Centrafrique
: éviter la surchauffe électorale
Thibaud
Lesueur et Thierry Vircoulon - 19
Octobre 2015 - crisisgroup.org
An
Africa Union peacekeeping soldier takes a strategic position to quell street
violence in neighbourhoods in the Central African Republic’s capital Bangui, on
20 December 2013. REUTERS/Andreea
Campeanu
En
Centrafrique, la période pré-électorale s’annonce explosive : à Bangui, les
milices de jeunes s’adonnent à des actes criminels quotidiens et les tensions
intercommunautaires sont très fortes, et, en province, de nombreux groupes de
combattants de l’ex-Seleka et de miliciens anti-balaka se rassemblent et tentent
de marcher vers la capitale avec la volonté d’en découdre. Si jusqu’ici, les
forces internationales ont réussi à contenir une partie de ces mouvements de
combattants avant qu’ils ne gagnent la capitale, ces derniers n’ont toujours pas
renoncé à leurs projets de déstabilisation de la transition. Alors que Bangui
continue d’être frappée par une flambée de violence, amorcée en septembre
dernier, et que les élections sont prévues avant la fin de l’année, l’afflux de
combattants pourrait encercler la ville et aboutir à de nouveaux affrontements
dans la capitale et en province sur fond de tensions
intercommunautaires.*
L’urgence
est de desserrer l’étau des groupes armés et de créer un consensus qui n’existe
pas autour du processus électoral.
L’arrêt
de la progression des miliciens de Nourredine Adam (chef de file du Front
populaire pour la renaissance de la Centrafrique, FPRC, l’aile la plus dure de
la coalition de l’ex-Seleka) les 10 et 11 octobre à 150km de Bangui par les
forces internationales n’exclut pas d’autres tentatives à brève échéance. Dans
un tel contexte, l’organisation précipitée d’élections préconisée par les
partenaires internationaux est une fuite en avant porteuse d’instabilité.
Aujourd’hui, l’urgence est de desserrer l’étau des groupes armés et de créer un
consensus qui n’existe pas autour du processus électoral. Pour ce faire, les
effectifs des forces françaises et des Nations unies devraient rapidement être
augmentés et les élections devraient être repoussées à 2016 pour se dérouler
dans un climat apaisé et promouvoir une stabilité durable.
Les
violences qui se sont déroulées à Bangui à la fin du mois de septembre et dont
le bilan s’élève à environ 70 morts, des centaines de blessés et plus de 40 000
déplacés, pourraient malheureusement n’être qu’un début. La mort d’un taxi-moto
musulman fin septembre dans la capitale a provoqué un cycle de représailles
de violences intercommunautaires et des troubles dirigés contre le gouvernement
de transition et la présence internationale. Appel à la désobéissance civile par
des leaders de la société civile et pillages ont créé une situation
insurrectionnelle instrumentalisée par des leaders anti-balaka, soutiens à
l’ancien président François Bozizé (2003-2013) et par des dirigeants de
l’ex-Seleka.
Ces
troubles ont rappelé des réalités bien connues des Centrafricains et des
humanitaires mais ignorées par certains membres de la communauté
internationale : la capitale n’est pas sécurisée et les miliciens
contrôlent toujours plusieurs quartiers ; les recommandations adoptées lors
du forum national de réconciliation de Bangui en mai 2015 n’ont pas encore été
mises en œuvre faute de moyens, de volonté politique et de consensus au sein des
groupes armés et de la classe politique centrafricaine ; l’accord de
désarmement, de démobilisation et de réinsertion (DDR) signé lors de ce forum
est resté lettre morte ; et les tensions intercommunautaires entre
musulmans et non-musulmans sont encore très vives dans la capitale et dans
l’ouest et le centre du pays.
Perpétrées
pendant que la présidente de la transition centrafricaine, Catherine Samba
Panza, était à New York pour participer à une réunion sur la République
centrafricaine (RCA) en marge de l’assemblée générale des Nations unies, les
violences qui ont embrasé Bangui et les manifestations qui ont suivi révèlent
une stratégie de déstabilisation et l’opportunisme de certains politiciens et
acteurs de la société civile – dont des partisans de Bozizé et des proches de
l’ex-Seleka – mais elles doivent pourtant être prises au sérieux en ce qu’elles
expriment une forte insatisfaction. Insatisfaction à l’égard des forces
internationales qui, presque deux ans après le début de l’opération française
Sangaris et malgré le déploiement d’environ 10 000 casques bleus, ne sont
parvenues ni à sécuriser la capitale ni à sécuriser la principale route du pays.
Insatisfaction à l’égard du gouvernement de transition qui a beaucoup promis
lors du forum de Bangui et a si peu réalisé.
La
feuille de route de la transition qui prévoyait le désarmement, la
démobilisation et la réinsertion des miliciens après le forum de Bangui et avant
les élections a complètement déraillé. Le DDR est maintenant renvoyé à
l’après-élection et les élections sont organisées dans des conditions
problématiques aux points de vue technique, financier, sécuritaire et
politique.
