Le renard et la belette.
Jean de la
Fontaine emprunte au monde animal les personnages de ses récits. Nous cédons
volontiers à ce penchant pour rendre compte de la situation politique en
Centrafrique où la préparation du Forum national de Bangui semble déclencher un
tsunami. Le rapport né des consultations populaires à la base en est la
cause.
1 – L’appel aux
chefs de terre.
Le chef de l’Etat
de la transition viendrait-elle à résipiscence ? On serait tenté de le penser. Madame
Catherine Samba-Panza a en effet résolu d’impliquer les notables, chefs de terre
et de groupes, dans la réussite du Forum national de Bangui qui doit se tenir du
27 avril au 3 mai 2015. Ne voulant pas faire les choses à moitié, la Présidente
de transition a tenté de faire d’une pierre deux
coups.
Elle a d’abord
convié les chefs de terre ce 11 avril dernier à un tour de table sur leurs
préoccupations du moment, suscitant propositions, conseils et
recommandations.
Puis, prenant ses
invités par surprise, elle a soldé la totalité des arriérés de leurs
indemnités.
On ne saurait être
bonne princesse, et je serais le
dernier à lui jeter la pierre, pour la simple raison que je porte depuis un an,
dans mes chroniques adressées au peuple centrafricain, le discours sur la
revalorisation du statut des autorités
traditionnelles.
C’est ainsi que
quelques jours seulement après l’installation du Chef de l’Etat de la
transition, je prônais, dès le 5 février 2014, la proposition de créer partout,
dans les quartiers et villages, des équipes de 3 à 5 « médiateurs de la
paix », installées auprès des
chefferies traditionnelles afin
d’aider ces dernières dans
les efforts de pacification et de réconciliation.
Le 3 avril de
cette même année 2014, dans la perspective d’une politique d’extension de
l’espace démocratique, je proposais la « restauration des chefferies
traditionnelles et la définition de leurs prérogatives nouvelles dans le cadre
d’un Etat de droit ».
Le 15 mai 2014,
j’allais plus loin en écrivant : « au lieu d’organiser un vrai et
large dialogue incluant en particulier les autorités traditionnelles du pays,
chefs de terre et chefs coutumiers, la Présidente de transition se contente d’un
replâtrage destiné à rendre le gouvernement de transition plus inclusif et plus
représentatif des bandes et milices armées ».
Enfin, devant
l’incurie de l’Autorité nationale des élections (ANE) à organiser les élections
présidentielles et législatives dans les délais prescrits, soit avant le 15
février 2015, et prenant en compte le contexte sécuritaire du moment, je
prescrivais l’idée d’un recours au suffrage universel indirect, prévu dans la
Charte de la transition, en faisant appel à un Collège de grands électeurs,
composé à partir des chefs de
terre, chefs de village et juges coutumiers, pour élire le prochain président de
la RCA.
Ma proposition
était reformulée le 28 mars 2015 à Paris, à la grande confusion des deux membres
de l’ANE en mission dans la capitale française pour procéder au démembrement de
leur structure. Ce jour- là, le représentant de l’ANE affirma que l’idée d’un
recours au suffrage universel indirect serait plus complexe et plus difficile à
mettre en œuvre qu’une élection au suffrage universel direct
(SUD) !
Organisé des
élections légales pour un collège électoral de 10.000 électeurs leur paraissait
plus compliqué que réunir 2.000.000 de votants. En vérité, parce que l’idée
était l’expression de notre sagesse centrafricaine ancestrale, elle était un
pavé jeté dans le marigot nourricier trop dérangeant pour ceux qui vont au
festin à la saison des pluies.
On se souviendra
qu’en se saisissant de ces propositions, le chef de l’Etat de la transition
préfèrera donner des gages aux sécessionnistes de l’ex-rébellion Séléka,
partisans de la partition du pays, en évoquant le rétablissement des
sultanats ! Las, c’est mal connaître les chefferies traditionnelles :
elles ne sont pas nommées, elles se perpétuent.
