En
Centrafrique, un référendum "test" pour des élections "de la dernière
chance"
Par
Hervé
BAR
| AFP – 10/12/2015
AFP/AFP/Archives
- La présidente par intérim Catherine Samba-Panza, au cours d'une conférence de presse, le 28 novembre 2015 à Bangui
Les Centrafricains se prononcent
dimanche par référendum sur le projet de nouvelle Constitution, préambule au
premier tour des élections présidentielle et législatives le 27 décembre qui
doivent mettre fin à la difficile transition à Bangui.
A
trois jours du vote, l'analyste Thierry Vircoulon du centre de réflexion
International Crisis Group (ICG) met en garde contre une séquence électorale
précipitée, alors que les élections à venir sont celles "de la dernière
chance".
Q: Dans un contexte sécuritaire toujours
tendu, comment s'annoncent le référendum constitutionnel de ce dimanche et le
premier tour des élections le 27 décembre?
R:
Ces élections s'annoncent très fragiles et le référendum constitutionnel est
détourné de son sens. Retard dans les préparatifs techniques, incertitude sur la
faisabilité de la liste électorale, faiblesses organisationnelles, risques
sécuritaires, etc. Toutes les conditions négatives sont réunies pour des
élections dont les résultats seront contestés et sans doute pour de bonnes
raisons.
Le
référendum constitutionnel est organisé sans Constitution: les Centrafricains ne
l'ont tout simplement pas vue, elle ne leur a pas été distribuée. Du coup, le
référendum constitutionnel n'est pas une prise de position sur la Constitution
mais un test technique pour voir si la machinerie électorale fonctionne et un
vote sur la poursuite du processus électoral et la fin de la transition, que
tout le monde veut. Cela porte en germe des remises en cause de la Constitution
plus tard.
Q: Des élections coûte que coûte ou
précipitées ne risquent-elles pas de remettre en selle l'ex-rébellion Séléka et
les partisans de l'ancien président François Bozizé, qui y verront, malgré leur
nombre relativement limité, l'occasion de montrer leur pouvoir de
nuisance?
R:
Je dirais plutôt qu'ils peuvent décider de s'opposer par la force au processus
électoral, ce qui pourrait être à leur avantage mais légitimerait encore plus
une action de la communauté internationale contre eux. Le blocage du processus
électoral par ces groupes armés pourrait amener les forces internationales à
faire ce qu'elles n'ont pas voulu faire jusqu'à présent, c'est-à-dire les
neutraliser.
Q: Quelle sera la légitimité, la
crédibilité du nouveau président s'il est mal élu, alors qu'il ne dispose ni
d'armée ni d'Etat?
R: Le principal problème du prochain
gouvernement sera d'être moins faible et plus convaincant que le gouvernement de
transition, tant pour les Centrafricains que pour la communauté internationale.
L'état de grâce risque d'être de courte durée car la pression populaire sera
très forte et les problèmes d'après les élections seront les mêmes que les
problèmes avant les élections. De ce point de vue, ce sont les élections de la
dernière chance pour la Centrafrique: soit le gouvernement qui en sort pourra
rétablir un minimum de confiance avec la population et la communauté
internationale, soit la Centrafrique continuera sa descente aux
enfers.
________________________________________________________________
La Centrafrique, à
marche forcée vers les élections, avec un référendum en guise de
test
Par
Célia
LEBUR
| AFP – 10/12/2015
Retards multiples, menaces
sécuritaires... Après deux ans de transition chaotique et sous forte pression
internationale, et même si rien n'est prêt, la Centrafrique avance à marche
forcée vers des élections "de la dernière chance", précédées dès dimanche d'un
référendum constitutionnel.
Le
premier tour de la présidentielle et des législatives, prévu le 27 décembre, est
censé remettre le pays sur les rails et clore la plus grave crise de son
histoire depuis son indépendance en 1960. Avant cela, les Centrafricains sont
appelés aux urnes dimanche afin d'approuver la nouvelle Constitution d'une 6e
République lors d'un référendum "test".
