de la transition n’a pas fini de naviguer à vue. Elle subit les
évènements plus qu’elle ne les commande. Comme par ailleurs le gouvernement
travaille dans l’opacité, ne suscitant que la participation de ses familiers et
obligés, il ne peut soulever ni la confiance ni l’enthousiasme des citoyens. Le
dialogue qui se prépare risque donc d’être un échec, comme tant d’autres
conférences nationales auparavant, car il s’inscrit dans un quant-à-soi entre
professionnels de la combine politique.
C’est sans doute
dans cet esprit que les consultations populaires à la base ont donné lieu à un
rapport édulcoré par le cabinet présidentiel avant d’être rendu public. On
passera sur l’épisode malheureux des décrets
rapportés.
1 – Est-il vrai
que la transition en appelle à l’Organisation de la conférence islamique
(OCI) ?
Aujourd’hui, une
autre menace pèse sur la tenue du Forum national de Bangui : l’ombre portée
de l’Organisation de la conférence islamique (OCI). Il paraît que les autorités
de la transition ont fait appel à
l’Organisation de la conférence islamique (OCI) pour assurer le financement
intégral de l’évènement, estimé à 55 millions de francs CFA (736 000
€).
Si cette
information se vérifie, alors les dés sont pipés à l’avance. On comprend donc
l’affirmation prémonitoire de l’ex-président démissionnaire Michel
Djotodia : « Mon retour se fera, et par des moyens pacifiques, au
moment opportun, en accord avec la communauté internationale, afin de favoriser
la paix et de rassembler le peuple centrafricain », avait-il déclaré au
journaliste Sébastien Michaux, du quotidien français l’Est
Républicain.
On comprend
également l’énigme de la rencontre de Nairobi au Kenya, organisée à l’initiative
du Médiateur de la crise
centrafricaine. Outre le fait d’avoir permis aux présidents déchu et
démissionnaire, François Bozizé et Michel Djotodia, de se parler en vis-à-vis,
la rencontre de Nairobi a débouché sur un protocole d’accord pour le moins
surprenant et des points d’accord irréalistes.
On ne discutera
pas du bien-fondé des propositions avancées, elles font peu cas du peuple
centrafricain, de sa situation et de ses attentes, comme nous l’avions déjà
indiqué dans notre article du 30 janvier 2015 : « entre fausses pistes
et bons stratagèmes ». Nous réitérons ici notre propre suggestion, n’ayant
pas été coopté parmi les heureux participants à ce futur forum
national.
2 – Les cinq
fausses pistes du Forum national de Bangui.
Partant du
principe que « les origines et les causes profondes des conflits
politiques et armées sévissant en RCA, émanent des injustices historiques non
contestées liées à la mauvaise gouvernance, à la répartition inéquitable du
développement, et à la manipulation des dirigeants et des populations de la
République centrafricaine par des acteurs étatiques et non étatiques externes en
quête de leurs propres intérêts », les signataires de l’accord de Nairobi
ne sont responsables de rien, ils n’ont fait qu’obéir à des forces exogènes
qu’ils n’ont pas vu venir !
En ce qui nous
concerne, les tenant au contraire pour responsables de la misère du peuple et de
la décadence de la RCA, nous attirons l’attention sur les cinq fausses pistes
qui risquent d’induire en erreur les participants au Forum national de
Bangui.
-
La première
fausse piste consiste à avancer l’idée que la RCA est en crise depuis sa
création. Ceci est faux. Les régimes qui se sont succédés méritent tous examen
et chacun ne doit être jugé que sur ses propres tares ou
réussites.
-
La seconde
fausse piste vise à établir la règle selon laquelle chaque région doit être
représentée au gouvernement. C’est la thèse de l’équilibre régional ou ethnique,
laquelle est la négation même de l’idée de Nation, une et indivisible. C’est
pour donner naissance à ce sentiment d’appartenance à une seule et même
communauté que le régime du président David Dacko a, dès 1963, institué le
principe des ministres-résidents ; chaque membre du gouvernement étant
représentatif de l’ensemble de l’exécutif dans une région autre que la sienne,
de naissance ou d’origine.
