Elections
présidentielles en Centrafrique:
Des alliances qui se font et se
défont...
Après l'adoption du projet de constitution dont on
attend l'adoption et la promulgation, les choses s'accélèrent à travers
rapprochement, renouvellement d'alliance ou … soutien
programmé.
1 – Alliance pragmatique entre le KNK et
l'URCA.
Le secrétaire général par intérim du Kwa na kwa, le
nommé Bertin Béa, crie victoire trop tôt : « Nous avons signé un
accord politique électoral pour qu'Anicet soit élu dès lepremier tour ».
Quand on connait la capacité de fraude du parti du président déchu François
Bozizé, on ne peut pas être rassuré par cette déclaration. En effet, outre cette
victoire annoncée, l'alliance entre le Kwa na kwa et l'Union pour le renouveau
centrafricain comporte un second volet plus inquiétant : « le candidat
(Doléguélé) saura accorder une place particulière à François Bozizé »,
affirme ledit Bertin Béa. A ces propos léonins, le fakir AGD semble hypnotisé
par son propre manga et ne dément point.
Le président « auto annoncé » Anicet-Georges
Doléguélé va au contraire plus loin : « Je crois à la présomption
d'innocence (…) et je suis pour que tous les anciens chefs d'Etat, François
Bozizé, Michel Djotodia et Catherine Samba-Panza, la présidente de transition,
trouvent leur place dans le pays ».
Ces propos de campagne ne surprennent personne. Il y a
quelques mois, à l'annonce du décès de Luc Appolinaire Dondon, ancien président
de l'assemblée nationale sous le régime du président Ange-Félix Patassé, le
candidat Dolégué proposait déjà de verser une rente de fin de règne aux anciens
responsables politiques du pays afin de leur éviter l'offense de la misère.
Aujourd'hui, il leur propose une reconversion, sans doute comme membre de droit
au Conseil constitutionnel ou comme sénateur à vie ? Une question nous
taraude : les cultivateurs centrafricains qui perdent leurs récoltes depuis
des années, par la faute de nos mamamouchis, qui pensent à leur
sort ?
La nouvelle constitution à peine adoptée, l'esprit en
est déjà violé par l'un des prétendants à devoir l'appliquer ! Ainsi
naissent les petits dictateurs...
2 – Le mariage de la carpe et du
lapin.
Au moment où le KNK et l'URCA scellent leur union, en
mettant l'impunité dans la corbeille des mariés, une autre combinaison
s'ébauche. Le mouvement de libération du peuple centrafricain (MLPC) et la
Convention républicaine pour le progrès social (CRPS) rendent public leur
« pacte civil de solidarité », un secret de polichinelle. Enfin
convaincu de ne plus être candidat à la présidentielle, malgré maintes
réclamations et démarches intempestives auprès du secrétariat général de l'ONU,
le président du CRPS, Nicolas Tiangaye, tient désormais le rôle du supplétif
auprès de l'ancien parti d'Ange-Félix Patassé, le MLPC, qui s'illustra naguère
dans le recrutement des milices du chef rebelle congolais Jean-Pierre Bemba. Ce
soutien était attendu.
Il est la contrepartie des Accords de Libreville du 11
janvier 2013 qui firent de Nicolas Tiangaye le premier-ministre de la première
transition présidée par François Bozizé d'abord, puis par Michel Djotodia
ensuite. Lors des négociations desdits accords, Nicolas Tiangaye était soutenu
par Martin Ziguélé, devenu président du MLPC à la mort de
Patassé.
Cette alliance préfigure le mariage de la carpe et du
lapin : Martin Ziguélé était opposé à la participation de François Bozizé
au Forum inter-centrafricain de Bangui, Nicolas Tiangaye était
pour !
Comme dans le film « Trois hommes et un
couffin », ce ménage, sur lequel plane l'ombre de François Bozizé, n'augure
rien de bon.
3 – Le voile de l'OCI flotte sur
Bangui.
Après avoir proclamé la « République du
Logone » dans sa zone d'influence, Nourredine Adam se ravise. L'ancien chef
rebelle de l'ex-Séléka « fera tout pour que les élections présidentielles
et législatives se déroulent sans violence ». Il serait venu à résipiscence
sur instruction du Secrétaire général de l'Organisation de coopération islamique
(OCI) et du directeur de cabinet du président tchadien Idriss Déby, à l'issue
d'un conciliabule tenu à Ndjaména ce lundi 21 décembre
2015.
Nourredine Adam fait donc allégeance à la Oumah
islamique qu'il exhorte à « contribuer de façon visible, concrète et
massive à la reconstruction socio-économique du pays ». Combien de
mosquées ?
Emporté par son élan et tout au faîte de la ruse, l'ex
numéro 2 de Michel Djotodia y va de son couplet pénitentiel, cherchant qui
veuille bien l'absoudre ; « Nous exprimons nos regrets pour les
récents affrontements et les actes de frustration qui nous ont fait prêcher la
partition pure et simple. Au contraire, nous nous sommes battus toute notre vie
pour une République Centrafricaine une, indivisible, mais réellement inclusive
et qui accepte et protège tous ses enfants, qu'ils soient chrétiens, musulmans,
animistes ou adeptes de toute forme de croyance ». Pendant que Nourredine
Adam est à confesse, l'armée tchadienne opère des ères sur le territoire
centrafricain à Bodali. En réalité, pour le Tchad qui convoite les réserves
pétrolières du nord centrafricain, la partition prônée par FPRC est une option
impraticable...
