« Il en tombe comme à Gravelotte »

Lettre ouverte

Par B. MANDEKOUZOU-MONDJO. 30/07/2015


« Il en tombe comme à Gravelotte !  »

Je pense, -cela va sans dire-, aux candidatures aux élections qui s’annoncent en République Centrafricaine. Non pas pour distribuer des invalidations : car je ne me substituerai pas au Peuple centrafricain souverain à qui revient de droit le pouvoir de s’en remettre de son destin à l’Homme ou à la Femme qu’il lui conviendra de choisir. Mais je n’en souhaiterais pas moins qu’il lui soit créé et garanti les conditions de l’exercice effectif de ce pouvoir.


« Il en tombe comme à Gravelotte !  »

Je pense, -cela va sans dire-, à la pléthore de candidats : et instinctivement je ne peux pas ne pas m’interroger sur l’espérance qu’ils annoncent.


« La reconstitution de notre société sur des bases nouvelles n’est plus un rêve idéologique, c’est une nécessité historique. S’acharner à sauver ce qui ne peut plus l’être, confondre le bien d’une minorité avec l’intérêt national, est une politique qui n’appelle aucune espérance… » (1)


Suffit-il, pour être au rendez-vous de la reconstitution de la Société centrafricaine, de dire comme Archimède : « Donnez-moi un point d'appui, et je soulèverai le monde » ?

Ou suffit-il, en d’autres termes et dans le cas d’espèce de dire: « Donnez-moi votre vote et votre confiance et tout sera transformé » ?

Un regard sur l’entreprise qui s’annonce englobera toute l’histoire de la République centrafricaine indépendante : en partant de Barthélemy Boganda et de sa célèbre proclamation : « Enfin, on décolonise ! » :

« Nous demandons deux choses au Gouvernement de la France :

- Sur le plan politique : qu’on nous délivre d’une administration et de méthodes périmées ; qu’on « décolonise » et qu’on nous accorde l’autonomie à l’intérieur de la République fédérale française afin de nous permettre de choisir nous-mêmes nos hommes.

- Sur le plan économique : qu’on nous aide à démarrer, qu’on nous envoie les techniciens et les sages conseils pour nous permettre d’apporter à la grande famille française et au marché commun le fruit de notre travail et de nos efforts. 

C’est tout : ce sera suffisant puisque le reste, c’est-à-dire la gestion de notre patrimoine, nous avons été jugés dignes de nous en charger. » (2)


Barthélemy Boganda, inlassable pourfendeur de l’administration coloniale et de ses méthodes cruelles et inhumaines dans la gestion des territoires est pour moi l’image de Jérôme Savonarole parti en guerre contre les Médicis pour délivrer Florence de la décadence et de la dégénérescence morale.

Comme Savonarole chassant les Médicis du pouvoir, Barthélemy Baganda a mis fin à la tyrannie de l’administration coloniale, mais il n’a eu ni le temps, ni les moyens de mettre en place les réformes, -dont l’africanisation des cadres-, qui auraient permis de bâtir le nouvel Etat :

« La réforme que nous propose le Gouvernement sera inopérante parce qu’elle ne laisse pas, dans l’immédiat, de place à l’africanisation des cadres tant préconisée par la Loi-Cadre… Dépêchons-nous, Messieurs ! Il est plus tard que vous ne le croyez ! » (3).

Il fut effectivement trop tard.

Et Boganda mort : tout restait à faire ; tout était à inventer.

Le relais fut transmis aux suivants. Avec le secret espoir de les trouver imaginatifs et créatifs !

Hélas !

« L’histoire de la Démocratie centrafricaine nous donne à voir des hommes prompts à user de tous les subterfuges et habiletés pour parvenir au pouvoir et pour s’y maintenir. Là où nous attendions des projets clairs et surtout définis dans les moyens susceptibles de les rendre efficaces, l’histoire politique centrafricaine indique que les partis ont tous fait faillite. » (4)

La République proclamée le 1er Décembre 1958, l’Accession à l’Indépendance acquise le 13 Août 1960, l’étape importante sinon essentielle du combat de Boganda est donc franchie : l’Administration coloniale s’en est allée et les Fils et Filles du Pays ont dans leurs mains la responsabilité de leur destin. Prolonger Boganda consiste désormais à passer à l’étape suivante : mettre en place les structures requises pour gagner le combat de « l’émancipation sociale » du Pays…

Le MESAN a loupé le coche et a piteusement sombré corps et biens avec les bouffonneries de Jean-Bedel BOKASSA, qui s’est rêvé et est devenu effectivement empereur et châtelain.

Le RDC du Général André KOLINGBA, le MLPC du Président Ange-Félix PATASSE, le KNK enfin du Général François BOZIZE ont, alternativement, introduit la dérive que condamne le Comte de Paris (1) et donné à vérifier que « s’acharner à sauver ce qui ne peut plus l’être, confondre le bien d’une minorité avec l’intérêt national, est une politique qui n’appelle aucune espérance. »


« Il en tombe comme à Gravelotte !  »

Les nostalgies conduisant à reconstituer des expériences qui ont échoué ne peuvent que fermer définitivement la voie de toute espérance pour demain en République centrafricaine. Et sans repère valable et validé il n’est point de perspective qui rassure.

