Du
scrutin du 15 décembre au PK5 à Bangui, les musulmans ulcérés, "pris en otages"
par les groupes armés s’expriment
lemainelibre.fr
- 14.12.2015 20:02
Un soldat burundais de la Minusca contrôle des électeurs de la communauté musulmane du PK-5 à l'entrée d'un bureau de vote à Bangui, le 14
décembre 2015 - MARCO LONGARI - AFP
"Laissez-nous
tranquille!": au lendemain d'un referendum constitutionnel ensanglanté par des
combats à l'arme lourde, de nombreux musulmans de Bangui déjà exaspérés par des
mois de violences intercommunautaires, ne veulent plus des hommes armés qui
sèment la terreur dans leur enclave au nom de
l'"auto-défense".
Cinq
personnes ont été tuées et une vingtaine d'autres blessés dimanche au PK-5,
alors que des centaines d'électeurs affluaient dans les bureaux de vote de ce
quartier musulman pour se prononcer sur l'adoption d'une nouvelle Constitution,
avant les élections législatives et présidentielle du 27
décembre.
Lundi
à l'aube, les musulmans ont discrètement enterré leurs morts. Comme tous les
jours, les étals du grand marché se sont peu à peu remplis de marchandises,
pièces détachées, vêtements, pagnes colorés ou encore viande de zébu et bananes
plantain. Mais ils sont nombreux à ne plus supporter les violences, et veulent
le faire savoir.
"Nous
sommes d'accord pour vivre ensemble avec les chrétiens, nous voulons vivre en
paix mais nous sommes pris en otages" par les groupes armés, affirme Hassan
Brassoul Moussa, un porte-parole des jeunes musulmans du PK-5, demandant
"l'arrestation des criminels qui veulent semer le chaos chez
nous".
-
Combats fratricides -
De
manière assez inédite, les combats ont cette fois opposé deux camps au sein de
la communauté musulmane du PK-5: d'un côté la majorité des habitants soutenus
par certains groupes armés, favorables au processus électoral, et de l'autre
ceux que l'on appelle désormais "les ennemis de la
paix".
Sur
le rond-point commerçant Koudoukou, un petit groupe d'hommes en djellabah
accroche une grande pancarte. "Nous voulons que Abdoulaye Hissène et ses groupes
quittent le PK-5", ont-il écrit, accusant cet ancien "général" de l'ex-rebellion
Séléka d'avoir orchestré les violences de la veille.
Suite
au coup d'Etat en mars 2013 de la Séléka, majoritairement musulmane, les
exactions commises sur les civils, notamment les chrétiens (majoritaires),
avaient entrainé des représailles féroces sur la communauté musulmane dès que la
rébellion a été chassée du pouvoir début 2014. Attaqués, pillés par les milices
chrétiennes anti-balaka, les musulmans, retranchés au PK5, ont alors financé des
groupes d'auto-défense - en grande partie composés d'ex-séléka - pour protéger
le quartier.
"Il
y a deux ans, on a dépensé beaucoup d'argent pour acheter des armes parce qu'on
voulait défendre nos parents et nos marchandises" des anti-balaka, reconnait
Mustapha Younous, un commerçant.
"Maintenant,
il faut que ça s'arrête. Si Abdoulaye Hissène, Haroun Gaye (un de ses proches)
et consorts veulent faire de la politique, qu'ils aillent la faire ailleurs.
Nous sommes des commerçants, et nous voulons faire du commerce!", poursuit le
jeune homme, aussitôt applaudi par une petite foule rassemblée autour de
lui.
-
Alliance Séléka et anti-balaka -
"Qu'on
les décapite s'il le faut, propose un vieillard avec une casquette arborant la
devise +Paix+: nous payons les pots cassés, mais eux ils se baladent en toute
liberté dans des voitures aux vitres fumées. On en a assez,
assez!"
Le
PK-5, véritable poumon économique de la capitale inondait les marchés de Bangui
et même, dans une certaine mesure, de l'intérieur du pays jusqu'à ce que la
crise éclate. L'activité reprend doucement depuis plusieurs mois, mais chaque
nouvelle flambée de violences paralyse à nouveau le
quartier.
Contacté
par l'AFP, Abdoulaye Hissène nie toute responsabilité dans ces violences. "J'ai
des éléments qui sont là uniquement au cas où le PK-5 serait attaqué (...) ils
n'ont pas tiré sur la foule", a-t-il sobrement
commenté.
L'ancien
"général" est aujourd'hui affilié au Front patriotique pour la renaissance de la
Centrafrique (FPRC) de Nourredine Adam, la frange la plus radicale de
l'ex-rébellion, active dans le nord et l'est du pays, où le scrutin a également
été perturbé par des tirs et des intimidations dans plusieurs localités
dimanche.
Le
FPRC, ainsi qu'une partie des milices chrétiennes anti-balaka, longtemps ennemis
jurés, sont accusés d'avoir scellé une alliance pour empêcher la tenue des
élections du 27 décembre, censées remettre le pays sur les
rails.
Selon plusieurs sources sécuritaires à Bangui, ces groupes ont intérêt à faire capoter le processus électoral pour continuer leurs trafics divers (diamants, or...) et éviter d'avoir affaire un jour à la justice, après avoir commis d'inombrables exactions contre les civils depuis trois ans.