Centrafrique : Une transition peu réactive qui s'éternise

 

Juillet 2013, on était en droit d’attendre des autorités chargées de la Transition qu’elles soient totalement mobilisées pour restaurer l’autorité de l’Etat et pour créer les conditions nécessaires à l’organisation d’élections, aussi crédibles que possibles.

Plus de deux années se sont passées et le bilan de la Transition est loin des objectifs qui lui avaient été assignés. Le territoire national est peu sécurisé comme en témoignent les incessantes violations du cessez-le-feu et les violences aussi bien dans les centres urbains que dans les zones rurales. Les ONG rapportent que les crimes et délits restent impunis, que la route menant de la frontière camerounaise à Bangui est toujours aussi périlleuse et que les multiples enclaves autogérées ou protégées par la Minusca s’installent dans la durée.

En dépit des déclarations irréalistes et inopportunes des principaux responsables du GICRCA, il était évident que des élections ne pouvaient pas être organisées dans les délais de la Charte constitutionnelle de la Transition. Le Forum de Bangui (4-11 mai 2015) a été obligé de constater cette incurie. Il revenait à la Conférence des chefs de l’Etat et de gouvernement de la CEEAC d’examiner la situation et de proposer une nouvelle échéance de la Transition.

Alors qu’aucun changement n’a été apporté à la gouvernance de la Transition, ce nouveau délai accordé pour organiser des élections crédibles sera-t-il suffisant ? Quelques rappels sur l’exercice du pouvoir par les autorités de la Transition permettent de mesurer les inquiétudes que l’on peut légitimement avoir sur la crédibilité du calendrier électoral proposé et sur le risque d’un nouveau fiasco pour des élections, de plus en plus sujettes à caution.

Un Conseil national de la Transition, peu légitime et en sommeil

Le Conseil National de la Transition (CNT) a été constitué sur les bases du nouveau paysage politique créé par le coup d’Etat du 24 mars 2013. Le CNT, faisant fonction de pouvoir législatif, n’est pas une assemblée d’élus de la Nation. Ses 135 membres ont été nommés par deux arrêtés d’avril 2013du tandem Djotodia-Tiangaye. En grande majorité, les conseillers sont d’anciens compagnons de route des ex-Séléka et des nostalgiques des présidences Kolingba et Patassé. L’article 50 de la Charte constitutionnelle de Transition institutionnalise le CNT mais n’apporte aucune modification, en ce qui concerne les modalités de sa composition.

Par sa création et sa composition actuelle, le CNT peut difficilement exprimer la souveraineté nationale et engager l’avenir du pays, comme il l’a fait avec l’adoption d’une proposition de constitution. Sans réaction du GIC-RCA, le CNT a conservé sa composition originelle et le même Bureau. Frappé par un fort absentéisme et largement composé d’opportunistes, peu motivés par l’intérêt national, le CNT n’a pas exercé le suivi de l’exécution de la Feuille de route de la Transition concernant le processus électoral. Il mettra dix-neuf mois pour proposer, le 16 février 2015, un avant-projet de constitution qu’il adoptera définitivement le30 août 2015, pour être ensuite soumis à un référendum.

Les seules actions législatives notables du CNT concernent l’adoption des lois de finances de l’année, sans véritables modifications des projets de loi gouvernementaux, la création d’une Cour pénale spéciale, due au ministère de la justice et aux experts internationaux et la validation législative du code électoral par la loi n°13-003 du 13 novembre 2013. Le code électoral a été toiletté par la loi n°15-004 du 25 août 2015, afin de tenir compte des difficultés rencontrées dans le processus électoral. Ce texte portant dérogation à certaines dispositions du code électoral concerne essentiellement l’organisation du vote des réfugiés et une actualisation du calendrier électoral. L’article 2 de la loi adoptée par le CNT, promulguée par la chef de l’Etat et publiée sur le site de l’ANE est symptomatique de l’incurie exceptionnelle des autorités chargées de la Transition. Il dispose que « Les présentes dispositions ne s’appliquent qu’aux consultations et élections générales organisées à l’issue de la Transition ». Comme l’expression « à l’issue » signifie « à la fin », peut-on en déduire un machiavélisme non dissimulé des autorités de la Transition ou plus sûrement une incompétence rarissime ?

