Crispin
Dembassa-Kette/IRIN - Un commandant anti-balaka en compagnie de ses
hommes.
GOMA,
19 May 2015 (IRIN) - La République centrafricaine (RCA) peut-elle tourner la
page sur des décennies d’instabilité et de conflits ?
Plusieurs groupes
rebelles et milices ont signé un nouvel accord de paix visant à mettre derrière
eux les violences qui ont marqué les dernières années.
En mars 2013, la
Séléka, une coalition de groupes d’insurgés à majorité musulmane originaires du
nord du pays, a pris le pouvoir lors d’une campagne marquée par des exécutions
arbitraires, des viols et des pillages.
L’arrivée des rebelles à Bangui a
entraîné la réapparition des groupes d’autodéfense – ou anti-balaka – et donné
lieu à plusieurs mois d’affrontements entre les communautés
rivales.
Voir : Briefing: Qui sont les anti-balaka de
la RCA ?
En septembre 2013, Michel Djotodia, le
chef de la Séléka, a déclaré la dissolution de l’alliance. Les combattants,
désormais connus sous le nom d’ex-Séléka, se sont cependant dispersés dans la
campagne et ont continué de commettre des violations massives des droits des
civils.
M. Djotodia a quitté ses fonctions en janvier 2014 afin de
permettre l’établissement d’une administration civile intérimaire. La mairesse
de Bangui Catherine Samba-Panza, une personnalité neutre, a été choisie pour
gouverner le pays jusqu’aux élections présidentielles et parlementaires de
2015.
Les violences ont fait des milliers de victimes et continuent de
faire rage dans certaines régions du pays, empêchant le retour de quelque
900 000 civils déplacés à l’intérieur et à l’extérieur du pays. Ces
violences sont à l’origine d’une catastrophe humanitaire dont la communauté
internationale fait peu de cas.
Les
États-Unis ont applaudi l’accord de désarmement conclu dans
le cadre du Forum de Bangui, un forum de réconciliation qui a eu lieu du 4 au 12
mai, et l’ont décrit comme « un engagement en faveur de la paix ». Des accords
semblables ont cependant échoué par le passé. Ce qui est certain, c’est que sa
mise en oeuvre sera délicate. Le compte-rendu d’IRIN permet de comprendre
pourquoi :
Qui
sont les signataires de l’accord et quelle autorité ont-ils
?
Parmi
les 10 groupes armés présents lors du forum, un seul, le Front démocratique du
peuple centrafricain (FDPC), dirigé par Abdoulaye Miskine, n’a pas signé
l’accord, mais il se peut qu’il ne s’agisse que d’un refus temporaire. On ne
s’attend pas à ce que le FDPC sabote l’accord.
«
C’est une bonne chose que les politiciens ont accepté de signer, mais, sur le
terrain, la réalité est bien différente »
Les
neuf autres signataires représentent les principaux groupes armés de la RCA, y
compris les groupes principalement musulmans qui composaient la coalition de la
Séléka. Fait à noter, le coordonnateur et leader autoproclamé des anti-balaka,
Patrice-Edouard Ngaissona, fait partie des signataires.
Voir : Les groupes armés en RCA
La
plupart des signataires sont des leaders des ailes politiques des groupes armés.
Au moins un commandant rebelle a manifesté son manque d’enthousiasme face à
l’accord.
« C’est une bonne chose que les politiciens ont accepté de
signer, mais, sur le terrain, la réalité est bien différente », aurait dit
Joseph Zoundeiko, chef militaire du Rassemblement patriotique pour le renouveau
de la Centrafrique (RPRC), qui faisait partie de la coalition de la Séléka,
après la cérémonie de signature.
Djono Ahaba, le chef politique du RPRC
et le neveu de M. Djotodia, l’ancien leader de la Séléka, a cependant minimisé
l’importance de la remarque de M. Zoundeiko.
« Quant à l’attitude de
certains officiers, c’est un problème sur lequel le groupe se penchera. On peut
donc dire que [le RPRC] s’engage fermement en faveur du processus de paix »,
a-t-il dit.
Photo:
UNICEF/Pierre Holtz - Un homme armé dans la
ville centrafricaine de Birao.
Il
est important de signaler que M. Ahaba a rejoint le gouvernement de transition
après la démission de son oncle. Il est donc plus proche du centre de
l’échiquier politique centrafricain que d’autres leaders de
l’ex-Séléka.
Les combattants étrangers sont plus nombreux dans les rangs
des deux autres principales factions de l’ex-Séléka : le Front populaire pour la
renaissance de la Centrafrique (FPRC) du général Nouredine Adam et l’Union pour
la paix en Centrafrique (UPC) du général Ali Darassa.
Il se pourrait
qu’il soit plus difficile de fédérer les membres de ces groupes autour de cet
accord, même s’ils l’ont signé. Selon certaines informations, Abel Balenguele,
le représentant du FPRC, en serait venu aux mains avec M. Ngaissona, le
coordonnateur des anti-balaka, quelques jours avant la cérémonie de signature.
