Les dessous de la
France-Afrique !
A l’issue des travaux du Forum national de Bangui,
organisé du 4 au 11 mai dernier, trois éléments d’informations sont venus ces
jours-ci conforter notre pessimisme quant à la sortie de crise et à l’avenir de
la République Centrafricaine. Ils ne sont pas spécifiques à ce pays ; ils
font partie des « activités outillées » de ce qu’il est convenu
d’appeler la France-Afrique. Ce néologisme signifie que la France exerce encore
un pouvoir d’influence et/ou d’intervention en Afrique
francophone.
1 – Le genre
fait malheur.
Depuis l’élection de Catherine Samba-Panza, ce qu’il est
convenu d’appeler « la politique du genre » fait malheur. Il s’agit
d’utiliser les caractéristiques de son sexe pour obtenir un avantage décisif. Le
premier élément d’information tient donc aux conditions dans lesquelles les
représentants des différents groupes armés participant au Forum national de
Bangui ont signé l’accord de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR).
Selon les témoins de la scène, le ministre de la défense nationale, Mme Koyara
aurait usé de l’affection de son genre pour imposer son diktat : « Je
suis ta maman, il faut signer », aurait-elle intimé au représentant
récalcitrant d’un des groupes armés. Ce dernier obtempéra. Il n’est donc pas
étonnant que les responsables politiques des dits groupes armés aient désavoué
leurs émissaires respectifs. Dans ces conditions, comme l’a résumé le
« général » Zoundéko, l’un des leaders de l’ex-coalition Séléka :
« Ce n’est pas une paix durable que l’on prépare ». C’est l’enlisement dans le statu
quo !
Qui ne se souvient de la déclaration de Catherine
Samba-Panza lors de son élection par le CNT : « Je demande à mes
enfants anti-Balaka de déposer les armes. Je demande aussi à mes enfants de
l’ex-Séléka d’abandonner la voie des armes » ? Ce fut une prière sans
miracle !
Voilà près de dix ans que des accords de désarmement,
démobilisation et réinsertion sont régulièrement signés, et régulièrement ils
sont vidés de leur substance. Pour une raison simple et évidente : les
parties en présence jouent la montre car c’est la seule manière qu’elles ont
d’entretenir leur influence et de garantir le maintien de leurs
prébendes.
Dans ce domaine, l’affectif est un critère subjectif sur
lequel on ne peut fonder aucune politique rationnelle.
2 – L’éloge
des marabouts blancs.
Le second élément d’information, en marge du Forum de
Bangui, est constitué par le renseignement récemment publié par le journal
confidentiel La Lettre du Continent qui, dans son numéro 706 publié à Paris le
20 mai 2015, dresse la liste des experts français délégués par l’ancienne
métropole auprès des diverses institutions et départements ministériels pour
servir de conseillers. Ce répertoire, condensé mais explicite, fait état d’une
dizaine de conseillers français, les « marabouts blancs », installés
dans les allées du pouvoir à Bangui. Ces derniers règnent en maîtres à la
Présidence, à la Primature et auprès des ministères régaliens que sont la
justice, la sécurité publique, l’administration du territoire, l’économie
nationale, les fiances, etc. Il s’agit pour la France de garder la haute main
sur ses intérêts, on le comprend, mais pour la RCA où est le
profit ?
On aurait tort de critiquer ces placements, ils ont leur
rôle : d’abord informer en temps réel Paris des initiatives et projets du
gouvernement centrafricain, ensuite permettre à leur hiérarchie de donner en
instantané les réponses qui conviennent. Dans cette perspective, l’ambassade de
France en Centrafrique sert de vernis à ces réseaux occultes. Les hommes
politiques centrafricains sont d’ailleurs les derniers à se plaindre de cette
configuration, eux qui ont fait de la capitale française la « boule de
cristal » de leurs projets d’avenir, qu’ils consultent avant toute
décision.
La pratique des marabouts blancs (A Bouâ !) ne date
pas d’aujourd’hui. Elle reflète l’état d’esprit général de nos gouvernants,
lesquels ont la servilité dans la peau. Ils sont restés accrochés au passé, au
moment où les hommes politiques français étaient d’anciens administrateurs de la
France d’outre-mer. Ces derniers connaissaient l’Afrique pour y avoir travaillé
et étaient en empathie avec les Africains. Rien de tout cela actuellement, les
nouveaux maîtres de la France n’ont jamais mis les pieds en Afrique et ne
connaissent cette dernière qu’à travers les statistiques du FMI et de la Banque
mondiale. Comme dirait François Mitterrand, « c’est l’ère des
comptables »… et des tiroirs caisses.
