République Centrafricaine : le
grand barnum.
« Si l’homme est doué de perception
et d’intelligence, c’est parce qu’il a en lui les fluides des Cinq Vertus, mais
ceux-ci dépendent à leur tour des Cinq Organes qui sont dans son corps. L’homme
préserve son intelligence tant que ces organes sont intacts ; mais, une
fois ceux-ci atteints, il sombre dans la confusion – c’est-à-dire qu’il devient
stupide ».
[in : De la mort. Edition Gallimard, coll. Folio, Paris 2006, pp.
26/27]
Ces paroles de
Wang Chong, grand lettré de la Chine ancienne, me sont venues à l’esprit lorsque
j’écoutais le dernier entretien de Michel Djotodia avec un journaliste de la
Radio France Internationale (RFI).
1 – Le dérèglement
des sens.
A entendre
l’ex-président démissionnaire, je me suis interrogé sur l’organe déréglé qui,
dans son corps, pouvait à ce point nuire à son intelligence. Au journaliste qui
l’interrogeait sur le point le plus important de l’accord de Nairobi dont il
était le signataire, Michel Djotodia s’enferra : « Je n’ai pas
l’accord avec moi. Comme je vous l’ai dit tantôt, si vous pouvez parcourir
l’accord… c’est un truc très volumineux ».
Le voici donc
incapable de dire l’élément essentiel à ses yeux d’un document qu’il a paraphé !
Le reste de
l’interview est à l’avenant, plein de confusion et d’allusion perfide. Au point
d’affirmer, comme un enfant boudeur : « Moi, je suis Centrafricain.
Sinon, il faut me le dire ». Soit, disons-le tout net ! Oui, Michel
Djotodia, tu es Centrafricain, mais traître à ton pays. Raison pour laquelle tu
dois comparaître devant tes juges, pour atteinte à la sureté de l’Etat et à
l’intégrité territoriale de la RCA.
En effet, pendant
que tu tentais de rassembler ta mémoire sur « l’accord exceptionnel »
de Nairobi, on apprenait que ton ancien ministre de l’Urbanisme, un certain
« général » Ousmane Mahamat Ousmane, était arrêté pour détention et
port d’armes illégal. Le dit général se révèle être un citoyen tchadien, ancien
sous-préfet de la ville de Moundou ! Ainsi, tu auras pris le pouvoir et
vendu la RCA à des mercenaires étrangers.
Mais la réalité de
cet entretien est ailleurs. Il vise la partition de la République
centrafricaine, objectif longtemps inavoué, mais désormais assumé :
« Les populations du Nord ont des raisons de soutenir l’ex-Séléka. Si les
conditions ne sont pas remplies, je ne vois pas pourquoi ils vont se faire
désarmer pour après se faire assassiner. On se connait, nous
Centrafricains ».
Par cette phrase
sibylline, l’ex-président autoproclamé projette sur tous les Centrafricains, ses
compatriotes, ses propres turpitudes et mauvais desseins ; faire de la
République Centrafricaine un nouveau Chypre, un nouveau Liban, un Etat en
situation de conflit permanent sous l’œil impuissant du Conseil de sécurité des
Nations Unies.
2 – Le voyage de
Rome.
Après Ndjamena en
décembre 2013 où les membres du Conseil national de transition (CNT) ont été
assignés à résidence pour acter la démission de Michel Djotodia, après
Brazzaville en juillet 2014 où ils ont refusé de se rendre pour signer un accord
de cessation des hostilités entre ex-Séléka et anti-Balaka, arguant qu’une telle
réunion ne pouvait se dérouler qu’en terre centrafricaine, les hommes politiques
centrafricains se sont rendus le 27 février 2015 à Rome, en pèlerinage, à l’invitation de la Communauté Sant’
Egidio, pour signer une déclaration d’intention en faveur d’élections
propres.
Pas moins de
quatre anciens premiers-ministres, la vice-présidente du CNT, la présidente du futur Forum de Bangui,
ainsi qu’une kyrielle d’anciens ministres, tous candidats autoproclamés aux
prochaines élections présidentielles, ont fait le déplacement. Ils ont signé un
engagement en faveur d’ «élections libres, démocratiques et transparentes
en Centrafrique » !
Au même moment, le
président de l’Autorité nationale des élections (ANE), l’organe sensé piloter
ces consultations, criait famine : il ne dispose que de 5 milliards de
francs CFA, sur les 21 milliards nécessaires à l’organisation desdits scrutins.