Quant à M. Darassa, il a toujours fait preuve de méfiance lors des pourparlers
de paix menés par le passé avec d’autres factions.
Ce qui est
encourageant, c’est que M. Ngaissona, le représentant des anti-balaka – l’une
des forces les plus destructrices du pays au cours de la dernière année –, est
considéré comme le seul coordonnateur efficace des opérations des divers
groupes.
M. Ngaissona a entretenu des liens étroits avec la communauté
internationale au cours des derniers mois. Selon une source diplomatique, une
poignée de personnalités importantes des anti-balaka refusent de reconnaître son
leadership et une seule d’entre elles mobilise un nombre significatif de
sympathisants.
Les partisans des quatre autres groupes signataires sont
moins nombreux et plus localisés géographiquement. Ces groupes ne constituent
donc pas une réelle menace pour le processus de paix.
Que
contient l’accord ?
Tous
les membres des groupes armés doivent mettre un terme au conflit et se
rassembler dans les lieux désignés « dans un délai raisonnable » et avant les
élections qui sont censées se tenir en juillet 2015, mais qui seront sans doute
reportées.
Les personnes armées seront prises en charge par le
gouvernement ou ses partenaires dans le cadre du processus de Désarmement,
Démobilisation, Réintégration et Rapatriement (DDRR).
Les personnes non
armées seront renvoyées dans leurs communautés respectives et pourront
bénéficier des programmes de développement gérés par la MINUSCA, la mission de
maintien de la paix des Nations Unies, et par le Programme des Nations Unies
pour le développement (PNUD). Des initiatives spéciales seront mises en place
pour les enfants.
Les anciens combattants qui souhaitent rejoindre
l’armée ou d’autres branches des forces de sécurité pourront le faire à
condition de se soumettre à certains tests d’éligibilité.
Les autres
pourront participer au programme de réintégration communautaire. Ils recevront
un « minimum de soutien » et pourront bénéficier des programmes de développement
communautaire. Les combattants étrangers qui n’ont commis aucun crime seront
rapatriés.
Voir : RCA : La vie après les
combats
Contrairement à d’autres accords
semblables, l’accord ne fait mention d’aucune amnistie, libération de
prisonniers ou reconnaissance de rang au sein des groupes rebelles et des
milices.
Points
à clarifier
Le
type d’arme qu’un combattant doit présenter pour être éligible n’est pas défini
dans l’accord. Un diplomate a dit à IRIN qu’il faudrait que ce soit une arme à
feu, car « tout le monde a une machette », mais qu’il s’attendait à ce que
certains groupes armés ne soient pas d’accord sur ce point. Les armes éligibles
incluront probablement les fusils de chasse traditionnels utilisés par la
majeure partie des anti-balaka.
On ignore encore si l’armée pourra
recruter des ex-combattants. Cela dépendra en effet d’une nouvelle loi qui n’a
pas encore été rédigée.
Partage
des pouvoirs ?
Sebastien
Wenezoui, l’un des leaders des anti-balaka, a dit à IRIN que son groupe était
déçu que les participants au forum ne se soient pas entendus sur un remaniement
gouvernemental. Des pourparlers menés en RCA par le passé ont donné lieu à des
gouvernements fondés sur un partage de pouvoir.
Outre le processus de
DDRR, le Forum de Bangui a permis l’adoption du Pacte républicain pour la paix,
la réconciliation nationale et la reconstruction. Le document, qui a une plus
grande portée, appelle à une révision de la constitution et à la création d’une
Cour pénale spéciale pour enquêter sur les
atrocités commises par la Séléka et par les anti-balaka.
On ignore encore
comment il sera appliqué, d’autant plus qu’il ne semble faire aucune concession
majeure aux ambitions des leaders des divers groupes armés.
À l’approche
du forum, l’International Crisis Group (ICG) avait conseillé aux participants de ne pas suivre
l’exemple des dialogues nationaux menés en 2003 et 2008. Les deux dialogues
avaient donné lieu à des accords de partage de pouvoir préélectoraux qui
s’étaient rapidement soldés par un échec.
Les
ex-combattants souhaitent-ils réellement se désarmer ?
Les
affrontements entre les groupes armés ont diminué au cours des derniers mois et
les niveaux de violence ont chuté, ce qui rend plus facile le retour à la vie
civile des combattants qui le souhaitent.
De nombreux combattants
interviewés par IRIN entre octobre et janvier se sont plaints du manque de
rations ou du faible soutien de leurs leaders. Ils ont dit qu’ils souhaitaient
rejoindre l’armée ou se prévaloir des avantages offerts par les programmes de
démobilisation.
