Elections présidentielles en RCA :

Au premier tour, on élimine …

 

Les résultats officiels du référendum constitutionnel ne sont pas encore connus, mais les indications provisoires confirment ce que nous redoutions : sur les 292.696 inscrits sur les listes électorales, pour une ville de près d'un million d'habitants, seuls 86.983 personnes ont pu s'exprimer, soit un taux de participation de 30 %. Pour une ville sécurisée et sous protection de l'ONU, ce chiffre ridicule témoigne des difficultés de la campagne électorale, entre insécurité, déficit logistique et absence de débat.

 Le taux de participation risque d'être plus faible encore dans les localités de province.

 

A l'aune de ces indications, le président qui sera choisi à l'issue de la présente campagne électorale sera mal élu. En effet, avec trente candidatures validées, les électeurs auront à faire un choix cornélien, entre repli ethnique et votation à l'aveugle. Dans ces conditions, il est vraisemblable que les deux candidats qui arriveront en tête et seront sélectionnés pour le scrutin final, totaliseront moins de 15 % du corps électoral. Voilà pourquoi, il faudra faire preuve de discernement, en ayant en tête des critères rigoureux pour départager les uns et les autres.

 

Les candidats ont démarré leur campagne sans attendre les résultats définitifs du référendum, comme si tout cela était ficelé et acquis d'avance. Ils ont raison, puisqu'ils n'auront pas plus de dix jours pour porter leurs projets et programmes à la connaissance des électeurs.

 

Pour départager les différents candidats, dont beaucoup sont inconnus du grand public, des considérations objectives sont donc indispensables. Six critères doivent êtres retenus.

 

Pour se faire adouber, certains candidats n'hésitent pas à mettre en avant leur passé d'ex premier-ministres ou d'anciens ministres. Tout bien considérer, à regarder l'état de la République Centrafricaine et le sort misérable de ses populations, on peut reconnaître unanimement que ces étiquettes ne sont pas synonymes de qualité de rigueur intellectuelle et morale, d'expériences réussies ou de compétences acquises. Nos anciens premier-ministres et ministres – ils sont une vingtaine sur 30 candidats – sont tous responsables de la descente aux enfers de la RCA. Il devraient faire leur mea culpa et s'excuser, au lieu de tirer argument de cette expertise usurpée.

 

Le second argument de campagne mis en avant par quelques candidats est celui d'avoir déjà concouru par le passé, sans succès. La persévérance en ce domaine serait-elle une qualité ? Il faut croire que non. Amener le peuple à voter et à accorder sa voix par lassitude n'est pas le signe d'une vitalité démocratique. La situation de la France exprime parfaitement ce paradoxe, contrairement aux Etats-Unis où les principes démocratiques sont rigoureusement respectés : tout candidat récusé une fois se dispense de persévérer. Le parti choisi un autre représentant. On considère que le peuple est intelligent et ne peut se déjuger. En Centrafrique, les candidats « multirécidivistes » devraient donc avoir l'intelligence ou la pudeur de se retirer.

 

Troisième critère à prendre en compte, la propension de certains candidats à se réclamer d'appuis politiques extérieurs, n'hésitant pas à mettre en avant leur proximité avec tel chef d'Etat étranger, tel parti politique réputé à l'international. Ces prétendants oublient que seul le peuple centrafricain est appelé à s'exprimer, en fonction du seul intérêt général du pays. Se réclamer d'instances extérieures reviendrait à hypothéquer la souveraineté de la République Centrafricaine et à subordonner les intérêts de celle-ci à celles-là. Voilà pourquoi les Centrafricains qui se rendront aux urnes devront éliminer tous les candidats qui mettent en avant leur appartenance à des forces politiques extérieures ou se revendiquent d'un suzerain étranger. Le peuple centrafricain n'a pas la servilité dans la peau.

 

En quatrième lieu, la République Centrafricaine n'est pas un patrimoine héréditaire. Aussi, les candidats qui font valoir leur « ascendance de circonstance » sans apporter la preuve formelle de leur capacité personnelle et leadership devraient se rétracter. Une chose est d'être fier de ses origines afin d'éclairer le peuple sur son appartenance et sa fidélité à un territoire, une culture ou une tradition, une autre chose est de prendre prétexte de cet héritage pour masquer ses propres limites. Les héritiers qui n'auront pas fait la démonstration de leur réussite personnelle et de leur capacité à rassembler devront être désavoués.

 

Cinquième critère de jugement, et donc d'élimination, les mariages contre-nature ; il s'agit des alliances de circonstances ou des rapprochements de connivence. Pendant longtemps, les partis politiques centrafricains se sont réclamés de différentes plateformes aux contours protéiformes et ondoyants. A s'en tenir à ces regroupements, on aurait dû être en présence d'un nombre très limité de candidatures; chaque plateforme présentant un seul candidat. Il n'en ai rien. Pis, les multiples candidats dits indépendants sont des mendiants qui, au dernier moment, négocieront leur portefeuille de voix pour un poste ou une charge, sans considération ni adhésion vertueuse à une ligne politique, un programme ou un objectif clairement exprimé. Ce sont des porte-voix, comme on appelle porte-avions un navire adapté à recevoir des avions en vol. On voit ainsi des candidats invalidés ou ceux récusés par les dispositions de l'article 20 de la Charte constitutionnelle de transition se rapprocher de tel ou tel candidat validé qui, hier, les reniait publiquement, pour faire meeting commun. Ces coalitions de dernière heure ont un nom, le mariage de la carpe et du lapin.

 

Dernier critère d'élimination, l'appartenance d'un ou des candidats à un mouvement, un parti ou un gouvernement ayant fait appel à des rebelles étrangers, à des forces armées extérieures ou à des mercenaires, pour accéder au pouvoir ou s'y maintenir, en particulier lorsque ces groupes rebelles ont fait usage de violence, d'exactions ou de mauvais traitements à l'encontre du peuple centrafricain. Il en va ainsi des représentants des forces politiques qui ont fait appel ou contribué à faire appel aux milices du mouvement de libération du Congo (MLC), aux « libérateurs tchadiens » ou aux mercenaires soudanais enrôlés par l'ex-rébellion Séléka. On ne peut interdire aux auteurs de coups d'Etat ou de mutineries militaires de ne point concourir et autoriser les hommes politiques qui ont fait appel à ces forces illégitimes extérieures à être candidats, nonobstant les amnisties qu'ils se sont octroyés.

 

C'est donc au regard de ces six critères et, plus encore, à la lecture du programme porté par chacun des candidats en compétition que les Centrafricains devront lucidement se prononcer, sans tenir compte des professions de foi et autres propos démagogiques que les uns et les autres mettront en avant pour attirer le chaland.

 

Paris, le 20 décembre 2015

 

Prosper INDO

Président du CNR.