Hum ! Esprit du Wataka (la ruse, le mensonge),
es-tu là ?
4 – François Bozizé, l'incompris
mal-aimé.
Le président déchu François Bozizé, exilé à Kampala
(Ouganda) depuis bientôt deux ans confirme son statut d'autiste. Dans le cadre
d'une interview accordée au journaliste Eric Topona, de la Deutsch Welle, qui
lui demande s'il est déçu de voir sa candidature à la présidentielle du 27
décembre prochain invalidée, François Bozizé s'épanche : « Déçu, plus
ou moins. C'est méchant envers une autorité de mon rang, qui a exercé des
fonctions de président de la République pendant dix ans, et aujourd'hui, on ne
me reconnaît plus. Et je suis jeté ».
On est mal pour lui. On aimerait lui expliquer que la
constitution de décembre 2004, qu'il a lui-même rédigée et promulguée,
n'autorise que deux mandats consécutifs, soit dix ans. Mais l'homme étant ce
qu'il est, émotif et impulsif, on se gardera bien de contrarier une sensibilité
à fleur de peau.
Tel Icare transporté sur les ailes de la félicité et
du nombrilisme, le président déchu n'a qu'une antienne : « Je suis un
homme de paix, je suis un citoyen très attaché à la démocratie, à la
liberté ».
Où est le problème ? Après dix ans de règne
absolu, quatre millions de Centrafricains pensent le contraire, Mon
Général !
5 – Trois candidats se disputent l'héritage de
Bozizé.
Trois candidats se disputent l'héritage du président
déchu, François Bozizé, et se déclarent chacun vainqueur dès le premier tour,
négligeant les paroles de l'apôtre Saint Mathieu : « Au royaume de
Dieu, les premiers seront les derniers et les derniers seront les
premiers ». Ce sont Martin Ziguélé, Anicet-Georges Doléguélé et Karim
Meckassoua.
En réalité, en termes d'organisation et de stratégie,
seulement deux formations politiques devaient tirer leur épingle du jeu ;
le Mouvement de libération du peuple centrafricain (MLPC) de Martin Ziguélé et
le Rassemblement démocratique centrafricain (RDC) de Désiré Kolingba. En ayant
le premier fait appel à des forces rebelles extérieures en 2001 pour consolider
le pouvoir du président Ange-Félix Patassé, au prix d'une traque et d'une
répression brutale contre une partie du peuple, le MLPC a contre lui la majorité
des populations du pays, malgré l'apport supplétif du CRPS de Nicolas Tiangaye,
premier-ministre impuissant de Michel Djotodia. Pis, en se déclarant victorieux
dès le premier tour avec 54 % des suffrages exprimés, Martin Ziguélé confirme
l'existence de l'opération « bourrage des urnes » déjà convenu. Il va
plus loin, en déplacement à Paoua, sa ville natale, en déclarant que le vote de
cette population lui était entièrement acquise. C'est faire preuve de suffisance
et de mépris vis-à-vis des autres candidats natifs de Paoua. Cherchez, il y en a
au moins un. Moi, j'y ai fait mon cours moyen, en compagnie d'un certain
Cyriaque Samba-Panza. C'était en 1959. Il deviendra plus tard mon
« Cop » en équipe Espoir de basket-ball ! Mais pour être certain
du vote de ses concitoyens, le prétendant à la magistrature s'est déplacé avec
deux malettes de billets de banques, remettant à qui veut la somme de 500 francs
cfa. Il renoue ainsi à la pratique du vote alimentaire synonyme d'achat des
consciences. Dire qu'il se réclame de l'Internationale
socialiste !
Reste le RDC. Malheureusement, en prenant la direction
du parti de manière péremptoire et en s'imposant comme candidat à la
présidentielle sans consulter sa base, Désiré Kolingba s'est coupé de toute
alliance, suscitant des candidatures dissidentes dont les dégâts collatéraux
risquent d'être mortels pour sa candidature. Depuis, il est inaudible et a perdu
la bataille de la communication. Qui plus est, il risque de perdre la bataille
stratégique. Pour échapper à une défaite inéluctable dès le premier tour, il lui
reste une seule carte à jouer, dès aujourd'hui. Le report des élections au 30
décembre 2015 lui ouvre une fenêtre : faire appel aux partis politiques qui
ont la même matrice idéologique que le RDC et qui sont ses alliés traditionnels
(MESAN, ADP, MNS, etc.), et constituer un « Bloc démocratique » qui
soutiendra un seul candidat au présidentiel, et, aux législatives, le candidat
le mieux placé des partis cités ci-dessus.
Les 5 jours à venir sont vitaux pour réussir un nouvel
aggiornamento politique en Centrafrique, en dehors de toute posture
individuelle.
Paris, le 26 décembre 2015
Prosper INDO
Président du CNR