Près de deux millions de Centrafricains
- sur une population totale de 4,8 millions - se sont inscrits sur les listes
électorales, signe de l'engouement suscité par le vote.
Mais à quelques jours du premier
scrutin, on est loin du grand raout pré-électoral attendu. Sur les principales
artères de Bangui, seules quelques banderoles appellent à voter "OUI" au
référendum, soutenant que "la paix, c'est dans les urnes". De la Constitution,
imprimée à 15.000 exemplaires, peu de Centrafricains disent connaître les
grandes lignes.
"Je
n'ai toujours pas de carte d'électeur. Peut-on voter avec un simple récépissé ou
la pièce d'identité?", se demande comme beaucoup d'autres Natacha, une
institutrice partie vivre dans un camp de déplacés après la dernière vague de
violences qui a fait plus de 100 morts à Bangui depuis fin septembre, opposant
comme d'habitude jeunes miliciens anti-balaka majoritairement chrétiens et
groupes d'auto-défense musulmans.
Autre bémol: alors que l'enrôlement est
terminé, seuls 26% des 460.000 personnes réfugiées dans les pays voisins, dont
une grande partie sont des musulmans chassés du pays en 2013-2014, ont pu
s'inscrire.
-
défi logistique -
Repoussées plusieurs fois à cause de
l'insécurité persistante dans le pays, ces échéances représentent un défi
logistique plus grand encore en province, notamment pour acheminer sous escorte
des Casques bleus le matériel électoral dans des régions souvent difficiles
d'accès et livrées au banditisme.
A
Bangui, malgré une certaine accalmie après la venue du pape François fin novembre, les forces internationales
(ONU, environ 11.000 hommes et France, 900) restent sur
le qui-vive. "Ici, tout peut partir très vite", explique une source sécuritaire.
D'autant qu'"un certain nombre de personnes profitent du chaos ambiant et ont
intérêt à voir le processus capoter".
Plusieurs chefs anti-balaka et
ex-Séléka, la rébellion majoritairement musulmane qui avait renversé en mars
2013 le président François Bozizé avant d'être chassée du pouvoir en 2014, sont
accusés d'avoir conclu une alliance pour attiser les violences à Bangui depuis
des mois, après avoir commis d'innombrables exactions sur la
population.
"Les conditions ne sont pas réunies pour
organiser des élections, nous voulons d'abord la sécurité", assure à l'AFP
Maxime Mokom, figure des anti-balaka à Bangui. Tout en prévenant que si les
élections sont encore repoussées, les anti-balaka "ne reconnaîtront plus les
autorités de transition" dirigées par la présidente Catherine Samba Panza.
-
Mégaphones et affiches arrachés -
A
l'intérieur du pays, plusieurs régions de l'est et du nord restent aux mains de
mouvements rebelles. L'ex-numéro 2 de la Séléka, Nourredine Adam, a prévenu
qu'il s'opposerait au vote à Kaga Bandoro (nord), malgré la présence de l'Onu.
Cette semaine, des hommes armés ont arraché les mégaphones et déchiré les
affiches d'un groupe de jeunes menant des actions de sensibilisation sur la
nouvelle Constitution.
"La
tenue des élections risque d'être difficile à Kaga Bandoro et dans une ou deux
autres localités", confirme un diplomate européen, qui relativise car
"l'élection se joue principalement à Bangui, dans l'Ouham et l'Ouham Pende"
(ouest), les deux provinces les plus peuplées du pays.
Lasse de l'interminable feuilleton
centrafricain et alors que le petit pays vit sous perfusion de l'aide
extérieure, la communauté internationale, France en tête, pousse à ces
élections, y voyant une étape nécessaire vers la sortie de
crise.
"C'est loin d'être parfait, mais il faut
avancer sinon les bailleurs de fonds vont se fatiguer", affirme une source bien
informée, selon laquelle le pays ne sera plus en mesure de payer ses
fonctionnaires dès février.
"Ce sont les élections de la dernière
chance", prévient lui l'analyste Thierry Vircoulon de l'International Crisis
Group (ICG), même si "toutes les conditions négatives sont réunies pour des
élections dont les résultats seront contestés".