Aujourd’hui,
l’impasse politique et communautaire risque de conduire à une nouvelle
déflagration sécuritaire.
Aujourd’hui,
l’impasse politique et communautaire risque de conduire à une nouvelle
déflagration sécuritaire. En effet, des groupes de combattants de l’ex-Seleka,
proches de Nourredine Adam et de son mouvement, le FPRC, se sont regroupés
depuis le mois de juin 2015 vers Kaga-Bandoro, à plus de 300km au nord-est de
Bangui et ont tenté début octobre de rejoindre la capitale empruntant des pistes
pour contourner les villes contrôlées par les forces internationales. Des
affrontements entre les forces internationales et les combattants de l’ex-Seleka
ont eu lieu les 10 et 11 octobre à plusieurs kilomètres de Sibut, située à 150km
au nord-est de Bangui, et ont temporairement permis de stopper leur avancée.
Bien que ces affrontements aient occasionné de nombreuses pertes dans les rangs
des rebelles, la capacité de nuisance de ces groupes armés demeure quasiment
intacte et la préparation de nouvelles attaques est très certainement en cours.
De leur côté, plusieurs groupes de miliciens anti-balaka seraient en train de se
rassembler dans plusieurs villes de l’ouest centrafricain comme Bossangoa, à
250km au nord-ouest de Bangui ou encore Berberati au sud-ouest de la RCA. Leur
objectif est toujours le même, descendre sur la capitale pour porter main fortes
aux jeunes anti-balaka de Bangui et chasser les musulmans de Bangui. Certains
d’entre eux auraient d’ailleurs participé aux violences qui se sont déroulées
fin septembre à Bangui avant de repartir chez eux. A l’heure actuelle, le risque
majeur n’est pas un nouveau putsch mais la reprise d’affrontements
intercommunautaires sanglants dans la capitale et en
province.
Dans
cette situation d’urgence, la communauté internationale se focalise sur un faux
objectif : organiser des élections le plus vite possible. En dépit des
nombreux avertissements, elle préfère une élection à tout prix plutôt qu’une
transition chancelante, tandis que le gouvernement de transition envisage un
énième remaniement ministériel et une nouvelle concertation. Après la démission
du président de l’Autorité nationale des élections qui s’opposait à une élection
à la va-vite en 2015, un nouveau calendrier électoral qui doit être
prochainement voté par le Conseil national de transition et qui a été décidé
après concertations entre autorités de la transition et partenaires
internationaux, prévoit de repousser le premier tour des élections
présidentielles à décembre 2015. Ces échéances ne sont pas tenables et les
acteurs internationaux et le gouvernement de Samba Panza devraient avant tout
former un véritable partenariat pour créer les conditions techniques, politiques
et sécuritaires nécessaires pour des élections transparentes, libres et
inclusives.
Comme
un rapport récent de Crisis Group, Centrafrique :
les racines de la violence,
l’a
recommandé, les mesures suivantes doivent être rapidement mises en œuvre par les
autorités centrafricaines et les partenaires internationaux pour éviter une
amplification des tensions et des violences entre groupes armés, et favoriser un
climat propice pour les élections :
·
Renforcer
les forces internationales en augmentant les troupes françaises (les plus
dissuasives sur le terrain), les casques bleus et les capacités de gestion des
mouvements de foule ;
·
Initier
le programme de désarmement, de démobilisation et de réinsertion avec les
groupes armés volontaires ;
·
Arrêter
et traduire en justice certains dirigeants des anti-balaka et des ex-Seleka
suspectés d’être impliqués dans la récente flambée de violence
;
·
Reporter
les élections à la première moitié de 2016, et remplacer le président
démissionnaire de l’Autorité nationale des élections par une personnalité
intègre et connue pour son indépendance politique ;
·
Compléter
le budget électoral, formuler clairement les critères d’éligibilité des
candidats aux élections législative et présidentielle et les possibilités de
recours selon la loi électorale, et réaffirmer publiquement le droit de vote des
musulmans centrafricains ; et
·
Promouvoir
les efforts de réconciliation entre communautés, notamment grâce à la
revitalisation des échanges économiques au niveau local, à l’annonce de plans de
développement des régions périphériques ainsi qu’à la préparation d’un plan
d’investissement massif dans le secteur de l’éducation incluant un enseignement
sur la tolérance.
*Pour
rappel, la prise du pouvoir par la Seleka en mars 2013 a constitué un
renversement du paradigme politique centrafricain. Pour la première fois depuis
l’indépendance, une coalition de groupes armés issue du nord et de l’est du pays
s’est emparée du pouvoir. Dans la foulée, la partie occidentale de la
Centrafrique a été le théâtre d’une véritable persécution des musulmans par les
milices anti-balaka qui a conduit à leur départ forcé, à un désir de vengeance
et à l’émergence de discours de partition à l’est du pays. Le conflit entre
ex-Seleka et anti-balaka s’est aujourd’hui doublé d’un conflit entre communautés
armées.