3 – Les
piranhas entre eux.
Le troisième élément issu du Forum national de Bangui
est tout aussi éloquent. Le président de l’association DIAMESCA (Diaspora de
l’Emergence Centrafricaine) s’en est fait l’écho. Il a en effet marqué son dépit
sur le sort réservé aux représentants de cette diaspora, tenus pour quantités
négligeables, lorsqu’ils ne sont pas objets de quolibets, tout au long du
dialogue inclusif de Bangui. Il n’y a rien de surprenant à cela, de notre point
de vue : leurs calomniateurs sont eux-mêmes issus de cette diaspora qu’ils
vilipendent.
Le proverbe africain dit : « Il n’y a qu’un
sorcier pour reconnaître un autre sorcier ». Les contradicteurs des représentants de la
diaspora au Forum de Bangui ont fait allégeance au système politique installé,
s’en servent et s’en accommodent. Ils sont les thuriféraires de la mal
gouvernance, cet autre nom de la corruption généralisée. Ils voient donc d’un
mauvais œil tout nouvel impétrant. C’est la théorie économique de la concurrence
pure et parfaite en avenir incertain appliquée à la politique : les
« insiders » érigent des barrières à l’entrée du pouvoir pour empêcher
les outsiders d’entrer. Leurs critiques de la diaspora se bornent à caricaturer
leur propre déchéance. Hier ils faisaient de l’ « entrisme » leur
mot d’ordre : « Intégrons les masses populaires afin de nous éduquer
en leur sein » ! Aujourd’hui, ils invoquent les contraintes locales,
dont seraient ignorants les représentants de la diaspora actuelle, pour récuser
ces derniers. Pourtant, ils sont les premiers à faire confiance aux
« marabouts blancs ». Cette attitude réfractaire a un nom : la
résistance au changement ! Les piranhas ne se dévorent pas entre eux.
On ne pourra sortir de ce dilemme du rejet de la
diaspora noire qu’en faisant élire dans la future assemblée nationale
centrafricaine des représentants des Centrafricains établis à l’étranger (le
terme diaspora nous paraît impropre en la circonstance).
Puisqu’ il faut bien battre sa propre coulpe, émettons
deux critiques contre les propositions portées par le président de la
DIAMESCA :
-
Avoir un Bureau
de Liaison de la diaspora à la Primature ou à la Présidence ne fait qu’entériner
la stratégie de l’entrisme dénoncée ci-dessus.
-
La création
d’un Centre de Gestion Agréé comme instrument d’organisation du secteur privé
n’aura aucune influence sur la politique industrielle du pays, sauf à
marginaliser encore un peu plus les chambres consulaires du commerce et de
l’industrie
De notre point de vue, pour sortir de l’impasse et amener à résipiscence la diaspora et
les autorités locales, il faut agir dans trois
directions :
·
Implanter au
sein de l’université de Bangui un Institut de Préparation aux affaires (IPA), à
défaut de la création d’une véritable école supérieure de
commerce ;
·
Créer une
Agence nationale de création des entreprises (ANCE), organisme disposant des
moyens logistiques et financiers nécessaires pour inciter et promouvoir la
naissance des fonctions entrepreneuriales au sein de l’économie centrafricaine
(gestion, commerce, finances, ingénierie, acquisitions de brevets ou transferts
de technologies, etc.) ;
·
Créer une
Banque nationale ou un Fonds National d’Investissement destiné à financer,
accompagner et conseiller les créateurs d’entreprises (financement, prise de
participation, mutualisations des compétences, etc.), puisque la banque de
développement des Etats de l’Afrique centrale (BDEAC) est actuellement sur
d’autres logiques d’investissement.
Il s’agit d’éviter aux représentants de la diaspora les
procès en sorcellerie qui leur reprochent d’amener en Centrafrique des
opérateurs malhonnêtes ou malveillants, des escrocs et autres aventuriers ;
reproche qui n’est pas fait aux réseaux des marabouts blancs de la
France-Afrique, allez donc savoir pourquoi !
Paris, le 28 mai 2015.
Prosper INDO
Haut-commissaire du CNR.