Règlements de
compte à Bangui.
On a tous en
mémoire le vieux western épique de 1957 du réalisateur américain John Sturges,
où le shérif de Dodge City, Wyatt Earp, chevauche à la poursuite du hors-la-loi
Ike Clanton, jusqu’à Fort Griffin, la ville dirigée par Cotton Wilson, un
collègue et un ami de longue date. Hélas, ce dernier est devenu corrompu et a
laissé filer le
bandit.
Mais apprenant que
Wyatt est à Fort Griffin, Clanton retourne le défier en compagnie de ses
acolytes. Fort du soutien de « Doc Holliday », fine gâchette et joueur
de cartes invétéré perclus de tuberculose, Wyatt Earp viendra à bout de la
bande. C’est le film Règlements de compte à OK Corral.
Au propre comme au
figuré, Bangui, la capitale centrafricaine est devenue une enceinte bruissant de
règlements de compte entre factions rivales au sein du gouvernement et de la
présidence de transition. Ses escarmouches à fleurets peu mouchetés ont pour
motif l’organisation du Forum national de Bangui et son financement, tenu au
mois de mai 2015.
1 – Le Forum
national n’est pas une réussite pour tout le
monde.
La réalité
objective est que les sources de financement de cette rencontre
inter-centrafricaine demeurent opaques, tout comme le montant global des
contributions affectées à son organisation.
Du fait de cette
opacité, les rumeurs de détournement de fonds sont omniprésentes et n’épargnent
personne. Ces dernières auraient même coûté son poste à la ministre conseiller à
la communication et à la réconciliation nationale et porte-parole de la
présidence, Antoinette Montaigne. Mise en cause par plusieurs organes de presse
citant des sources « haut-placées au palais de la Renaissance », la
ministre aurait porté plainte contre deux de ses collègues du cabinet. Ces
dernières s’en offusquèrent auprès de leur amie et chef de file, le chef de
l’Etat de la transition. Cette dernière fit annuler la plainte et congédia sans
malice ni ménagement celle qui lui a servi jusqu’alors de griot ! Le zèle
n’est jamais récompensé.
Aucune précaution
n’étant inutile, le bureau de Mme Montaigne à la présidence fut vandalisé et son
ordinateur emporté. On n’est jamais assez
prudent !
Ce n’est pas la
première fois que les bureaux de la ministre sont cambriolés. Le même sort avait
été réservé à son bureau lorsqu’elle était ministre de la communication au sein
du gouvernement du premier-ministre André
Nzapayéké.
Au-delà de ces
méthodes de barbouzes, qui rappellent une autre période du régime politique sous
le président Ange Félix Patassé, on peut s’interroger de l’intervention de la
présidente de transition dans une procédure judiciaire pour annuler une main
courante, au lendemain de la promulgation de la loi cadre instituant la Cour
pénale spéciale. Sa pratique est donc en contradiction avec l’indépendance de la
justice et sa proclamation en faveur de l’impunité.
Autre rumeur aux
conséquences non encore établies, le premier coordinateur de l’organisation
technique du Forum aurait soustrait une somme de 100 millions de francs CFA
juste avant que sa nomination ne soit invalidée et le décret
rapporté !
Au bas mot, c’est
au total 600 millions de francs CFA qui se seraient volatilisés. Sauf si la
présidente prenait l’initiative de rendre public le décompte des dépenses
attachées à l’organisation du Forum national de Bangui, il restera toujours un
parfum de scandale autour de cette affaire. On comprend dès lors la réticence de
certains bailleurs de fonds à renflouer les comptes de l’Autorité nationale des
élections.
2 – Un nid de crabes et de
crotales.
Les rumeurs de
règlements de compte rythment désormais la vie de la capitale centrafricaine.
Ainsi, plusieurs personnalités seraient dans l’œil du
cyclone :
-
La secrétaire
particulière du chef de l’Etat de la transition, sa propre fille, serait
également soupçonnée de prévarications, s’étant autoproclamée banquière de la
famille ;
-
Le ministre
conseiller à la présidence, chargé des relations avec les forces internationales
et la Sangaris, briguerait le poste de Premier-ministre ou celui de ministre de
la défense, fonction qu’il a déjà exercé du temps d’Ange-Félix Patassé, à la
grande fureur de l’actuel titulaire de ce
poste ;
-
Le
Premier-ministre Mahamat Kamoun ne serait pas non plus épargné par ce vent de
panique qui souffle sur Bangui. Il cèderait volontiers son portefeuille pour un
poste moins exposé mais plus rémunérateur,
à la tête de l’Agence de régulation des télécommunications (ART) dont le
président, un certain Michel Koyt, serait démissionné. On se rappelle que ce
proche parent de la présidente de transition avait déjà été montré du doigt dans
la gestion calamiteuse d’un prêt du gouvernement indien de 20 millions de
dollars pour la création d’un réseau de transport urbain et d’une cimenterie.
C’est donc la
cabale tout autour du chef de l’Etat de la transition. Ce n’est plus une équipe
mais un panier de crabes et de crotales.
Parmi ces
derniers, les femelles ne sont pas les moins
venimeuses.
Au rang des
crabes, le ministre d’Etat, directeur de cabinet de la présidente de la
transition ne vient plus à la présidence qu’à reculons. Son compère, le
secrétaire général à la présidence, pressenti semble-t-il pour être le candidat
putatif de cette camarilla aux prochaines élections présidentielles, ne serait
pas encore tout à fait préparé, malgré l’étendue du trésor de guerre déjà
amassé. C’est la raison qui pousse le gouvernement à retarder la publication du
chronogramme des élections présidentielles et législatives tant
attendues.
Pour l’heure, le
chef de l’Etat de la transition s’est autorisé une escapade de quelques jours en
Afrique du sud, à l’invitation de la présidente de la commission de l’Union
africaine. Il s’agit de prendre part
au 25ème Sommet de cette organisation dont le thème est un
programme à lui seul : « Autonomisation des Femmes, l’égalité des
genres et développement pour la réalisation de l’Agenda 2063 en
Afrique » !
Seule l’Afrique a
la prophétie de ces cycles de 48 ans. Chez les économistes, ces éminences grises
qui ne sont pas du genre optimiste, un cycle long ne dépasse guère une trentaine
d’années.
Il s’agit
d’inviter les chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union africaine à «
redoubler d’efforts cette année pour augmenter la représentation des femmes au
sein du gouvernement, dans le système judiciaire et d’autres institutions
publiques et privées et leur participation aux tables de négociations de
paix ».
A voir le résultat
de ces efforts en République centrafricaine depuis janvier 2014, quarante-huit
ans ne seront pas de trop pour éteindre et l’incompétence et la
corruption.
Paris, le 10 juin
2015
Prosper
INDO