-
La troisième
fausse piste est celle de l’équilibre « sociologique » des forces
armées centrafricaines. Elle s'énonce comme il suit : « la
réhabilitation et la restructuration de nouvelles forces de sécurité nationales
de la République centrafricaine,
dotées d’une nouvelle structure de commandement et de contrôle, et composées
d’effectifs équitables des ex-combattants éligibles des Parties au présent
accord [de Nairobi], des membres de l’actuelle armée de la RCA, ainsi que de
nouvelles recrues qualifiées à partir des populations civiles de la République
Centrafricaine, ayant l’aptitude et les qualifications requises ». Derrière
ce jargon, il s’agit de créer une armée de métier où les protagonistes de la
crise actuelle – ex-Séléka et anti-Balaka – éliront leurs ayant-droits. Cela ne
se peut, l’engagement dans l’armée doit rester un acte fort, individuel et
volontaire.
-
La quatrième
fausse piste est représentée par l’exigence totémique des consultations
électorales au suffrage universel direct. Un homme, une voix. C’est l’idéal en
démocratie lorsque toutes les conditions matérielles requises pour solliciter la
participation des populations sont réunies et consolidées. Telle n’est pas la
situation actuelle de la RCA où l’Etat est en faillite. A circonstances
exceptionnelles, mesures exceptionnelles : il faut créer et faire voter au
suffrage universel indirect, un collège de grands Electeurs constitués par les
chefs de terre, chefs de groupe, chefs de village. Ils sont plus de 5.700. C’est
un échantillon plus représentatif de la population civile que l’actuel Conseil
national de transition (CNT). Ils pourront valablement en connaissance cause
élire un président de la République dont l’installation interviendra au plus
tard le 16 août 2015.
-
La cinquième
fausse piste est constituée par la menace de la partition de la République
centrafricaine brandie par les ex-Séléka au Forum de Brazzaville ou la tentation
de « faire bande à part » évoquée par Michel Djotodia. Le premier
réflexe est de rejeter cette proposition en s’abritant derrière les résolutions
de l’OUA de 1963 selon lesquelles « les frontières héritées du colonialisme
sont intangibles ». L’heure est venue de laisser le peuple se déterminer.
L’occasion est donnée de soumettre notre pays au référendum sur ce sujet dans le
cadre de la nouvelle constitution. Que ceux qui ne souhaitent pas rester dans la
République s’en aillent, si c’est la solution qu’ils ont trouvé pour prétendre à
un poste ministériel ou accéder à la tête d’un
Etat !
Pour être utile,
le futur Forum national de Bangui doit se poser les bonnes questions et adopter
les meilleurs stratagèmes.
3 – Les
stratagèmes de la réussite.
La bonne
stratégie consiste à réunir les propositions qui, en dehors de tout jugement de
valeur sur les hommes et les femmes, permettront à la République Centrafricaine
de rebondir. Les discussions doivent se nouer autour de sujets précis et
recentrer les débats à venir sur les seules questions du moment : la
sécurité, la justice, l’organisation de l’Etat.
Pour cela, le
principe d’un audit global de la transition (décembre 2012 – août 2015), devra
être édicté dès l’amorce des débats. Il s’agit d’effectuer, sous le contrôle et
en partenariat avec l’ONU, un état
des lieux précis de la situation de la République centrafricaine, au plan de ses
finances publiques et de ses possibilités
budgétaires.
Une fois établi,
cet audit permettra d’engager les bons stratagèmes de sortie de crise
ci-après :
-
Le premier
stratagème est celui de la sécurité. La problématique posée par le
rétablissement de la sécurité et de l’ordre public sur toute l’étendue du
territoire exige en priorité le démantèlement de tous les groupuscules armés. Il
ne s’agit plus de trier le bon grain de l’ivraie. Tout groupe armé, différent et
exclusif des forces nationales de sécurité nationales doit être dissous, de
manière volontaire et unilatérale ou par la force armée en application de la
résolution 2149 du Conseil de sécurité des Nations Unies. Une loi-cadre sera
préparée en ce sens. Le chef d’Etat qui sera élu, en sa qualité de chef suprême
des armées centrafricaines, devra s’y engager et se préparer à la confrontation.