Ceci devrait être et est ici dit à l’intention de tous ceux qui voudraient appliquer au cas centrafricain d’aujourd’hui les recettes éculées d’hier, conçues et structurées pour servir le tribalisme, le régionalisme et divers sectarismes prégnants des jeux politiques du MESAN, du RDC, du MLPC, de la Sélèka et des Antibalaka.


« Il en tombe comme à Gravelotte !  »

Nous ne sommes pas, -non plus-, dupes du jeu stérile des sigles faits plutôt d’annonce que de réalité. Les partis pour la justice et la paix, pour la réconciliation et l’unité nationale, pour la liberté et la démocratie… sont séduisants à souhait ; mais ils risquent de nous faire courir après des chimères. Je reste dubitatif et résolument sceptique devant les belles constructions intellectuelles que sont les professions de foi de nos candidats. Et prosaïquement je leur propose ces mots de Georges Pompidou que je trouve bien pertinents :


« La démocratie doit être celle des « politiques » au sens vrai du terme, de ceux pour qui les problèmes humains l’emportent sur tous les autres, ceux qui ont de ces problèmes une connaissance concrète, née du contact avec les hommes, non d’une analyse abstraite, ou pseudo-scientifique, de l’homme. C’est en fréquentant les hommes, en mesurant leurs difficultés, leurs souffrances, leurs désirs et leurs besoins immédiats, tels qu’ils les ressentent ou tels parfois qu’il faut leur apprendre à les discerner, qu’on se rend capable de gouverner, c’est-à-dire, effectivement, d’assurer à un Peuple le maximum de bonheur compatible avec les possibilités nationales et la conjoncture extérieure. » (5)


« Il en tombe comme à Gravelotte !  »

Qui sera sauvé au terme de l’épreuve du van pour séparer la paille et le grain ? (6)

Il n’y a pas de mauvais candidats dès lors que, autant qu’ils sont, -dix ou cent ou mille-, ils arrivent à convaincre que c’est bien du sort du Pays qui est le nôtre qu’ils ont souci ; que c’est bien la quête d’une solution efficace qui les anime. Car je ne doute point que l’un dans l’autre ces deux élans en appellent un autre : la réalisation d’un accord de pensée.


Je reprends ici un discours de Jacques Maritain que j’ai déjà cité dans mon billet : « Le Babélisme politique en Centrafrique » (7) :


L’accord peut se faire non pas sur une commune pensée spéculative, mais sur une commune pensée pratique, non pas sur l’affirmation d’une même conception du monde, de l’homme et de la connaissance, mais sur l’affirmation d’un même ensemble de convictions dirigeant l’action. Cela est peu sans doute, c’est le dernier réduit de l’accord des esprits. C’est assez cependant pour entreprendre une grande œuvre, et ce serait beaucoup de prendre conscience de cet ensemble de communes convictions pratiques » (Jacques Maritain, Discours prononcé en 1947 devant la Conférence Générale de l’Unesco)


Encore un effort, Mesdames et Messieurs les Candidats !

Pour le Pays, Il n’est pas et ne sera jamais trop tard pour renouer des alliances !

Je reviens aux propos du Comte de Paris : 

« La reconstitution de notre Société sur des bases nouvelles n’est plus un rêve idéologique, c’est une nécessité historique. » (1)



MANDEKOUZOU-MONDJO.

30 Juillet 2015


(1) Henri, Comte de Paris : Au souvenir de la France Mémoires d’Exil et de Combats : Eléments de Généalogie et de Correspondance : Lettre du 18 mai 1968 au Général de Gaulle. Atelier Marcel Jullian, 1979)

(2)  «  Enfin, on décolonise » : Brazzaville, le 21 octobre 1957 : Discours de M. BOGANDA à la Séance inaugurale de la deuxième session ordinaire du Grand Conseil de l’AEF.

(3) «  Enfin, on décolonise » : Bangui, Assemblée Territoriale : Discours prononcé par M. BOGANDA à la séance du 8 Juillet 1958.

(4) « Comment les Démocraties finissent » par B. MANDEKOUZOU-MONDJO, SOZOWALA, Tribune du 12/10/2013

(5) Georges Pompidou, Le nœud gordien, Plon, 1974, pp. 202-203.

(6) Puisque je fais retrouver ici le titre de la chronique de François Mitterrand : »La paille et le grain », autant y ajouter pour ce recours les mêmes précautions d’usage :

« Je ne classe pas la paille dans les matières viles tandis que le grain serait noble. A chacun son usage. Tout de même si au gré des pages le lecteur découvre, isole de quoi nourrir une certaine faim, qui est la mienne, d’aller plus loin que l’apparence, je me réjouirai de l’y avoir aidé.» (François Mitterrand, La Paille et le grain. Avertissement, p. 6. Flammarion, 1975.)

(7) B. MANDEKOUZOU-MONDJO. LE Babélisme politique en Centrafrique. Sangonet : Tribune, Opinion, Réflexion. 13/06/2015.