Chronique
de Jean-Baptiste Placca sur RFI. RCA: une transition peu convaincante
RFI
- 26 décembre 2015
Le pays n’a pas été
préparé à renouer avec une démocratie franche et sincère. Le jeu semble déjà
vicié, et la Centrafrique, demain, peut encore sombrer dans le
chaos.
François Mazet :
N’est-ce pas un peu hasardeux, en Centrafrique, de repousser, de seulement trois
jours, des élections que l’on prépare depuis plus de deux ans ? Y a-t-il quelque
chance que soient rattrapées, d’ici le 30 décembre, toutes les insuffisances
relevées par rapport à ces scrutins censés marquer la sortie de ce pays d’une
crise qui remonte à bien plus loin que la chute de François Bozizé, en mars 2013
?
Jean-Baptiste Placca
: On retarderait ces scrutins de dix ans que cela n’aurait pas suffi pour
organiser des élections sans tâche en Centrafrique. La présidentielle et les
législatives du 30 décembre ne se dérouleront pas de manière suffisante, et
cela, Madame Samba-Panza en a forcément conscience. Nous sommes, ici, dans le
cas typique d’un élève qui n’a rien appris durant toute l’année, et qui se
précipite, à la veille des examens, pour rattraper toutes les lacunes
accumulées. Pourquoi donc trois jours, et pas trois semaines ou trois ans ? La
justification que la présidente intérimaire de la Centrafrique donne pour cette
petite rallonge est, pour le moins, déconcertante. Elle affirme que c’est parce
que c’est, là, la décision des chefs d’Etat de la CEAC. « Nous ne pouvons pas
faire autrement que de tenir le premier tour en décembre 2015, et c’est
impératif », dit-elle.
Etant donné qu’il ne
reste que quatre jours avant la fin de l’année, et qu’il aurait été pour le
moins maladroit de tenir ce premier tour le jour du réveillon, elle a retenu la
date du 30 décembre. Voilà tout ! Trois jours, c’est le maximum, l’extrême
limite, non pas pour bien faire, mais pour ne pas mécontenter les chefs d’Etat
de la CEAC. Aux commandes de cette transition depuis pratiquement deux ans,
voilà que Madame la présidente se retrouve acculée à une prorogation de trois
jours, non pas pour s’assurer de bien faire ou de satisfaire le peuple
centrafricain, mais pour ne pas déplaire aux chefs d’Etat de la
sous-région.
Cela remet-il en
cause le sérieux de l’ensemble de la transition ?
Il faut, en tout cas,
constater que certains des acteurs de cette transition ont choisi de s’y vautrer
pour en profiter, comme d’une situation de rente, au point d’en oublier la
mission première. Les privilèges de leur éphémère pouvoir a semblé souvent
prendre le dessus par rapport à la nécessité de conduire le pays aux élections
dans des délais raisonnables.
Ils ont, ainsi,
régulièrement sollicité et obtenu l’autorisation de proroger le bail. Jusqu’à ce
que les bailleurs de fonds et les chefs d’Etat de la sous-région leur donnent
l’ultimatum de fin 2015. Alors, tels de mauvais élèves, ils ont choisi le tout
dernier dimanche de décembre. Et, à trois jours de l’échéance, ils ont dû
constater les insuffisances de leur dispositif. A défaut de la Saint-Sylvestre –
qui rappelle aux Centrafricains le coup d’Etat qui a conduit Bokassa au pouvoir
–, ils ont choisi le 30 décembre. Ces élections, censées clore une ère qui est
certainement la plus sombre, la plus tragique de l’histoire de ce pays,
n’augurent rien de rassurant.
Cela semble vous
mettre en colère ?…
C’est juste de la
tristesse. Et de la pitié pour ce peuple, qu’une malédiction sans fin s’acharne
à jeter constamment dans les bras de dirigeants qui ont du mal à se hisser à la
hauteur des enjeux. Le plus révoltant est que certains de ces dirigeants, à
l’évidence, s’aiment davantage qu’ils n’aiment leur patrie. Car ce qui se sait
et se murmure à Bangui est que quelques-uns des principaux acteurs de cette
transition ont été plus efficaces dans des acquisitions de biens, qu’ils ne
l’ont été à servir la nation. On leur demandait de préparer leur pays à renouer
avec la démocratie, ils ont plutôt assuré leur confort matériel et leur avenir
personnel.
Un tel jugement
n’est-il pas un peu féroce ?
C’est certainement
bien plus indulgent que ce que leur réserve l’Histoire. Tôt ou tard, les
Centrafricains prendront connaissance des torts causés à leur patrie durant
cette interminable transition. Ils verront, de leurs yeux, les biens visibles
acquis par les uns, et auront peut-être la preuve de la richesse amassée par les
mêmes ou par d’autres. Ils comprendront alors à quel point cette transition, si
stérile pour eux, a pu être juteuse pour d’autres. Le plus grave est qu’une
partie des ressources soustraites à l’Etat serait détournée au profit de
quelques candidats, soutenus plus ou moins ouvertement par telle ou telle
éminente personnalité de la transition.
La démocratie que l’on espérait voir restaurée à la faveur de ces élections, est donc, d’ores et déjà viciée…