On comprendra que
l’intérêt soudain porté par le chef de l’Etat de la transition aux chefs de
terre est un subterfuge, un miroir aux alouettes destiné à distraire l’opinion
publique centrafricaine de ce qui peut apparaître comme une supercherie, une
entorse à l’esprit de la transition, une entrave à la manifestation de la
vérité, la nomination de son ministre conseiller auprès des forces
internationales à la tête du comité technique d’organisation du Forum national
de Bangui.
2 – La stratégie
du fait accompli.
Les décrets fixant
les modalités d’organisation du Forum national de Bangui, signés par le chef de l’Etat de la transition,
sont une violation manifeste de l’esprit de la Charte constitutionnelle de la
transition.
A en croire les
derniers visiteurs de Madame Catherine Samba-Panza, cette dernière se retranche
derrière le principe d’efficacité pour justifier le visa de ces documents dans la
précipitation.
Ce n’est pas la
première fois que le chef de l’Etat de la transition opère de la sorte :
mettre la classe politique centrafricaine devant le fait accompli puis, en cas
de conflit, déminer le terrain en organisant des conciliabules de couloir payés
au prix fort, telle la pieuvre délivrant son encre pour échapper à ses
poursuivants.
Cette technique a
déjà servi à plusieurs reprises :
-
Lors de la
démission du premier-ministre André Nzapayéké et son remplacement par un homme
du sérail, Mahamat Kamoun, au
prétexte d’équilibrer l’exécutif en nommant un chef de gouvernement de
confession musulmane ;
-
La même stratégie
sera déployée au moment du milliard évaporé d’un don angolais de 20 milliards,
lorsque les autorités de la transition évoqueront le principe d’efficacité pour
justifier cette entorse faite aux règles de l’unicité budgétaire de l’Etat.
Madame Samba-Panza n’hésita pas à brandir la menace de divulguer l’identité des
bénéficiaires de ses largesses. On attend
toujours.
Pour revenir aux
considérations du moment, c’est la même stratégie qui est utilisée en la
présente circonstance, devant le tollé soulevé par la publication de ces
décrets. Le chef de l’Etat de la transition ne recule pas. Elle persiste mais
demande aux partis politiques de lui proposer des noms, trois, comme le nombre
des plateformes politiques en présence. Un additif viendra augmenter le nombre
des membres du comité mais le coordonnateur ne perdra pas son fauteuil.
L’affaire sera réglée ainsi : le cynisme de l’une faisant face à la cupide
lâcheté des autres.
Dans l’antiquité,
« le cynisme avait pour fonction de critiquer les valeurs de la
civilisation, de remettre en cause les hiérarchies sociales, d’exiger un accord
parfait entre les actes et les paroles, d’enseigner le mépris des richesses et
de recommander une ascèse radicale ». Aujourd’hui, il n’en est rien. Le
cynique est un être avide de pouvoir, trop préoccupé de son propre sort pour
s’attacher à celui du peuple.
C’est ainsi qu’à
force d’échouer depuis si longtemps, en de vains combats irréfléchis et mal
menés, les hommes politiques centrafricains ne font plus la différence entre la
victoire et la défaite ; pourvu que tout continue pour eux, en un
inlassable mouvement brownien.
Voilà pourquoi le
principe d’efficacité, si souvent invoqué par l’exécutif de la transition, sert
ici à museler, à encadrer. Déjà, le rapport consolidé des consultations à la
base, revu et diffusé par les autorités de la transition, traduit cette volonté
de dissimulation et de manipulation.
En choisissant un
coordonnateur clivant à la personnalité ondoyante, « le renard », à la
fois juge et partie dans ce jeu de go, le chef de l’Etat de la transition,
« la belette », cherche à verrouiller le Forum national de Bangui en
faveur de l’exécutif. On ne saurait trop lui conseiller de relire Jean de La
Fontaine, « La belette dans un grenier ».
Paris, le 14 avril
2015
Prosper
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