Le CNT a surtout conforté les intérêts personnels des membres du Bureau et servi l’ambition politique de son président qui fut l’un des premiers politiciens à se rallier à Michel Djotodia
Am-Nondroko, ce qui lui valut d’être élu président du CNT, dès le 16 avril 2013.

Un pouvoir exécutif peu consensuel et attentiste

Une fois élue par le Conseil National de la Transition, Catherine Samba-Panza est vite tombée dans les travers du népotisme et du pouvoir personnel. Avec la complaisance du G8-RCA et du Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies, la chef de l’Etat de la Transition multiplia les nominations et les promotions de parents Banda-Gbanziri et de ses amies de l’association des femmes juristes qu’elle présida pendant quelques années.

L’affaire du « don angolais », l’important contrat signé par un ministre, en dehors des procédures de comptabilité publique, et la boulimie d’achats de biens immobiliers illustrent les mauvaises pratiques reprochées à Catherine Samba-Panza qui s'est mise dans la peau d'une Présidente de la République, élue de la Nation, qu'elle n'est pas.

Le quasi « limogeage » du Premier ministre André Nzapayéké, alors qu’il devait rester en fonction jusqu’à la fin de la Transition et son remplacement par Mahamat Kamoun ont été faits en prenant des libertés avec la Charte constitutionnelle. Le choix de l’ancien directeur de cabinet de Michel Djotodia est loin de faire consensus. En raison de la règle de l’inéligibilité44, le gouvernement est essentiellement composé d’anciens ministres qui avaient fait leur deuil de la vie politique et d’ambitieux, sans expérience, mais proches de la Chef de l’Etat ou du Premier ministre. A l’exception de quelques ministres des secteurs régaliens, dignes d’éloges, le gouvernement ne réunit pas des personnalités politiques compétentes jouissant d’une bonne réputation. Plus grave, plusieurs ministres du gouvernement de Mahamat Kamoun ont leur nom attaché à des affaires qui ont, jadis ou récemment, défrayées la chronique judiciaire.

Avec une opposition morcelée et atone, des médias nationaux, peu professionnels et à l’audience quasi confidentielle, des représentants du Groupe international de contact-RCA(GIC-RCA) adeptes de la politique de l’autruche et la CEEAC confrontée à ses propres problèmes, la chef de l’Etat de la Transition et son Premier ministre ont bénéficié de circonstances exceptionnelles pour s’installer dans la durée, en bénéficiant de la manne internationale pour payer les agents publics, restaurer les bâtiments publics et rénover les infrastructures routières et aéroports secondaires. Aucun président centrafricain n’a eu autant de sollicitude, bénéficié d’une telle bienveillante appréciation de l’ONU et de la France et joui d’une aussi grande protection internationale contre tout éventuel mouvement de contestation.

L’embrouillamini, méthode érigée en système de gouvernement

Le chemin vers la réconciliation nationale est sinueux et semé d’embûches. La faute en incombe évidemment d’abord aux belligérants anti-balaka et ex Séléka, désormais divisés en factions rivales. Le pouvoir exécutif n’est pas aussi exempt de reproches. L’un des objectifs du pouvoir exécutif, conforté par le CNT, est d’éloigner, autant que possible, la fin de la Transition. Les chausse-trappes, les consultations plus ou moins nécessaires, la multiplication des comités de pilotage ou de suivi, toujours chronophages et budgétivores, et la multiplication de centres de décision concurrents sont devenus un art de gouverner afin de ralentir habilement le processus devant mener à la mise place de nouvelles institutions, après des élections libres, crédibles et transparentes.