L’armée nationale centrafricaine sera reconstituée à partir des éléments loyaux
et non déserteurs de FACA. Sa doctrine et ses nouvelles missions seront fixées
par une loi de programmation militaire. La sécurité publique sera confiée à la
police et à la gendarmerie nationale, respectivement dans les zones urbaines et
en milieu rural. Ces forces, y compris la douane et la jeunesse pionnière
nationale, seront armées dans les conditions fixées par une loi, en partenariat
et sous le contrôle des forces internationales dépêchées en
Centrafrique.
-
Le second
stratagème est celui de la justice. On glose depuis un an au moins, et les
autorités de la transition ne s’en privent pas, sur le principe de l’impunité.
Le problème de la République centrafricaine n’est pas celui de l’impunité, celle
des puissants qui échapperaient aux sanctions pénales, au contraire du simple
citoyen qui y serait assujetti,
corps, âme et biens. La problématique est celle de la justice qui n’est
pas rendue, ni au fort ni au faible, parce que la justice a été
« privatisée » : les avocats négocient avec les juges, contre
espèces sonnantes et trébuchantes, les conditions du règlement des différends
et contentieux, lorsque ce n’est
pas le pouvoir qui délivre des « lettres de cachets » contre de
supposés fauteurs de trouble. La justice en RCA exige deux principes clairs et
forts de la part des congressistes du Forum national de Bangui : le rejet
de toute procédure d’amnistie générale, et la création d’un tribunal pénal
spécial pour juger des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité au vue des
exactions commises par les rebelles et miliciens contre les populations
civiles.
-
Le troisième
stratagème concerne l’organisation de l’Etat et sa gouvernance. Il faut ici
encore aborder la question centrale de l’unité et de l’indivisibilité de la
République centrafricaine. La stratégie en cette matière est simple : ou
bien le refus de toute sédition, dans le respect des résolutions
internationales, ou bien l’ouverture d’un processus de consultation populaire.
Les préfectures ou régions qui voteraient pour la partition prendraient leur
responsabilité de quitter l’enceinte de la RCA. Il ne faut pas avoir peur de la
séparation et s’en faire l’esclave : en prônant la partition, les tenants
de la « République du Dal El Kouti », nostalgiques du sultanat de
Rabah et Senoussi, savent bien sous quel maître ou férule ils préfèrent être
administrés. La République peut faire la guerre pour consolider son impérium.
Elle peut tout aussi bien faire preuve d’intelligence en posant à l’occasion de
ce forum la question de l’unité nationale. Un référendum viendra sceller la
décision prise. Par la même occasion, il faudra envisager la question de la
gouvernance de l’Etat centrafricain. Dans sa configuration actuelle, cette
organisation reconstitue les pseudos limites des zones tribales supposées. Les
16 préfectures existantes ne répondent pas aux exigences contemporaines de
grands pôles de développement susceptibles de créer des « économies
d’échelle ». L’organisation de la RCA doit être revue sur la base de 5 ou 6
régions, et sa gouvernance fondée sur d’adoption de mécanismes et procédures de
déconcentration budgétaire et de décentralisation
administrative.
Tout cela, nous
l’avons déjà écrit et proposé, dès le 30 janvier 2015. Nous nous
répétons !
Pour que le Forum national de Bangui soit
utile, il faut aller à point nommé :
-
Modifier la
Charte constitutionnelle de transition dans les sens et conditions envisagés
ci-dessus ;
-
Elire au scrutin
universel indirect un nouveau Président de la République, comme le laisse
envisager également le dernier rapport du Secrétaire général de l’ONU du
1er avril 2015 en son paragraphe
II-B-18 ;
Paris, le 23
avril 2015
Prosper
INDO
Haut-Commissaire du
CNR.