Y
a t-il encore un pilote dans "l'avion" centrafricain ?
Jeune
Afrique, 13/04/2015 à 15:03 Par Didier Niewiadowski
Didier
Niewiadowski est universitaire et ancien conseiller de coopération et d’action
culturelle à l’ambassade de France à Bangui.
En
Centrafrique, on cultive l’embrouillamini, avec une certaine constance. A quatre
mois du 17 août 2015, échéance normale de la Transition, l’amateurisme, les
intérêts personnels, les pressions claniques et le cynisme ont conduit les
autorités de la Transition à multiplier les chausse-trappes au point de rendre
illisible leur feuille de route et de compromettre le retour à la
paix.
Un
pouvoir exécutif hors sol et une médiation hors jeu
Le
chemin vers la réconciliation nationale est de plus en plus sinueux. La faute en
incombe évidemment d’abord aux belligérants de l’ex-Séléka et des anti-balaka,
désormais divisés en factions rivales. Le pouvoir exécutif n’est pas aussi
exempt de reproches. Les chevauchements entre les compétences des
ministres membres du gouvernement et celles, plus occultes, des
ministres-conseillers de la chef de l’État polluent l’action politique. Dans ce
méli-melo gouvernemental, les agitations politico-médiatiques de Jean-Jacques
Demafouth, cousin de Catherine Samba-Panza, compromettent, un peu plus, la
réconciliation nationale que devait faciliter le Forum national de Bangui, prévu du 27 avril au 4 mai
2015. En prenant trois décrets, le 3 avril 2015, concernant un comité technique
et un praesidium de ce forum, la chef de l’État a suscité l’ire du Conseil
national de la transition (CNT) et une nouvelle condamnation de la classe
politique.
En
évinçant la commission préparatoire du forum qui faisait consensus et en nommant
des parents ou des proches, Catherine Samba-Panza a peut-être mis un terme au
processus de réconciliation nationale, déjà semé d’embûches. L’Accord de
Brazzaville de fin des hostilités, du 23 juillet 2014, devait être fondateur. Il
n’en fut rien. L’Appel de Rome, du 27 février 2015, signé par plusieurs
présidentiables, ne faisait qu’accroître la cacophonie et l’absence de
leadership du pouvoir exécutif. Quant à l’Accord de Nairobi, du 8 avril 2015, il
met surtout en exergue les profondes dissensions dans les camps des ex-Séléka et
des anti-balaka et la volonté du Médiateur de la crise centrafricaine, le
président congolais Denis Sassou Nguesso, de sous-traiter sa
médiation.
>>
Lire aussi : Crise centrafricaine : le Grand Orient de France à l'offensive
Un
CNT peu légitime et en somnolence
Le
CNT n’est pas une assemblée d’élus de la nation. Il a été constitué par deux
arrêtés du tandem Michel Djotodia-Nicolas Tiangaye, en avril 2013. Sa
composition de 135 membres a été validée par l’article 50 la Charte
constitutionnelle qui énonce simplement que le CNT est composé de "représentants
les différentes catégories politiques et socioprofessionnelles". La plupart des
135 conseillers, toujours en place en avril 2015, sont d’anciens sympathisants
de l’ex-Séléka et des nostalgiques des présidences Kolingba et Patassé. De par
sa création et sa composition, ce CNT peut difficilement exprimer la
souveraineté nationale et engager l’avenir du pays, à travers sa
Constitution.
Il
aura fallu dix-neuf mois pour que le CNT adopte, le 16 février 2015, un
avant-projet de Constitution. Après la consultation du gouvernement, un atelier
national devra procéder à l’ "enrichissement" du texte amendé par le
gouvernement. La réunion de cet atelier prendra du temps et les débats risquent
de ne pas être une simple formalité. La Cour constitutionnelle donnera ensuite
son avis et il reviendra au CNT de soumettre, au référendum, le projet de
loi constitutionnelle. Étant donné que la transition se terminera le 17
août 2015, il est peu probable que ce référendum puisse avoir lieu, d’autant que
l’article 163 du code électoral, concernant le référendum, rappelle que
"les électeurs sont convoqués au moins soixante jours avant le jour du
scrutin".
La
politique de l’autruche arrive bientôt à son terme
Étant
donné le contexte centrafricain, que le Groupe international de contact
(GIC-RCA) refuse obstinément de prendre en compte (comme par exemple la saison
des pluies, les camps de réfugiés et de déplacés non administrés, l’exil en
brousse de dizaines de milliers de villageois, la destruction des services de
l’état-civil et du fichier électoral), des élections crédibles ne pourront pas
se tenir en juillet-août 2015. Comment organiser en cent jours un référendum et
des élections législatives couplées à une élection présidentielle, alors que les
préliminaires ne sont pas encore réunis ?
Après
deux prolongations, la transition se terminera normalement le 17 août 2015, soit
24 mois après la prestation de serment du chef de l’État déchu, Michel Djotodia.
L’alinéa 2 de l’article 102 de la charte constitutionnelle prévoit néanmoins
qu’"en cas de nécessité", la conférence des chefs d’État et de gouvernement de
la CEEAC peut examiner la durée de la Transition. Quels seront les nouveaux
arguments de la demande conjointe de la chef de l’État, du Premier ministre et
du président du CNT ? Sans véritable plan de vol, avec des pilotes ayant montré
les limites de leur compétence et des alarmes qui ne peuvent plus désormais être
négligées par les aiguilleurs du ciel du GIC-RCA, "l’avion" centrafricain ne
pourra arriver à destination des élections crédibles et transparentes. Un
changement d’équipage est prévisible, comme l’avait imposé la conférence des
chefs d’État et de gouvernement de la CEEAC, le 10 janvier 2014.
Source :
http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20150413115632/