- La profusion de titres ministériels et un gouvernement-bis

Les chevauchements entre les attributions des ministres membres du gouvernement et celles, plus occultes, des ministres-conseillers de la chef de l’Etat et du Premier ministre polluent l’action politique. Le titre de ministre est aujourd’hui porté par une cinquantaine de personnalités alors que le gouvernement Kamoun III, du 20 juillet 2015, est constitué par 32 ministres. Dans ce méli-mélo politique, il est difficile de dégager les responsabilités des uns et des autres et d’apprécier la légalité de leurs actes.

Afin de traiter les affaires nationales importantes, comme le dialogue politique, la réconciliation nationale, le DDR, les prises d’otages, l’organisation de réunions nationales comme le Forum de Bangui, la recherche de financements, c’est tantôt le membre du gouvernement en charge du département ministériel concerné, tantôt le ministre-conseiller de la chef de l’Etat ayant compétence sur ce même secteur et même parfois le conseiller sectoriel du Premier ministre qui est chargé de la mission, en l’absence de toute communication interne au sein du pouvoir exécutif. Certains ministres-conseillers de la chef de l’Etat ont davantage de pouvoirs que les ministres du gouvernement chargés de ces secteurs.

Ce gouvernement-bis, placé auprès de la chef de l’Etat de la Transition, ne constitue pas une nouveauté. Durant sa présidence, François Bozizé en avait largement abusé. La cacophonie est d’autant plus forte qu’il n’y a pas un véritable Secrétariat général du gouvernement,organe essentiel du fonctionnement de l’Etat pour la coordination interministérielle, la publication du Journal Officiel, l’harmonisation des politiques publiques et le contrôle a priori de la légalité des actes administratifs. En Centrafrique, le Secrétariat général du gouvernement ne fonctionne pas depuis des décennies. C’est l’une des causes de la disparition de l’Etat de droit.

- . L’inflation de comités aux compétences concurrentes

La création de structures, dites de pilotage ou de suivi, rend encore moins lisible la gouvernance de la Transition et contribue à retarder le processus électoral. Ces comités sont souvent dirigés par des ministres ou ministres-conseillers et permettent d’orienter une partie des financements internationaux.

S’il faut saluer la consultation populaire dans les seize préfectures, préparatoire au Forum national de Bangui, en revanche, la préparation et l’organisation de ce forum illustre bien la mainmise du pouvoir exécutif sur le processus de réconciliation nationale.

Alors que la Commission préparatoire du Forum faisait consensus, la chef de l’Etat a décidé de la dissoudre et de créer, par des décrets du 3 avril 2015, un comité technique et un présidium chargés de l’organisation du Forum. La nomination de nombreux parents et de proches dans ces structures a suscité un rejet d’une partie de la classe politique et la désapprobation du GIC-RCA. Finalement, la nomination à la tête du présidium du Représentant spécial du Secrétaire général de l’Onu en Afrique centrale a permis d’éviter le fiasco du Forum national de Bangui.

L’imbroglio est tout aussi remarquable dans le processus électoral. Pas moins de cinq structures ont été créées soit environ une centaine de membres. Ces structures sont le comité de pilotage du processus politique de l’après accord de Brazzaville, le comité de suivi du Forum de Bangui, le Cadre de concertation du processus électoral, le comité stratégique de suivi des élections et l’Observatoire national des élections. Ces organes plus ou moins officiels entrent en concurrence non seulement entr’eux et avec les services ministériels dédiés au processus électoral mais également avec l’Autorité Nationale des Elections (ANE).

La limitation des pouvoirs de l’Autorité Nationale des Elections

L’ANE a été instituée par l’article 6 de la Loi N°13 003 du 13 novembre 2013 portant code électoral. Pour la première fois en Centrafrique, un organe dédié aux élections est permanent, indépendant et neutre par rapport à l’administration publique et aux partis politiques. Cette structure, autonome juridiquement et financièrement, dispose de prérogatives de puissance publique et ne peut être dissoute.

Son organisation est déconcentrée, en suivant les différents échelons de l’administration territoriale. Ses démembrements sont constitués par les Autorités régionales des élections dans chacune des sept Régions. Les démembrements se poursuivent au niveau des 71 sous-préfectures et des 175 communes avec le contrôle des Autorités préfectorales et communales des élections. Pour les principales ambassades à l’étranger, l’ANE est représentée par une Autorité d’Ambassade des élections.