Pourquoi dès lors
se précipiter à Rome pour signer une déclaration qui aurait pu être adoptée à
Bangui ?
Le voyage de Rome,
qui ressemble fort au déplacement d’Henri IV à Canossa, fait pendant à la
réunion de Nairobi si chère à Michel Djotodia et François Bozizé. D’un côté
l’opposition démocratique, de l’autre les partisans de la violence armée. La
présence du Médiateur de la crise centrafricaine à Rome au même moment atteste le jeu
des connivences : amener les
uns et les autres au Forum de Bangui, la corde au cou s’il le faut, comme les
Bourgeois de Calais.
Il s’agit sans
doute, pour les congressistes de Rome, de garnir leurs bourses vides, pour une
campagne électorale dont ils savent pertinemment, sauf pour deux ou trois,
qu’ils sont exclus d’office. Le premier enseignement de ce voyage à Rome est
d’indiquer clairement le leadership du MLPC sur les autres tendances de l’AFDT.
Le second avantage de cette mascarade est de permettre à la Communauté Sant’
Egidio, récusée par le chef de l’Etat de la transition et son gouvernement au
bénéfice d’une organisation non gouvernementale humanitaire non marquée
confessionnellement, de s’inscrire dans le débat national à venir ; le
prétexte de cette exclusion est
sot et vain, Sant’ Egidio étant une institution publique laïque, certes proche
du Vatican.
Quant aux
protagonistes de la réunion de Nairobi, on les voit mal proposer aux
Centrafricains autres choses qu’une coalition disparate : le Kwa na kwa,
parti du président déchu François Bozizé, ayant implosé ; alors même que
l’ex-alliance Séléka a volé en éclats, entre trois tendances qui se font
ouvertement la guerre.
L’imbroglio
centrafricain persiste donc !
3 – La paix n’est
pas pour demain.
Qu’apporte l’appel
de Rome au processus de réconciliation nationale ? Dans l’immédiat, rien
assurément. C’est une gesticulation sans lendemain comme les hommes politiques
centrafricains en ont pris l’habitude. Cet appel ne sert ni la sortie de crise,
ni la cause de la paix. Tout au plus, permettra-t-il de faire en sorte que le
Forum de Bangui se passe au mieux, en faisant admettre le principe d’une
participation inclusive.
En attendant,
alors que les forces internationales réduisent leurs effectifs en ce qui
concerne l’opération Sangaris, ou leur format pour les membres de l’EUfor-RCA
dont la mission prend fin ce 15 mars 2015, les troupes rebelles et les milices
ne sont toujours pas désarmées ; la Minusca arguant du fait que le mandat
de l’ONU ne l’autoriserait pas à la coercition, c’est-à-dire à faire usage de la
force pour désarmer les bandes armées ! Aussi, la force des Nations Unies
en Centrafrique admet que le programme de désarmement, démobilisation et
réinsertion (DDR) ne sera pas enclenché tant qu’aucun accord de paix crédible ne
sera signé par les groupes armés et le
gouvernement !
C’est dans ce
contexte qu’il faut restituer l’interview accordée par Michel Djotodia à RFI. Il
s’agit de maintenir la pression sur les forces internationales, afin de les
contraindre à demeurer céans et à entériner le principe de la partition de fait
du pays.
Pour arriver à ses
fins, tous les moyens sont bons, y compris le mensonge : « Aussitôt
que les ex-Séléka seront désarmés, ce sera le carnage. Et personne ne viendra
comme d’habitude à notre secours, nous du Nord. Puisqu’on est considéré comme
des animaux, pas comme des êtres humains. Depuis plus de cinquante et quelques
années, c’est ce qui se passe… Il faut qu’on sache : ou bien nous
appartenons à la communauté centrafricaine, ou
non ! »
Certes, la
phraséologie s’inspire de la sémantique islamiste, laquelle tient tous les
« infidèles » pour des chiens, mais l’ex-président démissionnaire
n’ignore pas qu’il fut Consul général de la République Centrafricaine au Soudan,
et sa deuxième épouse, sous-préfète du district d’Ippy. Il y a pire
déconsidération !
Il est du devoir
de chaque Centrafricain de s’opposer par tous les moyens, démocratiques et
pacifiques, à la partition du Centrafrique, qui doit rester notre République une
et indivisible.
Paris, le 16 mars
2015
Prosper
INDO
Haut-Commissaire général du CNR