Les ex-combattants qui n’ont pas fait les démarches pour
bénéficier des programmes de démobilisation et qui travaillent aujourd’hui comme
ouvriers agricoles ont dit qu’ils gagnaient plus d’argent que lorsqu’ils
surveillaient des barrages routiers.
Une part importante des combattants
de l’ex-Séléka sont originaires du Tchad et du Soudan. Il est possible qu’ils
soient moins motivés à s’engager dans le processus de démobilisation.
Il
se peut que M. Zoundeiko, du RPRC, se soit montré plus véhément que d’autres
commandants rebelles parce que son groupe est largement composé de combattants
originaires de l’extrême nord-est du pays qui tentent d’occuper une région alors
qu’ils n’appartiennent pas à l’ethnie majoritaire. Cet accord pourrait rendre
son groupe vulnérable aux autres seigneurs de guerre.
Nombre
de soldats de maintien de la paix et de combattants
Selon
l’ICG, la présence des 10 000 Casques bleus de la MINUSCA et d’un contingent
français surveillant l’aéroport demeure essentielle au maintien de la paix en
RCA et à la mise en oeuvre du processus de désarmement. La MINUSCA devrait
bientôt recevoir des drones et des hélicoptères de combat, ce qui témoigne des
besoins sécuritaires persistants.
Les experts des Nations Unies ont
estimé à environ 3 500 le nombre de vrais combattants issus des rangs de
l’ex-Séléka et des anti-balaka présents dans la région. Un diplomate a quant à
lui évalué à 7 000 ou 8 000 le nombre total de candidats potentiels sérieux pour
le processus de démobilisation.
L’absence presque totale des forces
sécuritaires gouvernementales soulève des préoccupations importantes en ce qui
concerne le contrôle des régions les plus isolées du pays.
Les soldats de
maintien de la paix internationaux ont obtenu quelques succès notables au cours
des derniers mois, ce qui pourrait contribuer au processus de démobilisation.
Ces succès incluent notamment la capture de Rodrigue Ngaibona, alias « Andilo »,
l’un des commandants les plus puissants et les plus craints des anti-balaka et
un rival de M. Ngaissona.
Des
emplois pour faciliter la réintégration
La
réussite du processus exige un financement rapide.
Selon une source
diplomatique, les fonds destinés à l’intégration des anciens combattants dans
l’armée sont déjà disponibles, mais il reste à trouver l’argent nécessaire pour
le reste du processus de DDRR, y compris pour la réintégration
communautaire.
Le nombre de bénéficiaires potentiels est cependant
supérieur à 7 000 ou 8 000 personnes, puisque l’objectif est de fournir une aide
financière à l’ensemble des communautés accueillant des ex-combattants plutôt
que de simplement « récompenser » les combattants individuels avec des offres
généreuses.
«...
leurs efforts risquent d’être vains si l’économie du pays n’est pas relancée
»
Le
PNUD propose une initiative d’une valeur de 5 millions de dollars visant à
permettre à 10 000 jeunes à risque de Bangui d’acquérir les compétences
nécessaires pour devenir des électriciens, des plombiers et des ouvriers en
bâtiment. Selon un entrepreneur travaillant sur un programme de formation pilote
du PNUD, toutefois, cette somme n’est pas suffisante pour permettre aux
bénéficiaires d’acquérir de réelles compétences et sous-estime les difficultés
de mise en oeuvre dans les communautés divisées par le conflit. Le programme est
par ailleurs limité à Bangui en dépit du besoin évident de programmes favorisant
l’emploi des jeunes à l’extérieur de la capitale.
La MINUSCA et le PNUD
se partageront la responsabilité de la réintégration communautaire et des
programmes de développement prévus dans l’accord de DDRR. Il est essentiel que
la mise en oeuvre soit un succès si l’on souhaite éviter les échecs
passés.
Les représentants du bureau de coordination des ONG
internationales en RCA ont dit que le PNUD ne leur avait pas encore demandé leur
soutien. Un porte-parole du bureau a indiqué que celui-ci était contre le fait
d’offrir une aide aux ex-combattants seulement. Au moment de la publication de
cet article, le PNUD n’avait pas encore répondu à la demande de clarification
d’IRIN.
En novembre dernier, le chef de l’Organisation des Nations Unies
pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) en RCA, Jean Alexandre Scaglia, a dit
que les organisations d’aide humanitaire et les ONG devaient parvenir à un
consensus pour déterminer dans quelle mesure l’aide devait cibler les anciens
combattants. Il semble qu’un consensus n’ait toujours pas été atteint sur ce
point.
Selon l’ICG et M. Scaglia, la pauvreté et le quasi-effondrement
des économies urbaine et rurale de la RCA font partie des causes fondamentales
des crises récurrentes qui affectent le pays.
« Les représentants de la
MINUSCA nous disent chaque semaine que leurs efforts risquent d’être vains si
l’économie du pays n’est pas relancée », a dit M. Scaglia à
IRIN.
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