Bien que l’ANE dispose d’une compétence exclusive en matière d’élections, son champ d’activités est, de plus en plus, investi par le gouvernement par le biais des structures ad hoc créées à cet effet. Son autonomie financière, assurée par un trust fund géré par le PNUD, suscite de nombreuses convoitises.

- L’ANE et le ministère de l’administration territoriale

Les démembrements territoriaux de l’ANE peuvent entrer en conflit de compétences avec les structures de l’administration territoriale, sous l’autorité du ministre de l’administration territoriale, de la décentralisation et de la régionalisation. Ce ministère régalien a toujours été délaissé par la plupart des partenaires de la République centrafricaine. Déjà avant la crise, la plupart des préfectures et sous-préfectures étaient dépourvues de moyens de fonctionnement,de logistique et de moyens de communication. Les agents de l’Etat ont toujours répugné à rejoindre leur poste d’affectation dans l’arrière-pays, en raison de la faible couverture sanitaire, des problèmes de la scolarisation des enfants et de l’insécurité ambiante. Avec la crise, près de la moitié des seize préfectures, avec leurs sous-préfectures et leurs communes,sont sans représentants de l’Etat et subissent la tyrannie des hors-la-loi.

L’ANE bénéficie de moyens matériels, logistiques et de communication inconnus dans l’administration territoriale, ce qui alimente les convoitises. Les agents de l’ANE font également des envieux chez les agents de l’Etat pour le montant de leur traitement, de leurs primes et de leurs avantages. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant qu’au niveau central et dans les circonscriptions administratives de l’Etat, l’ANE se heurte à de nombreux obstacles qui paralysent ou retardent son action.

- L’ANE et le Cadre de concertation

Le code électoral prévoit une structure permettant de rechercher le consensus. Le Cadre de concertation est un « espace d’échanges d’informations et de suivi entre les différents acteurs du processus électoral »53. Par sa composition favorable au gouvernement, cette structure n’a pas vraiment joué le rôle qu’on attendait d’elle. Avec son pouvoir de nomination, le Premier ministre a une maîtrise de plus en plus importante sur le Cadre de concertation55 qui est devenu progressivement un organe de contrôle et de proposition de l’ANE. Le Cadre de concertation s’est notamment immiscé dans les attributions de l’ANE en se prononçant contre le vote des réfugiés, en demandant la modification du calendrier électoral et en faisant des propositions d’amendements au code électoral touchant directement l’ANE.


- L’ANE et le Comité stratégique de suivi des élections

Le Comité stratégique de suivi des élections n’a pas de fondements constitutionnels ou législatifs. Présidé par le Premier ministre, ce comité « stratégique » ne peut que créer la confusion et empiéter sur les pouvoirs d’une autorité légalement constituée, comme l’ANE ou le Cadre de concertation. Il répond à une préoccupation constante, partagée par tous les pouvoirs exécutifs centrafricains, qui est d’intervenir dans un processus électoral afin de peser sur les résultats des élections. Le Comité stratégique de suivi des élections ne se contente pas de publier des communiqués sur l’avancement du processus électoral, il donne également des instructions à l’ANE et valide ses décisions.


- L’ANE et l’Observatoire national des élections


L’Observatoire national des élections échappe à la tutelle du pouvoir exécutif. Il a été créé, le15 avril 2010, par un collectif de la société civile regroupant des organisations syndicales, des organisations de défense de droits de l’homme, des communautés religieuses et des associations de défense des minorités. Grâce à ses réseaux, l’ONE publie des rapports dignes d’intérêt qui constituent de véritables alertes concernant la mise en oeuvre du processus électoral et apporte un suivi crédible des opérations confiées à l’ANE.

 

Didier Niewiadowski
ancien conseiller de coopération et d’action culturelle
près l’ambassade de France à Bangui (2008-2012
)

[17 Octobre 2015]